Des buses pour empêcher l´accès d´un terrain aux gens du voyage... Pouvoirs de police ou voie de fait ?
En janvier 2000, le maire d´une commune francilienne (50 000 habitants) fait installer des buses de béton sur la voie publique pour interdire l´accès à un terrain privé contigu loué par un gérant d´un dépôt-vente de véhicules. La SCI propriétaire demande en vain à la commune de rétablir l´accès à son terrain. La SCI est contrainte alors de faire droit à la demande de résiliation de son locataire.
Trois ans plus tard, la SCI demande à nouveau à la commune de procéder à l´enlèvement des buses afin de permettre la vente du terrain à un gérant d´une station de lavage. La commune s´y oppose. Sur assignation de la SCI, le TGI de Bobigny (jugement du 19 octobre 2006) condamne la commune à procéder à l´enlèvement des buses et payer au propriétaire une indemnité de près de 100 000 euros correspondant aux loyers non perçus pendant six ans.
Après avoir procédé à l´enlèvement des buses, la commune interjette appel de sa condamnation en relevant que :
1° Le juge judiciaire est incompétent puisque l´installation de buses sur la voie publique ne saurait constituer une voie de fait ;
2° La pose des buses se justifiait « pour protéger la tranquillité des habitants de la résidence contiguë au terrain compte tenu des risques de désordre ». Le maire a fait simplement usage des pouvoirs de police qu´il tient de l´article L2212-2 du CGCT « qui l´autorise à prendre des mesures portant atteinte à la propriété dans les cas où le maintien de l´ordre public l´exige ». En effet la commune craignait que les activités professionnelles envisagées ne soient source de nuisances sonores pour les riverains (« de tels bruits ayant été constatés lorsqu´était implantée une station service ») et que des gens du voyage ne s´y installent comme cela avait été le cas un mois avant l´installation des buses.
La Cour d´appel de Paris confirme la condamnation de la commune :
1° La voie de fait est bien caractérisée dès lors que « le libre accès à sa propriété constitue un accessoire du droit de propriété, droit fondamental à valeur constitutionnelle ». Peu importe que les buses étaient installées sur une dépendance du domaine public dès lors qu´elles interdisaient « au propriétaire et à toute personne autorisée par lui de pénétrer avec un véhicule sur son terrain ».
2° En installant ces buses, « la commune ne s´est pas simplement bornée à empêcher l´installation de gens du voyage ou d´activités commerciales nuisibles au voisinage » mais a « fait obstacle au droit de jouissance du propriétaire ». Et les magistrats d´en conclure « que les agissements de la commune sont donc insusceptibles de se rattacher au pouvoir de police générale ou spéciale dévolus au maire ».
Au final, la commune doit verser une indemnité de plus de 120 000 euros au propriétaire pour le dédommager de loyers non perçus (le locataire initial avait signé un bail de neuf ans fermes pour un loyer de 1400 euros indexé sur l´indice national du coût de la construction).