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Assurance et protection des agents et des élus agressés ou mis en cause

AJ Collectivités Territoriales novembre 2023 p.610

Dans son numéro de novembre l’AJCT consacre un dossier à l’assurance des collectivités. L’Observatoire SMACL est heureux d’avoir contribué à la rédaction d’un article consacré l’assurance et la protection des agents et des élus agressés ou mis en cause. L’occasion notamment de présenter le futur mécanisme d’octroi de la protection fonctionnelle des élus agressés et de revenir sur la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation de mars 2023 qui conduit de facto à réduire le champ de la protection fonctionnelle. Merci à l’AJCT de nous avoir autorisé à reproduire l’article sur notre site.

L’article en PDF pour un meilleur confort de lecture

 

Les élus municipaux [1] , départementaux [2], régionaux [3], et les agents publics [4] bénéficient de la protection de leur collectivité dans l’exercice de leurs fonctions lorsqu’ils sont victimes d’agressions ou lorsqu’ils sont mis en cause pénalement.

Cette protection n’est cependant pas automatique et peut soulever des questions juridiques, voire alimenter des controverses politiques. D’où l’intérêt pour les élus locaux comme les fonctionnaires territoriaux de souscrire une assurance personnelle, dont la prime est à leur charge, qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions.

Soulignons, en préambule, qu’avant que le législateur ne reconnaisse expressément le droit à la protection des élus locaux, la jurisprudence administrative avait reconnu le droit à la protection comme constituant un principe général du droit applicable à l’ensemble des agents publics entendu au sens large [5].

Toutefois, si tous les agents (fonctionnaires comme contractuels) bénéficient bien de la protection fonctionnelle, il n’en est cependant pas de même pour les élus locaux.

Il convient en premier lieu d’observer que les exécutifs communautaires ne bénéficient expressément de la protection fonctionnelle de leur établissement public que lorsqu’ils sont mis en cause, et non lorsqu’ils sont victimes. L’article L. 5211-15 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ne renvoie en effet qu’aux seules dispositions de l’article L. 2123-34 du même code qui ne vise que la situation où l’élu est poursuivi pénalement. Si cet oubli n’a pas nécessairement d’incidences pratiques, compte tenu de la reconnaissance par le juge administratif d’un principe général du droit, il est surprenant que le législateur n’ait pas expressément étendu le dispositif de la protection dans son intégralité aux élus communautaires.

En second lieu, le CGCT ne protège expressément que les seuls exécutifs locaux. S’agissant des communes, seuls sont ainsi visés « le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation ». Un conseiller municipal sans délégation n’est donc pas protégé. La reconnaissance par le juge administratif de l’existence d’un principe général du droit pourrait laisser penser qu’une telle protection doive être étendue à tous les élus. Mais des arrêts récents ont pris le contre-pied de cette intuition en refusant expressément la protection fonctionnelle à des élus non titulaires de fonctions exécutives : « les élus territoriaux investis de fonctions exécutives sont placés dans une situation et soumis à des contraintes différentes de celles que connaissent les membres de l’assemblée délibérante ne disposant d’aucune délégation. Dans ces conditions, en accordant aux seuls élus investis de fonctions exécutives un droit au bénéfice de la protection fonctionnelle en cas de violences, menaces ou outrages subis dans l’exercice de ces fonctions, les dispositions des articles L. 2123-34 et L. 2123-35 du CGCT ne sauraient être regardées comme méconnaissant de ce seul fait le principe de non-discrimination garanti par l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » [6].

Les conseillers municipaux sans délégation ont donc tout intérêt à souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leur mandat. Ce d’autant qu’ils ne seront automatiquement protégés en cas d’accident qu’au cours de l’exécution d’un « mandat spécial » [7]. Or la notion de mandat spécial pour les conseillers municipaux est plus restrictive que celle d’exercice des fonctions applicable aux maires et aux adjoints ; le conseiller municipal doit rapporter la preuve qu’il était spécialement mandaté par sa collectivité pour effectuer la mission à l’occasion de laquelle il a été victime d’un accident (alors que dans les mêmes circonstances, les maires, ou les adjoints dans leur domaine de délégation, seront présumés avoir agi dans l’exercice de leurs fonctions). Mais nous ne sommes pas ici dans le champ de la protection fonctionnelle stricto sensu, laquelle recouvre les deux hypothèses de l’élu ou de l’agent agressé et celle de l’élu ou de l’agent mis en cause.

