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Prise illégale d’intérêts : l’avis du préfet n’est qu’un avis !

Cass crim 30 juin 2004, inédit

Séparation des pouvoirs oblige : l’avis - même écrit - du préfet n’engage en rien le juge pénal qui, dans cette affaire, a pourtant vu un signe de la bonne foi du maire dans le fait qu’il ait "pris la peine d’interroger la préfecture sur la légalité de son projet".

En 1991, une commune limousine (2000 habitants), souhaitant créer une réserve foncière à vocation artisanale, achète des terrains dont l’un appartient au premier adjoint chargé de l’espace rural et de la carte communale.

Consulté sur la légalité du projet, le préfet répond par note manuscrite que cette transaction est possible dès lors que l’adjoint concerné s’abstient de participer à la délibération. Ce qui est fait. Sur plainte avec constitution de partie civile de trois administrés, l’adjoint et le maire n’en sont pas moins poursuivis pour prise illégale d’intérêts.

Les plaignants font en effet observer que la décision de constituer une réserve foncière au lieu dit avait été prise de concert entre le maire et son premier adjoint, "lesquels se sont employés à obtenir une décision favorable du conseil municipal en justifiant d’une impossibilité de constituer cette réserve au lieu initialement choisi par le conseil par des difficultés rencontrées auprès des propriétaires des parcelles situées en ces lieux".

Or, poursuivent-ils, ces difficultés ont été largement provoquées par les élus qui leur ont proposé un prix dérisoire sans les informer de celui proposé par l’expert... Ces arguments font mouche devant le tribunal correctionnel qui condamne les deux élus.

Seul le maire interjette appel de cette décision. Bien lui en prend. Dans un arrêt rendu le 27 juin 2003, la Cour d’appel de Limoges le relaxe aux motifs :

 qu’il a pris la peine de s’inquiéter auprès de la préfecture de la légalité du projet et qu’il a suivi les formes prescrites dans la note manuscrite ;

 qu’il a signé "les actes de vente sur mandat express du conseil municipal après que celui-ci ait délibéré collégialement"

 "que les décisions du conseil municipal ont été prises dans l’intérêt de l’agglomération"

 "qu’il n’est pas démontré qu’il "ait eu la volonté de concourir à la prise illégale d’intérêt sur le fondement de laquelle le premier adjoint a été condamné"

 "qu’il ne peut lui être reproché d’avoir noué les contacts nécessaires pour mener à bonne fin l’opération projetée qui ne revêtait aucun caractère occulte" ;

 "que les parcelles appartenant à l’adjoint étaient situées au coeur du programme immobilier si bien qu’elles étaient indispensables à la réalisation de l’opération de création d’une réserve foncière à vocation artisanale sur la partie ouest de la commune envisagée après les élections de 1989 correspondant aux engagements pris lors de la campagne électorale dans une profession de foi qui a reçu l’adhésion des électeurs..."

- "que le conseil municipal est fondé à passer outre à l’avis d’estimation du service des domaines et il n’apparaît pas que les prix de vente retenus soient exorbitants par rapport au prix du marché et à la jurisprudence de la chambre d’expropriation de la cour d’appel de Limoges concernant des parcelles comparables relativement proches".

Bien qu’ils aient obtenu la condamnation du premier adjoint, les plaignants se pourvoient en cassation pour contester la relaxe du maire. Ils relèvent en effet que le maire est propriétaire de terrains "situés à proximité de la réserve foncière" et qui se trouvent ainsi de facto valorisés par l’opération ! Il est vrai qu’en parlant "d’intérêt quelconque", le texte d’incrimination laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. La cour de cassation ne se laisse pas abuser pour autant : opposant l’appréciation souveraine des juges du fond, elle confirme la relaxe du maire.