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Responsabilité pénale des acteurs publics locaux : le rapport annuel 2023 est en ligne !

Dernière mise à jour le 1er février 2024

Vous l’attendiez avec impatience, le rapport annuel 2023 de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale est en ligne. Luc Brunet vous en dévoile les grandes tendances. 

Comment sont calculés ces chiffres ? 

 
Nous disposons de trois sources complémentaires : les contentieux déclarés à SMACL Assurances, les articles de presse qui relatent des mises en cause, et les décisions de justice accessibles sur les bases de données de jurisprudence. C’est un travail de fourmi qui implique de la rigueur et de l’endurance ! L’occasion de souligner le travail de l’ombre de Claire Claeys-Guillaumont et de Sandrine Dubreuil qui contribuent à ce recensement. 
 
 

N’y-a-t-il pas des angles morts ? 

Nécessairement ! Nos chiffres ne sauraient prétendre à l’exhaustivité. D’une part il y a la fameuse règle du « pas vu pas pris », d’autre part nous sommes tributaires de la médiatisation des affaires. Certaines peuvent passer sous les radars. Il faut donc prendre nos chiffres avec du recul. 
 
Pour autant un élément est à prendre à compte : les collectivités sont soumises à plusieurs regards croisés qui limitent le risque d’angles morts. Que ce soit les organismes de contrôle (CRC, services de la préfecture, AFA , HATVP, parquet…), l’opposition, les signalements internes, les contribuables, les associations de lutte contre la corruption, les associations de protection de l’environnement, la presse d’investigation, les victimes directes des infractions… Sans oublier les changements de majorité municipale qui peuvent conduire à des poursuites. 
 

Combien d’élus élus locaux sont-ils poursuivis ? 

 
La barre symbolique des 2000 élus mis en cause a été franchie sur la mandature 2014-2020, soit une hausse de 55 % par rapport à la mandature précédente. En moyenne, c’est un élu local qui fait l’objet d’une mise en cause pénale par jour. 
 
A mi-mandat, nos estimations affinées nous permettent d’anticiper une nouvelle hausse des poursuites contre les élus locaux au cours de cette mandature. Nous estimons en effet que ce sont plus de 2300 élus qui devraient être poursuivis soit une hausse de 15 %. Les années 2021 et 2022 devraient, lorsque nous aurons suffisamment de recul (nous n’avons une image fidèle d’un exercice qu’en année n+6) être proches du record constaté en 2014. 
 

Et les fonctionnaires territoriaux ? 

 
L’augmentation du nombre de poursuites pénales contre les fonctionnaires territoriaux entre les mandatures 2008-2014 et 2014-2020 est moins marquée que celle constatée pour les élus locaux mais n’en demeure pas moins significative (+26 %). Sur la mandature 2014-2020 ce sont 1026 fonctionnaires territoriaux qui ont été poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions, soit une moyenne de 171/an (un peu plus de 3 fonctionnaires poursuivis pénalement chaque semaine). En valeur absolue c’est deux fois moins que ce que nous observons pour les élus locaux alors que les fonctionnaires territoriaux sont quatre fois plus nombreux. Comme nos statistiques sont aussi le fruit des échos des affaires dans les médias, il n’est pas exclu que nos chiffres soient plus exposés à des angles morts s’agissant des fonctionnaires territoriaux qui sont moins exposés médiatiquement que ne le sont les élus locaux.
 
 

Quels sont les motifs de poursuites ? 

 
Les manquements au devoir de probité constituent, et de loin, le 1er motif de poursuites et de condamnations des élus locaux. Les atteintes à l’honneur (diffamation et dénonciation calomnieuse) et les atteintes à la dignité (injures, harcèlement moral, discrimination) complètent le podium pour les élus. On retrouve aussi les atteintes à la probité en n°1 et les atteintes à la dignité en n°3 pour les fonctionnaires territoriaux. En revanche s’agissant de ces derniers, ce sont les atteintes à la confiance (faux en écriture) qui arrivent en deuxième position des motifs de poursuites. 
 

Faut-il en conclure que les élus sont majoritairement corrompus ? 

En aucun cas ! Bien au contraire, même si nos chiffres ne sont pas exhaustifs, ils démontrent que, dans leur très grande majorité, les élus locaux sont intègres. Toutes infractions confondues, le taux de mise en cause pénale des élus est de 0,351 %. Ce taux englobe les élus de l’opposition qui sont aussi concernés tout particulièrement s’agissant du contentieux de la diffamation. Il reste que les chefs des exécutifs locaux sont nécessairement plus exposés. Toutes infractions confondues, le taux de mise en cause pénale des maires est ainsi de 2,80 %. Si l’on se concentre sur les seuls manquements au devoir de probité, le taux de mise en cause pénale des maires est de 1,15 %. Très très loin du délétère “tous pourris”. 
 
Et encore faut-il faire preuve de nuances : comme l’a rappelé à juste titre Yaël Goosz sur France Inter (“Gare au retour du tous pourris”, Edito politique du 28 novembre 2023) toutes les affaires ne sont pas du même niveau de gravité. Quand quatre élus d’une commune rurale sont condamnés pour prise illégale d’intérêts pour le vote d’une malheureuse subvention de 250 euros à une association qui organise la fête au village, ils sont comptabilisés dans nos chiffres. Pourtant on ne peut pas dire qu’ils aient porté à atteinte à l’intérêt général. De fait, si le contentieux avait été porté devant le juge administratif, on peut penser que le tribunal administratif n’aurait rien trouvé à redire quant à leur participation au vote de cette subvention à une association qui participe à l’animation du village. 
 