Protection des élus et des agents agressés

Des chiffres inquiétants

Les agressions dont sont victimes les élus locaux dans l’exercice de leurs fonctions sont en constante augmentation. Selon les remontées effectuées auprès du ministère de l’Intérieur par les préfectures, ce sont ainsi 2265 élus qui ont signalé en avoir été victime en 2022, soit une hausse de 32 % par rapport à 2021. Les premiers chiffres connus pour l’année 2023 confirment cette tendance : 1 914 agressions contre des élus ont été recensées entre janvier et septembre 2023, ce qui laisse envisager une nouvelle hausse de près de 13 % cette année. Et il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg, de nombreux élus renonçant à déposer plainte ou à signaler les faits.

Selon une étude de la DARES [8] conduite auprès d’agents territoriaux en contact avec le public :

 41,6 % déclarent vivre des « situations de tension » avec les usagers ;

 19,3 % déclarent avoir été victimes au moins d’une agression verbale de la part du public dans l’année et 1,7 % d’une agression physique ou sexuelle.

Les agents territoriaux interrogés font aussi état pour 11,7 % d’entre eux d’agressions verbales, et pour 0,4 %, d’agressions physiques ou sexuelles de la part de collègues ou de supérieurs.

Les élus et les agents protégés ainsi que leurs proches

Dès lors que l’agression, qu’elle soit physique ou verbale, a lieu à l’occasion ou du fait des fonctions de l’élu ou de l’agent, celui-ci a droit à la protection fonctionnelle de la part de sa collectivité. La protection de la collectivité est également due à l’entourage de l’élu ou de l’agent. Sont ainsi protégés les conjoints, enfants et ascendants directs des exécutifs locaux et des agents [9] lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages. La protection de la collectivité est également due à l’entourage proche de l’élu ou de l’agent si ce dernier est décédé dans l’exercice de ses fonctions ou du fait de ses fonctions, à raison des faits à l’origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu’exerçait l’élu décédé. Malheureusement, l’actualité a montré que ce dispositif pouvait trouver à s’appliquer.

Une agression physique ou verbale

Le CGCT vise les « violences, menaces ou outrages » dont l’élu peut être victime à l’occasion ou du fait de ses fonctions. Le code général de la fonction publique (CGFP) est plus complet en visant quant à lui « les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages ». Il aurait été cohérent que le législateur retienne la même formulation pour les élus. Une lecture stricte des textes et une comparaison pourraient en effet laisser penser que les élus sont moins protégés que ne le sont les fonctionnaires. Il n’en est rien en pratique, le juge administratif ayant souligné qu’il résulte des travaux parlementaires, « notamment de la discussion au Sénat sur l’amendement de la commission des lois dont est issue la rédaction finalement adoptée des deux premiers alinéas de l’article L. 2123-35 précité du CGCT, que le législateur a, par ces dispositions, clairement entendu étendre aux élus locaux la protection assurée aux fonctionnaires par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, aux termes duquel la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions » [10]. Un élu de l’exécutif victime de diffamation de la part d’un élu d’opposition peut ainsi, comme un fonctionnaire, obtenir le bénéfice de la protection de la collectivité.

