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Accident survenu à un apprenti, le maire responsable ?

Tribunal correctionnel de Poitiers, 12 avril 2012, n° 604/12

Un maire peut-il être déclaré responsable de l’accident survenu à un apprenti qui s’est blessé en utilisant un motoculteur non conforme bien que l’élu n’ait pas été personnellement informé de la défectuosité du matériel ?

 [1]


Oui s’il n’ a pas délégué ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité à une personne dotée de l’autorité, des compétences et des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions. En sa qualité de "chef d’établissement" il appartient en effet au maire de s’assurer de la santé et de la sécurité au travail de ses préposés, y compris des apprentis qui effectuent un stage dans la commune. Peu importe que l’attention du maire n’ait pas été attirée sur la défectuosité du matériel à l’origine de l’accident. L’élu ne saurait pas plus invoquer sa méconnaissance des textes pour tenter de s’exonérer : à défaut d’avoir lui-même les compétences techniques, ou d’être entouré de subordonnés maîtrisant cette compétence, il lui appartient de confier le contrôle du matériel, comme cela a d’ailleurs été fait après l’accident, à un prestataire extérieur.

Un élève en deuxième année de bac pro "travaux paysagers" effectue un stage auprès des services techniques d’une commune poitevine [2].

Il est victime d’un accident alors qu’il est chargé de décompacter les gravillons de l’aire de jeu d’une école maternelle avec un motoculteur, ses jambes étant prises dans les fraises de l’engin. Un autre stagiaire a pu venir couper l’alimentation du motoculteur mais les blessures sont déjà importantes : avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 15 %, la voie de l’horticulture est désormais fermée au jeune apprenti [3].

A l’issue de l’enquête, le maire et la commune, personne morale, sont poursuivis pour blessures involontaires. Plusieurs éléments à charge sont retenus.

Eléments à charge


Apprentis sans surveillance

Incapable d’expliquer les circonstances exactes de l’accident, la victime explique que son maître d’apprentissage lui a donné des instructions pour la matinée avant de le laisser seul sur le chantier avec un autre stagiaire.

Un ancien agent de la commune évoque une certaine pression hiérarchique en terme de productivité émanant du directeur des services techniques et du directeur général, ce qui explique pourquoi selon lui, les deux stagiaires se sont retrouvés seuls sur le chantier.

Le responsable du centre de formation des apprentis n’exclut pas que le maître d’apprentissage puisse laisser un jeune sur le chantier s’il estime ce dernier suffisamment expérimenté pour exécuter la tâche de manière autonome. Il décrit d’ailleurs la victime comme un bon élément donnant satisfaction en stage.

L’agent de maîtrise et maître de stage explique que s’il a toujours suivi le stagiaire au cours de sa première année de formation, il pouvait désormais lui arriver de laisser seul pendant une heure, le stagiaire étant censé acquérir de l’autonomie au cours de sa deuxième année de formation. Ce d’autant que la victime est habitué de la méthode de décompactage des gravillons.


Tenue de travail trop ample

De faible gabarit (taille 36), la victime se plaint d’avoir été équipée d’une tenue de travail trop ample ( taille 38). A tel point que son pantalon était qualifié de "baggy" [4] par ses collègues et devait être maintenu par une ceinture.

L’expert en horticulture mandaté après l’accident estime que la grande taille des vêtements a pu favoriser l’absorption de la jambe par les fraises du motoculteur et expliquer les difficultés de la victime à se relever rapidement.


Matériel non conforme

Le motoculteur litigieux n’était pas équipé d’une poignée de sécurité dit "homme mort" qui a pour avantage de couper automatiquement l’alimentation dès que l’utilisateur lâche la poignée. Or depuis le 5 décembre 2002 [5], tout motoculteur, quelle que soit sa date de fabrication, doit être équipée d’un tel dispositif.

L’expert estime que ce système de sécurité, peu onéreux [6], était nécessairement connu des services techniques et aurait pu éviter l’accident. De fait, le chef d’équipe au service des espaces verts fait état d’un incident précédent avec le même motoculteur qui avait tendance à se cabrer : acculé contre un arbre après avoir enclenché la marche-arrière, il n’avait pas eu le réflexe de couper le moteur et avait dû sauter par dessus l’engin pour éviter d’être blessé. Il reconnaît ne pas avoir signalé l’incident à la chaîne hiérarchique.

La victime aurait d’ailleurs attiré l’attention sur ce point de non conformité du matériel mis à sa disposition et se serait vu répondre par la maître d’apprentissage : "oui je sais mais bon"...


Utilisation inappropriée du motoculteur

Le travail sur sol gravilloneux avec un motoculteur est considéré comme inadapté par l’expert même s’il avait été équipé de fraises spéciales pour effectuer ce type d’opération. La nature du sol a ainsi augmenté le risque de déséquilibre. Ce d’autant que le motoculteur était utilisé en vitesse rapide alors même que le manuel d’utilisation recommandait l’usage des petites vitesses pour le travail en terrain pierreux. De fait, depuis l’accident, ce type de travail est effectué à la bêche.


