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Fermeture administrative d’un camping et indemnisation de l’exploitant

Conseil d’Etat 11 avril 2008 n°288528

Une commune peut-elle être tenue responsable d’un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture d’un camping à la suite d’un changement d’appréciation du risque d’inondation par la commission de sécurité ?

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En 1992, un camping situé en bordure de rivière est inondé. Il est exploité jusqu’ici sans problème depuis 1978 sur autorisation préfectorale. La commission départementale de sécurité rend, le 24 mai 1994, un avis favorable à la reprise de l’activité, sous réserve de travaux complémentaires relatifs pour l’essentiel à la sécurité contre le risque d’incendie. Les propriétaires s’exécutent pour permettre la réouverture du camping au public. Mais deux ans plus tard, bien qu’aucune circonstance nouvelle ne soit apparue, l’admnisration décide de renforcer le niveau de précaution et de prévention du risque d’inondation, à la suite d’un avis cette fois défavorable à la reprise d’activité du camping, émis par la commission de sécurité le 10 juillet 1996.

Le préfet met alors en demeure le maire (commune de 97 habitants) d’ordonner la fermeture du camping "en raison du risque d’inondation brutale et de l’absence de possibilité d’évacuation en cas de réalisation de ce risque". Le maire refuse d’obtempérer.
Le préfet se substitue à lui sur le fondement des articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales. Les propriétaires et exploitants du terrain et de l’auberge demandent réparation de leur préjudice à la commune. Le tribunal adminstratif fait droit à la demande de la société qui exploite le camping mais rejette la demande indemnitaire des propriétaires. La Cour administrative d’appel de Marseille rejette pour sa part l’ensemble des demandes indemnitaires : "la seule circonstance que l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture du camping poursuivait un but de sécurité publique suffisait à exclure l’engagement de la responsabilité sans faute de l’autorité de police". Telle n’est pas la position du Conseil d’Etat :

1° "il résulte des principes qui gouvernent l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer" ;

2° "Ainsi, même en l’absence de dispositions le prévoyant expressément, l’exploitant d’une installation dont la fermeture a été ordonnée sur le fondement des pouvoirs de police dévolus au maire par le 5° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales pour prévenir les conséquences d’éventuelles inondations, est fondé à demander l’indemnisation du dommage qu’il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé".

3° "Si la commune fait valoir que la fermeture du camping était motivée par la protection de la sécurité publique, une telle circonstance ne suffit pas à exclure l’engagement de la responsabilité sans faute de l’autorité de police"

4° L’exploitant a acheté le fonds de commerce du camping antérieurement aux inondations de septembre 1992, qui ont révélé le caractère inondable de la zone ;

5° La reprise de l’activité qui avait été autorisée par un arrêté préfectoral du 27 juin 1978 "n’a pas été remise en cause après les inondations par l’autorité administrative (...). La commission départementale de sécurité a au contraire rendu, le 24 mai 1994, un avis favorable à la reprise de l’activité, sous réserve de travaux complémentaires relatifs pour l’essentiel à la sécurité contre le risque d’incendie (...). Ces travaux ont été engagés et réalisés par les propriétaires, pour permettre la réouverture du camping au public (...). L’administration, qui avait ainsi participé à l’évaluation du risque et à la définition de ces travaux, a décidé, postérieurement, sans que soit survenue aucune circonstance extérieure nouvelle, de renforcer le niveau de précaution et de prévention du risque d’inondation, à la suite d’un avis cette fois défavorable à la reprise d’activité du camping, émis par la commission de sécurité le 10 juillet 1996, en ordonnant, par un arrêté du 25 avril 1997, sa fermeture (...) Cette décision, qui a pour origine une évolution en l’espèce non fautive dans l’appréciation du risque et des précautions qu’il appelle, emporte des conséquences qui doivent être regardées dans cette mesure, comme ayant constitué un aléa excédant ceux que comporte nécessairement une telle exploitation et comme emportant pour les requérants, qui ont réalisé des travaux inutiles, des conséquences génératrices d’un préjudice anormal et spécial justifiant l’engagement de la responsabilité sans faute de l’autorité de police".

En conséquence la société qui exploite le camping est fondée à obtenir réparation, non pas de la perte de valeur du fonds (dès lors que celle-ci "trouve sa cause directe et exclusive dans la révélation dès 1992 du risque d’inondation") mais du préjudice constitué par le montant des travaux qu’elle a engagés inutilement postérieurement aux inondations de 1992 pour améliorer la sécurité du camping (soit 60 000 euros). La SCI propriétaire des locaux est en revanche déboutée de ses conclusions indemnitaires dès lors que la perte de valeur du terrain et des biens immobiliers découle de l’apparition en 1992 du risque d’inondation et ne peut être regardée comme ayant un lien direct avec la fermeture administrative du camping.

Conseil d’Etat 11 avril 2008 n°288528

[1Photo : © Kevin Penhallow