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Bons de commandes falsifiés, responsabilité de la collectivité engagée ?

Conseil d’Etat, 6 juin 2012, N° 342557

Une collectivité peut-elle engager sa responsabilité si un agent a falsifié des bons de commande dans un but purement personnel ?

 [1]


Oui : de tels faits commis sur lieu de travail et sur le temps de travail, avec du papier à en tête de l’administration, ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service. Une caisse des écoles est ainsi jugée responsable des escroqueries (près d’un millions d’euros) commises par un agent au préjudice d’une société de vente de matériel informatique. Cependant l’entreprise escroquée, professionnelle avertie, a fait preuve de légèreté de nature à réduire pour moitié son droit à indemnisation : un minimum de contrôle aurait dû lui faire apparaître rapidement le caractère nécessairement frauduleux des documents présentés alors notamment que plusieurs commandes dépassaient le seuil de mise en concurrence.

Après avoir fabriqué une convention et falsifié des bons de commandes, un agent d’une caisse des écoles d’une commune francilienne (35 000 habitants) est condamné pour escroquerie et usage de faux en écriture au préjudice d’une société de vente de matériel informatique.

Sur le plan civil, le fonctionnaire indélicat doit verser près d’un million d’euros de dommages-intérêts à la partie civile. Doutant de la solvabilité du prévenu, la société intente parallèlement une action en responsabilité contre la commune et la caisse des écoles estimant que la faute commise par l’agent indélicat n’est pas dépourvue de tout lien avec le service.


Faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service ?

Suivant les conclusions du commissaire du gouvernement, le tribunal administratif de Melun [2] accueille partiellement la demande de l’entreprise : en application de la jurisprudence Lemonnier [3], la victime des agissements non détachables du service d’un agent peut, nonobstant l’action qu’il a pu exercer contre l’agent, « faire valoir une action contre le service, et aucune fin de non-recevoir ne peut être tirée contre la seconde action de la possibilité ou de l´existence de la première ».

Mais les juges du tribunal administratif, confirmés en cela par ceux de la cour administrative d’appel de Paris [4], limitent le droit à indemnisation de la société en distinguant deux périodes :

 jusqu’au mois d’octobre 2003, les faits délictueux ont été accomplis à l’insu des responsables de la caisse des écoles. La faute ainsi commise par l’agent "dans un but purement personnel est entièrement détachable du service et ne saurait engager la responsabilité de la personne publique dans les services de laquelle il était employé" ;

 en revanche, il n’en est plus de même à partir du mois de novembre. En effet « bien qu´informée des malversations et de leur ampleur, la supérieure hiérarchique de l’intéressé s’est bornée à lui demander d’y mettre fin ».

Et pour cause : l’agent indélicat a généreusement redistribué une partie du matériel à ses supérieures hiérarchiques, déclarées coupables de recel...

Le Conseil d’Etat censure, sans surprise, un tel distinguo :

les agissements de l’intéressé ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service dès lors qu’ils ont été commis "pendant son temps de service et, en partie, sur son lieu de travail, en utilisant de faux documents reproduisant l’en-tête de la caisse des écoles".

C’est donc à tort que les juges du fond ont écarté toute responsabilité de l’administration pour les faits commis antérieurement au 1er novembre 2003 [5].


Faute de la victime ?

Devant les premiers juges, le commissaire du gouvernement avait préconisé en vain de réduire de moitié l’indemnisation de la société requérante pour sanctionner la légèreté dont elle avait fait preuve : convention criblée de fautes d’orthographes et d’approximations juridiques, persistance des ventes malgré un compte client fortement débiteur, volume d´achat disproportionné par rapport à celui de l’année précédente...

Contrairement au tribunal administratif, la cour administrative d’appel de Paris se montre réceptive à une telle argumentation : professionnelle avertie, ayant l’usage des pratiques de la commande publique, la société requérante aurait dû être plus vigilante compte tenu des sommes en cause et alors notamment que plusieurs commandes dépassaient le seuil de mise en concurrence.

"Ainsi, la manière dont elle a répondu, sans aucune précaution, à des demandes dont un minimum de contrôle aurait pu lui faire apparaître rapidement le caractère nécessairement frauduleux, est constitutive d’une légèreté fautive de nature à exonérer pour moitié de sa responsabilité la caisse des écoles".

Le Conseil d’Etat n’y trouve là rien à redire et confirme l’arrêt de la cour d’appel sur ce point.

Conseil d’Etat, 6 juin 2012, N° 342557

[1Photo : © Peter Baxter

[2TA Melun 7 février 2008 n°0405017/2, La semaine juridique, édition administrations territoriales, n°23, 2 juin 2008

[3CE 26 juillet 1918, Rec CE 1918 p.761

[4Cour Administrative d’Appel de Paris, 10 juin 2010, N° 08PA03350 et n° 08PA03093

[5En fait on peut se demander s’il n’aurait pas fallu bien distinguer les deux périodes mais sans en tirer les mêmes conséquences que les juges du fond : avant le 1er novembre 2003 les faits sont constitutifs d’une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service ; après cette date, les agissements étant connus de l’administration, on se trouvait en situation de cumul de fautes ( faute personnelle de l’agent, faute de service caractérisée par une carence dans l’exercice du pouvoir hiérarchique).