Une agression à l’occasion ou du fait des fonctions

La protection fonctionnelle n’est due que si l’agression a eu lieu « à l’occasion ou du fait de leurs fonctions » pour les élus et « en raison de leurs fonctions » pour les agents. Ces expressions sont similaires et induisent que l’élu, comme l’agent, peuvent bénéficier de la protection même si l’agression a lieu dans un cadre privé dès lors que c’est en leur qualité d’élu ou d’agent qu’ils étaient visés. Inversement, l’élu ou l’agent ne bénéficie pas de la protection si c’est un motif d’ordre privé, comme un conflit de voisinage ou familial, qui est à l’origine de l’agression quand bien même celle-ci serait survenue dans l’exercice des fonctions. L’agression d’un agent de police municipale pendant son service alors qu’il se rendait en civil dans un magasin pour retirer une dotation en équipement n’a pas été considérée comme une agression à l’occasion de ses fonctions [11] car il n’était pas visé en cette qualité. Ce qui n’empêche pas en revanche que cette agression soit qualifiée d’accident de service. Inversement, un élu ou un agent agressé à son domicile du fait de ses fonctions, en représailles par exemple à la suite d’un contentieux opposant l’auteur des faits à la collectivité, bénéficie de la protection fonctionnelle.

Un motif d’intérêt général peut justifier un refus de protection

Un motif d’intérêt général peut justifier un refus de protection en cas d’agression. C’est par exemple à bon droit qu’une administration a refusé la demande de protection d’une agent contractuelle visée dans un tract syndical et qui souhaitait poursuivre une procédure en diffamation, les juges soulignant « l’existence d’un climat gravement et durablement conflictuel au sein du service, qui résultait au moins pour partie du comportement de l’intéressée ». Pour justifier le refus, les juges relèvent que la poursuite de l’action en diffamation engagée ne pouvait qu’aggraver le climat tendu au sein du service, ce qui était susceptible d’avoir une incidence sur la qualité du service [12]. Ce type de circonstances reste très exceptionnel et l’octroi de la protection ne soulève en principe pas de difficultés. Des débats peuvent néanmoins surgir lorsque l’agression ou les attaques opposent un agent à un autre agent ou à un élu. Dans cette hypothèse, ou bien la collectivité dispose d’éléments pour trancher en faveur de l’un des protagonistes, sous le contrôle du juge administratif en cas de contestation, ou elle pourra être conduite, au moins dans un premier temps, à accorder la protection aux deux. Si le maire est visé par une procédure engagée par un agent, il lui appartient de se déporter en ce qui concerne la demande de protection, celle-ci devant alors être examinée par un adjoint [13].

La presse régionale se fait en outre régulièrement l’écho de clivages politiques lorsqu’un élu de la majorité demande la protection après des propos tenus par un opposant, le groupe d’opposition pouvant alors être tenté de dénoncer l’utilisation de deniers publics pour brimer la liberté d’expression.

Vers nouveau régime d’octroi de la protection pour les élus

La proposition de loi n° 648 sur la sécurité des élus locaux et la protection des maires a été adoptée par le Sénat le 10 octobre dernier après engagement de la procédure accélérée par le gouvernement. L’article 3 vise à modifier la rédaction de l’article L. 2123-35 du CGCT en posant le principe de l’octroi automatique de la protection fonctionnelle pour les maires, adjoints et conseillers délégués victimes de violences, de menaces ou d’outrages à l’occasion ou du fait de leurs fonctions qui en ont fait la demande - la procédure d’attribution de la protection est en revanche inchangée lorsque l’élu est poursuivi pénalement. Un mécanisme similaire existe pour les exécutifs départementaux et régionaux. La nouvelle procédure serait alors la suivante :

 les adjoints ou conseillers délégués adressent leur demande de protection au maire ;

 si c’est le maire qui demande la protection, il adresse sa demande à tout élu le suppléant ou ayant reçu délégation ;

 un accusé de réception est délivré ;

 la protection est automatique dès transmission de la demande à la préfecture ou à la sous-préfecture.

Information - Les membres du conseil municipal sont informés dans les cinq jours francs suivant la date de réception par la commune et cette information est automatiquement portée à l’ordre du jour de la séance la plus proche du conseil municipal mais sans vote sur le sujet.

Délibération - Le conseil municipal peut retirer ou abroger la décision de protection accordée à l’élu par une délibération motivée prise dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle il a été informé, dans les conditions prévues aux articles L. 242-1 à L. 242-5 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Par dérogation à l’article L. 2121-9 du CGCT, à la demande d’un ou de plusieurs de ses membres, le maire est tenu de convoquer le conseil municipal dans ce même délai.