Contrôle technique défaillant

L’expert rappelle que les motoculteurs sont soumis à un contrôle technique de sécurité réalisé soit par un organisme reconnu, soit en interne par un agent chargé des fonctions d’inspection des règles d’hygiène et de sécurité (ACFI).

Or seule une légère procédure de maintenance du matériel était organisée par la commune consistant à remplir une fiche signalant une panne ou une défectuosité au mécanicien responsable de l’entretien des machines ; à charge pour ce dernier d’effectuer les réparations ou de les confier à un prestataire extérieur et de consigner les interventions dans un cahier.

Le maire convient que les services techniques n’avaient pas nécessairement la qualification juridique requise pour évaluer les risques et actualiser la mise en conformité des appareils au regard des nouvelles normes.

Ce n’est que postérieurement à l’accident que la commune a confié au bureau Veritas, déjà chargé de l’inspection de la sécurité des bâtiments, le soin de contrôler la conformité des matériels et du parc des machines.


Ni ACMO, ni document unique

Au jour de l’accident [7], aucun agent chargé de la mise en œuvre des règles d’hygiène et de sécurité (ACMO) n’avait été nommé par la commune. Le maire explique ce manquement par l’absence de formation dispensée par le centre de gestion de la fonction publique territoriale de son département.

La commune a également fait l’impasse sur la rédaction du document unique, pourtant obligatoire depuis fin 2002. L’expert désigné après l’accident ne manque pas de relever cette carence.


Le jugement du tribunal


Relaxe de la commune

Si les personnes morales de droit public [8] peuvent engager leur responsabilité pénale c’est uniquement pour les activités susceptibles de délégation de service public.

S’appuyant sur la définition de l’article L14411 du CGCT, le tribunal se livre à une analyse sur le caractère délégable ou non de l’activité en question pour écarter toute responsabilité de la commune :

" est une activité susceptible de faire l’objet d’une délégation de service une activité ayant pour objet la gestion d’un tel service lorsque, au regard de la nature de celui-ci et de l’absence de dispositions légales ou réglementaires contraires, il peut être confié, par la collectivité territoriale, à un délégataire public ou privé rémunéré, pour une part substantielle, en fonction des résultats de l’exploitation".

En premier lieu le tribunal rappelle que l’article L6222-23 du code du travail étend aux apprentis le bénéfice des règles relatives à l’hygiène et à la sécurité, et ce y compris lorsque l’employeur est une personne morale de droit public.

Pour autant, le dommage est survenu à l’occasion de l’entretien des espaces verts appartenant au domaine communal, voire à l’occasion de l’entretien des jeux attenant à une école primaire. Or, poursuit le tribunal, "si le critère tenant au risque d’exploitation tend à se substituer dans la jurisprudence administrative sur l’identification de la délégation de service public, il n’en demeure pas moins qu’une rémunération non directement liée à l’exploitation du service caractérise par la même une activité non délégable". Aucune disposition législative ou réglementaire n’autorisant en l’espèce la perception de redevance sur l’usage de ce service public, le tribunal en déduit qu’il s’agit d’une activité non susceptible de délégation de service public, d’où la relaxe de la commune [9]


Condamnation du maire

Le tribunal pose les règles sans détour : le maire est un "chef d’établissement n’ayant pas délégué ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité". En cette qualité il lui appartient de "s’assurer de la santé et de la sécurité au travail de ses préposés".

Partant le maire ne saurait invoquer son ignorance des textes relatifs à l’obligation d’équiper le motoculteur d’une poignée "main morte", de consigner les risques auxquels sont exposés les agents dans un document unique, ou de désigner un ACMO.

Peu importe dans ces conditions que l’attention du maire n’ait pas été attirée sur la défectuosité du matériel en question : à défaut d’avoir lui-même les compétences techniques, et à défaut d’être entouré de subordonnés maîtrisant cette compétence, le maire pouvait tout à fait confier le contrôle du matériel, comme il l’a d’ailleurs fait après l’accident, à un prestataire extérieur.

L’argumentation du prévenu relative à l’absence de formation dispensée par le centre de gestion de la fonction publique ne saurait davantage prospérer : l’ACMO n’a qu’un "rôle préventif et non la responsabilité d’assurer la santé et la sécurité au travail, attributions revenant au maire".

Ainsi le fait pour le maire de ne pas avoir veillé au respect de la réglementation constitue une faute caractérisée de nature à engager sa responsabilité. En répression l’élu est condamné à 1500 euros d’amende avec sursis.

Tribunal correctionnel de Poitiers, 12 avril 2012, n° 604/12

[1Photo : © Ason

[2Moins de 10 000 habitants

[3Bien indemnisé par l’assureur de la commune, le jeune apprenti a changé de cursus et s’est reconverti comme opticien.

[4Anglicisme désignant un pantalon très ample.

[5Décret 98-1084 du 2 décembre 1998

[650 euros.

[7En mars 2004.

[8A l’exception de l’Etat

[9Ce nouvel exemple démontre toute la difficulté à manier la notion d’activité susceptible de délégation de service public et plaide pour un abandon pur et simple de cette condition. Ce d’autant qu’en restreignant ainsi le champ de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public, les victimes sont incitées à rechercher prioritairement la responsabilité des personnes physiques.