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Marchés publics : favoritisme par abstention

Cour de Cassation Chambre criminelle 27 septembre 2006 N° de pourvoi : 06-81300

Un cahier des charges ne doit pas favoriser par ses silences le titulaire d’un marché qui dispose d’informations que ne possèdent pas les autres candidats.


En octobre 1998, des travaux d’adduction d’eau et d’assainissement d’un syndicat intercommunal sont confiés par appel d’offres à une entreprise pour un montant d’un peu plus d’un million de francs auxquels se sont ajoutés plusieurs avenants majorant le prix initial de 50 % .
Au cours de l’année 1999, quatre factures d’un montant total de plus de 350 000 francs sont émises par l’attributaire du marché sans appel d’offres ni même avenant. Le contrôle de la légalité demande en vain à l’autorité territoriale l’annulation du marché.

En septembre 2001, une enquête préliminaire est ouverte par le parquet pour déterminer les conditions dans lesquelles a été passé le marché public du 2 octobre 1998. Le président du syndicat intercommunal est poursuivi pour favoritisme, le chef d’entreprise pour recel. Relaxés en première instance, les prévenus sont condamnés en appel à payer une amende de 4 000 euros pour le premier et de 3 000 euros pour le second, ce que confirme la Cour de cassation.

Si les magistrats retiennent la prescription s’agissant d’un marché de régularisation passé le 5 mai 1998, ils considèrent que le délit de favoritisme est caractérisé s’agissant du marché du 2 octobre 1998 et ses avenants.
En prenant notamment appui sur le courrier adressé par la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes, plusieurs irrégularités sont ainsi relevées :

1° Les travaux ont débuté et des factures ont été payées avant que le marché ne soit exécutoire sans que cette anticipation ne soit justifiée par "la prétendue urgence" invoquée par l’élu.

2° Aucune quantité n’a été fournie dans le bordereau des prix unitaires au moment de l’appel d’offres ce qui s’est traduit par un taux de désistement important (sept entreprises sur douze demandes de dossier se désistant bien que certaines d’entre elles avaient une grande expérience de ce type de travaux).
La "détermination qualitative et quantitative des travaux objet du marché était d’autant plus importante en l’espèce que compte tenu des informations privilégiées dont bénéficiait l’entreprise [attributaire] du fait notamment de son expérience de travaux identiques exécutés récemment au profit du syndicat, ces informations étaient indispensables aux autres entreprises pour présenter une offre sérieuse". Dès lors "en s’abstenant de fournir ces éléments pourtant exigés par le code des marchés, le responsable du Syndicat ne pouvait ignorer qu’il rompait l’égalité des candidats et procurait ainsi un avantage injustifié à l’entreprise [retenue].

3° Les avenants signés "correspondent en l’espèce, par leur importance, la nature des prestations effectuées à des travaux supplémentaires bouleversant l’économie du marché dont ils représentent 50 % du montant initial".

4° Quatre factures d’un montant de plus de 350 000 francs ont été émises en dehors de toute procédure d’appel d’offres sans que ne soit rapportée la "preuve qu’il s’agirait de travaux non prévisibles et non programmables ou de travaux répondant à une situation d’urgence impérieuse non programmable" (déconnexion des eaux d’une fontaine avec évacuation des eaux claires dans la nature, jonction des travaux réalisés à l’intérieur d’une commune membre et la station de pompage, aménagement d’une zone industrielle et d’un réseau ancien obstrué à la suite d’un orage).

Et les magistrats de conclure "qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les dispositions du Code des marchés publics n’ont pas été respectées, ce que Claude X..., compte tenu de ses qualifications, de ses responsabilités, de sa longue expérience, ne pouvait ignorer" et "que la méconnaissance de ces dispositions notamment dans l’organisation de l’appel d’offres, dans la commande de travaux supplémentaires réglés à l’entreprise sous la forme d’avenants ou hors marché ont eu pour conséquence de rompre l’égalité des candidats et la liberté d’accès au marché, et n’a pas permis le respect de la libre concurrence".

Quant au chef d’entreprise condamné pour recel de favoritisme les magistrats relèvent :
 qu’il "ne peut raisonnablement soutenir au vu des imprécisions du dossier d’appel d’offres, du temps qu’il déclare avoir passé sur le terrain pour métrer et effectuer le relevé de niveaux que le marché répondait aux exigences du Code des marchés publics et qu’il n’avait pas conscience des informations privilégiées dont il bénéficiait du fait des relations entretenues avec le président du syndicat intercommunal et des travaux précédemment effectuées" ;

 "qu’il ne peut pour échapper à sa responsabilité pénale, faire valoir que seule la personne morale qu’il représente (...) est susceptible d’avoir profité d’un avantage injustifié" dès lors "qu’il a lui même à titre personnel profité des revenus que lui procurait l’exécution de ce marché".