Est-ce à dire qu’il n’y pas d’axes de progression au sein des collectivités ? 

 
Ce serait dangereux et contre-productif de le penser. L’analyse détaillée de la jurisprudence publiée dans ce rapport démontre au contraire qu’il faut sans relâche poursuivre le travail de sensibilisation, de formation particulièrement s’agissant de la prévention des conflits d’intérêts. Le délit de prise illégale d’intérêts constitue à lui seul 40 % des poursuites pour manquements au devoir de probité contre les élus locaux. Précisément il est très facile de le commettre sans s’en rendre compte. Il est impératif de faire des piqûres de rappel régulières car, pris dans le train-train quotidien ou dans l’urgence, les élus peuvent oublier des règles de prudence. Le référent déontologue, obligatoire depuis le 1er juin 2023, doit pouvoir les y aider. 
 
Dans un sondage mené du 25 au 30 octobre 2023 auprès de 1500 personnes, 87% des répondants disent avoir le sentiment que les personnes exerçant le pouvoir ou des responsabilités importantes sont corrompues. Si les maires et les fonctionnaires territoriaux ont une meilleure image, il ressort néanmoins de cette enquête Toluna/Harris Interactive réalisée pour la Fondation Jean Jaurès et le mouvement Transparency France, que les maires seraient corrompus pour 41 % des personnes sondées et les fonctionnaires territoriaux pour 46 % des répondants ! Très loin de nos constats chiffrés mais cette perception ne peut qu’interpeler les responsables publics et montre une forte attente et une vigilance particulière des citoyens sur ces enjeux éthiques. 
 
Pour autant une réforme législative pour mieux cibler la répression sur ceux qui ont vraiment porté atteinte à l’intérêt général ne serait pas du luxe. Il n’est pas de bonne politique pénale de mettre dans le même sac de rares élus malhonnêtes avec ceux qui sont de totale bonne foi et qui n’ont recherché qu’à satisfaire l’intérêt général. Les premiers en trouvent argument pour se disculper, les seconds se trouvent cloués au pilori injustement et apparaissent aux yeux de l’opinion comme corrompus, alors qu’ils ont l’intérêt général chevillé au corps. 
 

Quelle est l’issue des procédures ? 

En moyenne le taux de condamnation des élus locaux poursuivis (rapport du nombre de condamnations sur le nombre de poursuites) est de 37,7 %. Celui des fonctionnaires territoriaux est de 36,1 % Ainsi plus de six élus et fonctionnaires poursuivis sur dix bénéficient finalement d’une décision qui leur est favorable. Sur la mandature 2014-2020, nous avons enregistré au 30 septembre 2023, 524 condamnations d’élus locaux (toutes infractions confondues). Ce nombre va encore évaluer à la hausse  : nous estimons que plus de 750 élus devraient au final être condamnés à l’achèvement des procédures. Ainsi près de 1300 poursuites devraient se solder favorablement pour les élus poursuivis au cours de la mandature 2014-2020. En appliquant le taux de condamnation moyen constaté jusqu’ici, nous pouvons estimer que ce sont près de 900 élus qui seront condamnés pour des mises en cause intervenues pendant la mandature 2020-2026. Ainsi plus de 1400 élus locaux poursuivis au cours de cette mandature devraient bénéficier d’une décision qui leur est favorable. L’occasion de souligner toute l’importance du principe de la présomption d’innocence ! 
 
 
Mais même soldée par une relaxe, une procédure pénale n’est jamais neutre pour un élu, y compris sur sa vie privée. Aux yeux de l’opinion publique le mal est fait :
 
“même dans la relaxe, demeure souvent le poison d’un doute” souligne à juste titre Yaël Goosz dans son édito politique (op.cit) 
 
 

Un dernier mot ? 

Il y a deux dangers par rapport au risque pénal : 
1. Croire que cela n’arrive qu’aux autres ; 
2. Voir du risque partout et ouvrir le parapluie systématiquement.

Dans les deux cas c’est l’action publique locale qui en pâtit. Entre ces deux excès, il y a place pour un juste milieu qui consiste à analyser le risque lucidement et en adoptant les bons comportements.
 
Ce rapport annuel est à ce titre un très bon outil non seulement au regard des éléments statistiques fournis mais également par les résumés de jurisprudence qu’il contient et qui permettent de mieux cerner où se situent les vrais dangers pour pouvoir mieux les prévenir. Car la base de toute politique de prévention repose sur l’identification préalable du risque. Ce rapport doit vous y aider pour vous éviter de venir alimenter nos prochaines statistiques ! 
 
Un grand merci à Hélène Poumet, Sandrine Dubreuil, Claire Claeys-Guillaumont et Elise Lebarque de la Direction juridique et Conformité ainsi qu’à Marina Tellier, Cécile Charrier, Emilie Fleuriault et Eva Kaplanis de la direction Développement et communication de SMACL Assurances SA pour leur précieuse contribution à ce rapport. 
 
Le replay de notre webinaire de présentation des chiffres 2023 avec le regards croisés d’experts sur le référent déontologue est diponible (cliquer sur l’image)
 

Pour consulter et télécharger le rapport cliquez sur l’image ci-dessous