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Expropriation illégale et indemnisation des propriétaires évincés

CE 16 décembre 2008 n° 296599

Une commune qui a indemnisé par voie transactionnelle des propriétaires expropriés à tort à la suite d’une annulation de la déclaration d’utilité publique, peut-elle se retourner contre l’Etat ? Peut-elle se voir opposer les fautes commises par une SEML dont elle a repris les droits et obligations ?


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En décembre 1989, un préfet du littoral déclare d’utilité publique les travaux et acquisitions d’immeubles nécessaires à la réalisation d’une ZAC sur un port d’une commune méditerranéenne (45000 habitants). Deux SCI sont ainsi expropriées. Soubresaut six ans plus tard lorsque le Conseil d’Etat annule l’arrêté préfectoral relatif à la la déclaration d’utilité publique. La Cour de cassation, par un arrêt du 13 décembre 1995, lui emboîte le pas, et annule l’ordonnance d’expropriation.

Après avoir indemnisé par voie transactionnelle les SCI expropriées, la commune se retourne contre l’Etat et lui demande le remboursement des sommes qu’elle à dû verser pour dédommager les SCI expropriées ainsi que les promoteurs immobiliers et les personnes qui s’étaient portées acquéreur des constructions.

Le tribunal administratif de Nice, puis la Cour administrative d’appel de Marseille déboutent la commune de ses prétentions à l’encontre de l’Etat s’agissant de l’indemnisation des SCI expropriées, et font partiellement droit à sa demande s’agissant de l’indemnisation des promoteurs et des copropriétaires des immeubles construits.

Le Conseil d’Etat censure cette position :
1° Sur les préjudices consécutifs à l’indemnisation des personnes expropriées :
Pour débouter la commune de ses prétentions indemnitaires, la Cour administrative d’appel avait relevé que la commune ne justifiait pas que le montant des transactions versées correspondait à la valeur du préjudice effectivement subi. Il lui appartenait en effet « de vérifier le calcul du montant retenu par la transaction afin que l’Etat ne soit pas condamné à payer plus qu’il ne doit ».
En revanche la cour administrative reconnaissait bien à la commune le droit à indemnisation dès lors que :
 l’Etat devait être jugé « responsable de la moitié des conséquences dommageables des illégalités entachant le plan d’aménagement de la zone et la déclaration d’utilité publique » ;
 « le préjudice indemnisable incluait le fait pour la commune d’avoir dû recourir à une transaction avec les personnes illégalement expropriées ».

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt : « en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que la conclusion d’une transaction constituait un préjudice indemnisable et que la commune justifiait du paiement des sommes en cause, la cour a entaché son arrêt d’insuffisance de motifs et d’erreur de droit ».

2° Sur les préjudices consécutifs à l’indemnisation des promoteurs immobiliers et des propriétaires :
S’agissant de l’indemnisation des promoteurs immobiliers et des propriétaires des constructions, la commune venait en reprise des droits et obligations de la société d’économie mixte concessionnaire qui avait été liquidée. La reprise incluait « les droits et obligations pouvant résulter des actions en justice intentées par les expropriés, les sociétés de promotion immobilière et les copropriétaires des immeubles construits illégalement ». Les juges d’appel avaient considéré qu’à raison de l’illégalité du plan d’aménagement de zone qu’elle avait adopté, la commune était responsable de la moitié des préjudices qu’elle a supportés. Pour autant le Conseil d’Etat précise que la commune ne pouvait obtenir le remboursement de la moitié des sommes exposées. En effet, dès lors que la commune venait en qualité de repreneur de la SEM, il fallait aussi tenir compte des responsabilités de cette dernière. Or la SEM, « aménageur de la ZAC qui ne pouvait en tant que professionnel de l’immobilier ignorer le risque juridique auquel elle s’exposait, avait également une part de responsabilité dans la réalisation du dommage ».

L’affaire est donc renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Marseille pour être rejugée conformément au droit. Trouvera-t-elle son épilogue avant décembre 2009, date des 20 ans d’anniversaire de la déclaration d’utilité publique ?

[1Photo : © Paul Cowan