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Numérisation des archives départementales : les données publiques protégées par le code de la propriété intellectuelle

Tribunal administratif de Poitiers, 31 janvier 2013, N° 1002347

Un département peut-il protéger les fichiers numériques des archives départementales accessibles sur son site internet en interdisant notamment les techniques d’aspiration des données à des fins commerciales ?

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Oui : le travail de numérisation et de structuration des données issues des archives départementales constitue une base de données susceptible d’être protégée par le code de la propriété intellectuelle. Rien n’oblige le département à délivrer une licence et à céder ces fichiers notamment à des entreprises qui proposent des services de recherches généalogiques. La loi de 1978 prévoyant le libre accès aux documents administratifs ne contraint pas le département à permettre l’aspiration libre de ces données à partir du site internet dès lors que les documents restent librement consultables à la bibliothèque des archives départementales ou sur le site internet. Une telle protection ne constitue pas plus un abus de position dominante et une atteinte à la libre concurrence en l’absence de toute commercialisation de ces données par le département.

Le département de la Vienne créé un ensemble de fichiers numériques permettant le stockage permanent des archives départementales ainsi que l’accès à celles-ci par l’intermédiaire d’un site internet. Les registres de l’état civil et les registres paroissiaux des communes du département de la fin du 17è siècle jusqu’au 19è siècle sont ainsi numérisés et accessibles au public. Les informations sont classées et structurées, permettant des recherches à partir des noms d’une commune ou d’une paroisse, d’un patronyme ou d’une profession.

Après huit années de travail minutieux et un investissement de 230 000 euros, les fichiers ne manquent pas de susciter les convoitises de sociétés privées proposant des services des recherches généalogiques.

Soucieux d’éviter un piratage de ces données à des fins commerciales, le département réserve la communication des fichiers numériques aux seules personnes et organismes qui poursuivent une mission de service public, la consultation libre des données restant par ailleurs possible via le site internet ou en consultation à la bibliothèque des archives.

Une entreprise conteste cette restriction estimant que le département ne pouvait interdire les techniques d’aspiration des données à partir du site internet. Elle invoque un abus de position dominante et une violation des dispositions de l’article 10 de loi du 17 juillet 1978 aux termes desquelles "Les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er, quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus".

Le tribunal administratif de Poitiers déboute la société requérante et donne raison au département sur le fondement du code de la propriété intellectuelle : compte tenu de l’investissement matériel, humain et technique qu’il a nécessité, ce travail présente le caractère d’une base de données susceptible d’être protégé.

"C’est, par suite, à bon droit que le département s’est prévalu, en qualité de producteur de bases de données, de la protection prévue par les dispositions de l’article L342-1 du code de la propriété intellectuelle."

Peu importe que les dispositions du 2° cet article précisent que les droits du producteur de bases de données peuvent faire l’objet d’une licence : ces dispositions n’obligent en rien le producteur à délivrer une telle licence.

La société requérante ne peut pas utilement invoquer les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 : en effet l’interdiction de la cession des fichiers numériques ne fait pas obstacle à la liberté de réutilisation consacrée par la loi en ce qui concerne les informations publiques contenues dans les documents. Comme tout un chacun, la société requérante est en effet libre de consulter les documents sur le site internet dédié ou en se rendant à la bibliothèque des archives départementales.

Quant à l’argument de l’atteinte au libre jeu de la concurrence et de l’abus de position dominante, il n’est pas plus recevable, le département ne commercialisant pas ces informations publiques.

Voilà un jugement de nature à rassurer les départements et qui apporte des précisions utiles sur une matière sensible puisqu’il touche aussi à la protection des données personnelles contenues dans les archives. Les appels à la prudence du ministère de la culture (suivre le lien proposé en fin d’article) n’en restent pas moins d’actualité.

Tribunal administratif de Poitiers, 31 janvier 2013, N° 1002347

[1Photo : © Valery Potapova