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Rappel : en cas de poursuites pénales la protection fonctionnelle n’est pas automatique

Tribunal Administratif d’Amiens 26 février 2024 N° 2102069

Un ancien maire condamné pour prise illégale d’intérêts et pour harcèlement moral peut-il obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle de la collectivité ?

 
Très difficilement. En effet, l’octroi de la protection fonctionnelle suppose que l’élu n’ait pas commis de faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Or il est de jurisprudence constante que la recherche d’un intérêt personnel constitue une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle. Et la prise illégale d’intérêts, comme des faits de harcèlement moral, peuvent induire que l’élu a recherché un intérêt personnel. C’est ainsi à juste titre, tranche le tribunal administratif d’Amiens, qu’un conseil municipal a refusé d’accorder la protection fonctionnelle à un ancien maire condamné pour de tels faits, l’élu ayant "fait usage, à des fins personnelles, de ses prérogatives de maire de la commune dans des conditions fautives". De tels agissements "doivent, en raison des responsabilités dont est investi le maire d’une commune et au regard de leur incompatibilité avec les obligations qui s’imposent à lui dans l’exercice de ses fonctions, être regardés comme présentant un caractère de gravité les rendant détachables de l’exercice par ce dernier de son mandat". Attention : il a été jugé dans d’autres affaires que l’octroi trop large de la protection fonctionnelle pouvait caractériser un détournement de fonds publics. 
 

Condamnation pénale

Un maire est condamné (commune de moins de 200 habitants) pour harcèlement moral et prise illégale d’intérêts sur plainte de la secrétaire de mairie.
 
S’agissant des faits de harcèlement moral, il est reproché au maire d’avoir formulé à l’encontre de la secrétaire un ensemble de griefs injustifiés, tels que l’aménagement de ses horaires de travail, la violation de son devoir de réserve du fait de la distribution de tracts par son fils (membre du conseil municipal), la communication de l’avertissement dont elle avait été l’objet au deuxième adjoint du maire, ou ne reposant sur aucune preuve tangible, comme l’interversion de feuillets des listes d’émargement ou la diffusion d’informations destinées à nuire au maire. La Cour de cassation (Cass. crim. 26 novembre 2019, 18-87.0460) approuve la condamnation dès lors que les énonciations des juges d’appel mettent en évidence, à la charge du maire, des agissements répétés, au sens de l’article 222-33-2 du code pénal commis dans un contexte professionnel et qui excédent son pouvoir de direction.
 

S’agissant des faits de prise illégale d’intérêts il était reproché au maire d’avoir remplacé la secrétaire de mairie par... son épouse. Le maire se défendait en faisant valoir que :

1° le recrutement et la nomination initiale de son épouse ont été assurés par le centre de gestion et qu’il n’a fait que prolonger ce recrutement .

2° son épouse avait fait un travail effectif pour la commune et avait les compétences requises.

 

La Cour de cassation confirme sa condamnation de l’élu en rappelant que « le délit de prise illégale d’intérêt n’exige pas, en pareille circonstance, la réunion d’autres conditions tenant à l’absence de qualification de la salariée ou à l’absence de prestation fournie en contrepartie du salaire alloué ». Il importe peu par ailleurs que le contrat de son épouse ait d’abord été conclu par le centre de gestion dès lors que c’est lui-même qui pris les dispositions pour le renouveler. Le maire est condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis.

 

Protection fonctionnelle refusée

Parallèlement l’ancien maire, qui a depuis perdu son poste, sollicite la protection fonctionnelle à la nouvelle équipe municipale. Le nouveau maire rejette sa demande en lui objectant qu’il aurait dû, comme lui, souscrire une assurance personnelle payée sur ses deniers personnels. La cour administrative d’appel de Douai (Cour administrative d’appel de Douai, 2 février 2021, 19DA00890) annule ce refus pour incompétence : 
 
le maire (...) n’était, en tout état de cause, pas compétent pour se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle de M. B..., même de manière provisoire et qu’il aurait dû se borner à informer l’intéressé de l’inscription de sa demande à l’ordre du jour du prochain conseil municipal.
L’ancien maire reformule donc une demande qui est, cette fois, soumise au conseil municipal. 
 
Le conseil municipal oppose à l’ancien maire un nouveau refus par délibération en date du 28 mai 2021.
 
Saisi par l’ancien maire, le tribunal administratif d’Amiens confirme le rejet de la demande de protection. En effet e cas de poursuites pénales, l’octroi de la protection fonctionnelle est conditionnée par l’absence de faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Or en l’espèce, l’ancien maire a bien commis une telle faute. Peu importe que les juridictions répressives ne se soient pas prononcées expressément sur ce point.
 
En effet l’ancien élu a fait par à l’égard de la secrétaire de mairie, victime de harcèlement moral, de "ressentiment personnel avec intention de nuire après qu’elle a refusé, sur sa demande, d’intervenir auprès de son fils élu au conseil municipal et qu’il lui a reproché sa proximité avec un des candidats concurrent à l’élection législative de 2012".
 
L’élu a également poursuivi un mobile personnel en nommant et en renouvelant à plusieurs reprises dans le cadre de ses fonctions de maire le contrat de son épouse dans les services de la commune en qualité d’adjoint administratif de 1ère classe non titulaire :
 
M. A a ainsi fait usage, à des fins personnelles, de ses prérogatives de maire de la commune dans des conditions fautives. Ces agissements fautifs doivent, en raison des responsabilités dont est investi le maire d’une commune et au regard de leur incompatibilité avec les obligations qui s’imposent à lui dans l’exercice de ses fonctions, être regardés comme présentant un caractère de gravité les rendant détachables de l’exercice par ce dernier de son mandat. Par ailleurs, la circonstance que ni le juge administratif ni le juge pénal n’ont reconnu l’existence d’une faute détachable de ses fonctions n’a pas d’incidence sur la légalité de la décision attaquée."
 
L’octroi trop large de la protection fonctionnelle peut caractériser un détournement de fonds publics. La Cour de cassation l’a déjà précisé s’agissant de poursuites pour des faits de prise illégale d’intérêts (Cour de cassation, Chambre criminelle, 8 mars 2023, N° 22-82.229) et de condamnation pour favoritisme (Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2012, N° 11-81476). Le jugement du TA d’Amiens souligne qu’une mise en cause pénale pour harcèlement moral peut également soulever des difficultés de même nature, de tels faits pouvant caractériser une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle. La chambre criminelle ayant déjà jugé que des faits de harcèlement moral pouvaient caractériser une faute personnelle détachable (Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 mars 2021, N° 17-82.096 et N° 20-81.516), la prudence est de mise dans l’octroi de la protection à l’élu poursuivi.