
Cass crim 14 décembre 2005, N° de pourvoi : 05-83274 Inédit
Quoi de plus tentant pour ce maire d’user de ses fonctions publiques pour régler à son avantage un problème privé de voisinage. 10 ans de procédures aboutiront finalement à sa condamnation pour prise illégale d’intérêts avec 5 ans d’inéligibilité à la clef.
Un couple d’exploitant agricole s’installe en 1990 sur une commune pyrénéenne de 330 habitants. Leur propriété est mitoyenne avec celle du maire, lui-même agriculteur. En 1995, le fils de ce dernier prend sa succession tant à la mairie qu’à la ferme.
Un chemin traverse la propriété du couple pour desservir celle de la famille du maire et d’une tierce propriété convoitée pour les perspectives d’agrandissement qu’elle offre. Sur sollicitation des nouveaux arrivants, qui souhaitent clore leur propriété destinée à l’élevage ovin et à la chasse, le conseil municipal adopte le 7 mai 1992 un protocole autorisant le requérant à fermer le chemin, alors qualifié de chemin rural, au moyen d’une barrière mobile sous réserve de permettre le passage des véhicules de secours et d’incendie.
En janvier 1994, le maire de la commune, faisant valoir qu’il était lui-même utilisateur du chemin, s’oppose aux restrictions de passage telles que définies dans le protocole. C’est le début d’un engrenage qui trouvera son épilogue judiciaire par la condamnation du maire pour prise illégale d’intérêts.
Retour sur les différents épisodes de cette affaire.
– le 5 février 1994, le voisin installe un obstacle sur le chemin afin d’empêcher le passage de tout véhicule ;
– le 15 février 1994, le conseil municipal engage une action en justice contre l’exploitant ;
– le 23 février 1994, le conseil municipal accepte la signature d’un nouveau protocole d’accord aux termes duquel la municipalité cède au couple l’ensemble des chemins connus ou à découvrir traversant sa propriété contre rétrocession d’une assiette de chemin en bordure de propriété à usage des riverains ;
– le 5 juin 1994, le maire établit un barrage pour bloquer l’accès des voisins à leur propriété provoquant l’intervention des gendarmes ;
– le 8 juillet 1994, le conseil municipal exige l’agrandissement de la voie de contournement avant de déclarer le protocole caduc faute de publication...
– le 14 octobre 1994, le maire fait opposition à la déclaration de travaux de clôture déposée par son voisin. Sur recours préfectoral, cet arrêté est annulé devant le tribunal administratif ;
– le 20 octobre 1994, une réunion de conciliation est organisée à la préfecture. Le préfet signifie au maire que le protocole d’accord signé en février 1994, ayant reçu un commencement d’exécution, devait être respecté.
– le 4 janvier 1995, le maire, en son nom personnel, assigne ses voisins afin que la nature rurale du chemin soit reconnue.
– le 6 juin 1995, le tribunal qualifie la voie de chemin d’exploitation appartenant aux propriétaires des fonds traversés mais par arrêt du 9 octobre 2001 (six ans plus tard...), la Cour d’appel de Montpellier infirmera ce jugement qualifiant la voie de chemin rural !
– entre-temps le 3 octobre 1995, le couple assigne la commune en homologation du protocole signé en 1994 et en demande de dommages-intérêts. Par jugement du 1er avril 1997, confirmé en appel, la commune est condamnée à leur payer plus de 2 millions de francs de dommage-intérêts.
– en juillet 1999 la tierce propriété, voisine de celle du maire et objet de toutes les convoitises, est mise en vente. Un couple de parisiens se porte acquéreur à hauteur d’un million de franc. Il sollicite la SAFER pour exercice du droit de préemption et fait alors une surenchère de 10 % dans le but de gagner du temps et de trouver des partenaires locaux ayant la qualité d’agriculteurs pour finaliser un projet agricole seul susceptible de prospérer auprès de la SAFER. Ils créent à cette fin une société avec le... nouveau maire (fils du précédent) !
– C’est le projet dans lequel est associé le maire, qui le 4 janvier 1996, est retenu par la commission de préemption sous réserve qu’une solution soit apportée au règlement global des chemins, la SAFER élaborant en ce sens un nouveau protocole d’accord. Mais lors de la réunion de concertation, la discussion tourne court, le maire, invité à titre de personne privée, se présentant avec une partie du conseil municipal.
– pour dénoncer ce mélange de genre, le voisin du maire entame une grève de la faim qui n’empêche pas le conseil d’administration de la SAFER, le 22 février 1996, de confirmer l’avis du comité technique départemental.
– le 5 septembre 1997, le couple de parisiens associés au maire se désiste faute de financement. Le maire trouve un autre associé mais la SAFER jugeant qu’il s’agit là d’une modification de l’économie initiale du projet relance, le 9 décembre 1997, la procédure de consultation.
– C’est la proposition d’un troisième agriculteur qui est retenue le 22 janvier 1998. Un accord conclu sous l’égide de la SAFER prévoit une rétrocession d’une partie de la propriété au maire et réglemente l’utilisation des chemins dans des termes similaires à ceux prévus en 1994... En avril 1998, le maire puis le conseil municipal donnent leur accord à la conclusion de ce protocole.
– le 16 mai 1998 l’acquéreur pressenti renonce finalement à son projet compte-tenu de "querelles de clochers" entourant ce projet.
– la SAFER prononce alors la rétrocession du mas convoité aux voisins du maire mais le 10 octobre 1998, l’acheteur se désiste en raison du prix demandé par la SAFER.
– le 2 novembre 1998, le directeur de la SAFER lance un nouvel appel à candidature qui aboutit à une vente fractionnée de la propriété au maire et à deux jeunes agriculteurs...
Le 22 novembre 2004, 10 ans après le début du contentieux, le tribunal correctionnel de Perpignan condamne le maire pour prise illégale d’intérêts à 1 an d’emprisonnement avec sursis et 5 ans de privation des droits de vote et d’éligibilité. Peine confirmée par la Cour d’appel de Montpellier (CA Montpellier 24 mars 2005, jurisData n°2005-285692) puis la Cour de cassation (Cass crim 14 décembre 2005, N° de pourvoi : 05-83274). En effet le maire "est intervenu à plusieurs reprises, au sein du conseil municipal qu’il présidait dans le règlement du litige l’opposant à [son voisin]" alors même qu’il s’agissait d’un différend purement privé tant que la voie était qualifiée de chemin privé. En outre "il ressort des éléments du dossier et de la chronologie des événements que [l’élu] n’a eu de cesse de lier le règlement de ce problème à celui de l’acquisition du Mas dont - de notoriété publique- il convoitait depuis longtemps la partie jouxtant sa propriété composée de bâtiments en ruine, qu’il souhaitait restaurer pour agrandir le mas familial".
CE QU’IL FAUT EN RETENIR :
Un maire redevient un citoyen lambda lorsqu’il a un différend privé avec un particulier. Il ne doit pas user de ses fonctions publiques pour tenter de résoudre à son avantage le litige sous peine de se rendre coupable de prise illégale d’intérêts.