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Conséquences de l’abrogation par le Conseil constitutionnel de l’article 222-33 du code pénal réprimant le harcèlement sexuel

Conseil constitutionnel, 4 mai 2012, n° 2012-240

Les poursuites pour harcèlement sexuel abandonnées en raison de la décision du Conseil constitutionnel abrogeant l’article 222-33 du code pénal pourront-elles être reprises si le législateur adopte un nouveau texte ?

Non : le principe de non rétroactivité des lois pénales plus sévères s’y oppose. Autant l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal est d’application immédiate aux affaires non définitivement jugées, autant l’adoption probable d’un nouveau texte d’incrimination ne pourra avoir aucun effet rétroactif. Cependant, selon les circonstances propres à chaque espèce, l’abandon des poursuites en cours du chef de harcèlement sexuel, ne signifie pas pour autant que les personnes mises en cause ne devront pas répondre de leurs actes. D’autres qualifications (violences volontaires, agressions sexuelles notamment) peuvent en effet, le cas échéant, être retenues à leur encontre.

Un adjoint au maire d’une commune de 35 000 habitants est poursuivi pour harcèlement sexuel sur plainte de trois agents lui reprochant de nombreux gestes déplacés [1]. Condamné par la Cour d’appel de Lyon [2] à trois mois de prison avec sursis, 5 000 euros d’amende, et à une interdiction d’exercer toute fonction ou emploi public pendant trois ans, l’élu saisit le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) invoquant l’imprécision du texte d’incrimination.

Le Conseil constitutionnel lui donne raison et juge l’article 222-33 du code pénal contraire au principe de la légalité des délits et des peines. Ce grand principe de droit pénal, issu de la Révolution, a en effet pour corollaire une exigence de précision et de clarté dans la définition des incriminations. A défaut, il s’agit d’un chèque en blanc donné par le législateur au juge pour définir ce qui est pénalement répréhensible. Le justiciable n’est plus alors en mesure, à la simple lecture du texte, de savoir si la ligne jaune est franchie.

De fait les dispositions de l’article 222-33 du code pénal, dans leur nouvelle rédaction issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, sont pour le moins laconiques :

"le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende".

Difficile, dans ces conditions, de déterminer les éléments constitutifs de l’infraction.

Initialement, le législateur avait été pourtant plus précis : la loi du 22 juillet 1992 créant l’infraction exigeait l’usage « d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ».

Le texte avait été une première fois amendé par une loi du 17 juin 1998 pour étendre la répression à l’exercice de "pressions graves". Mais la loi du 17 janvier 2002, qui institue par ailleurs le délit de harcèlement moral, dans un souci répressif, avait supprimé toute précision quant à la nature des manifestations du harcèlement, aboutissant au texte laconique censuré par le Conseil constitutionnel.

Applicable immédiatement à toutes les affaires en cours non définitivement jugées, cette abrogation rend caduques les poursuites exercées de ce chef. C’est que le principe d’application immédiate des lois pénales plus douces, dite "rétroactivité in mitius", rendait juridiquement hasardeuse une application différée d’une telle abrogation. De fait dans une décision rendue le 21 février 1992 [3] avait dénié même au législateur le pouvoir de différer l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus douce :

"Considérant que, dans les domaines de sa compétence, il est du pouvoir du législateur organique, sous réserve de l’application immédiate des mesures répressives plus douces, de fixer les règles d’entrée en vigueur des dispositions qu’il édicte".

Cela ne signifie pas pour autant que toutes les procédures en cours seront abandonnées. Selon les faits reprochés aux prévenus, d’autres qualifications sont en effet envisageables [4]. De fait, une association contre les violences faites aux femmes au travail demandait également la censure du texte, reprochant au parquet des poursuites trop systématiques du chef de harcèlement sexuel au détriment de qualifications plus adaptées à la gravité des comportements dénoncés.

Nul doute que le prochain parlement, quelle que soit sa couleur politique, s’attellera rapidement à la rédaction d’un nouveau texte conforme aux exigences constitutionnelles. Il reste que le principe de non rétroactivité des lois pénales plus sévères s’opposera à ce que le nouveau texte soit rendu applicable aux faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de ladite loi.

Conseil constitutionnel, 4 mai 2012, n° 2012-240

[1enlacement des épaules, bises, caresses sur les mains et les cuisses

[2Cour d’appel de Lyon, 15 mars 2011

[3Conseil Constitutionnel, n°92-305 DC du 21 février 1992

[4Violences volontaires, agressions sexuelles notamment.