Différence de la procédure d’attribution - À l’heure où nous écrivons ces lignes (mi-octobre 2023), le texte n’a pas été définitivement adopté, l’Assemblée nationale devant encore se prononcer. Sauf retournement de situation, il devrait l’être. Si tel était bien le cas, cela accentuerait la différence de procédure d’attribution de la protection fonctionnelle selon la qualité de la personne attaquée ;lorsqu’il s’agit d’un agent de la commune qui est victime, il appartient au maire [14] d’accorder ou non la protection après examen ; lorsque la victime des violences, des menaces ou des outrages est un élu, la protection est automatiquement accordée si elle est demandée, sauf opposition du conseil municipal dans les quatre mois par une délibération motivée.

Nature des attaques - Observons qu’un débat pourra notamment s’ouvrir sur nature des attaques, notamment pour les élus diffamés ou injuriés, pour savoir s’ils ont été visés en tant qu’élu (ce qui ouvre droit à la protection automatique) ou en qualité de simple particulier (auquel cas la protection de la collectivité n’est pas due).

Rôle - Un autre débat pourra aussi s’ouvrir sur le point de savoir si l’élu a été attaqué en tant que représentant de la commune ou comme agent de l’État. L’article 5 de la proposition de loi complète en effet l’article L. 2123-35 du CGCT pour préciser que c’est l’État qui doit accorder la protection lorsque l’élu agit en qualité d’agent de l’État : « Lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation agit en qualité d’agent de l’État, il bénéficie, de la part de l’État, de la protection prévue aux articles L. 134-1 à L. 134-12 du code général de la fonction publique. » Une telle nuance existait déjà lorsque l’élu était mis en cause pénalement ; il en serait désormais aussi de même en cas d’agression.

Obligation d’assurance pour les communes

Depuis la loi Engagement et proximité [15], les communes ont l’obligation de s’assurer pour couvrir leurs obligations de protection à l’égard des élus. Cette nouvelle obligation d’assurance ne concerne que les communes (les EPCI, les départements et régions ne sont pas visés) pour la protection des seuls élus. Une telle obligation d’assurance (avec prise en charge par l’État pour les communes de moins de 3500 habitants ; seuil porté à 10 000 habitants par la proposition de loi précitée) n’existe pas en revanche pour les agents. Pour la protection de ces derniers, les collectivités peuvent donc faire le choix de ne pas s’assurer. Il reste qu’en pratique, les contrats d’assurance souscrits par les collectivités couvrent généralement les élus comme les agents.

Réparation du préjudice

Lorsqu’un élu ou un agent est agressé à l’occasion ou en raison de ses fonctions, il appartient à sa collectivité de réparer le préjudice qui en est résulté. La question s’est posée de savoir si la collectivité était tenue de se substituer à l’auteur des faits qui serait insolvable. Le Conseil d’État [16] a répondu par la négative : « si la protection instituée par les dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 comprend, le cas échéant, la réparation des préjudices subis par un agent victime d’attaques dans le cadre de ses fonctions, elle n’entraîne pas la substitution de la collectivité publique dont il dépend, pour le paiement des dommages et intérêts accordés par une décision de justice, aux auteurs de ces faits lorsqu’ils sont insolvables ou se soustraient à l’exécution de cette décision de justice, alors même que l’administration serait subrogée dans les droits de son agent ». En revanche, il appartient à l’administration dont relève l’agent, saisie d’une demande en ce sens, « d’assurer une juste réparation du préjudice subi du fait des attaques » dirigées contre son agent.

Constitution de partie civile en soutien de la victime

La collectivité peut se constituer partie civile, par voie d’intervention, et non par voie d’action, en soutien de l’élu ou de l’agent agressé à l’occasion ou du fait de ses fonctions. La Cour de cassation [17] a ainsi jugé que « l’action directe que peut exercer, au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale, la collectivité publique subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé suppose que l’action publique a été mise en mouvement, soit par la victime elle-même, soit par le ministère public ».

La loi du 24 janvier 2023 [18] a étendu cette possibilité s’agissant des faits dont sont victimes les élus locaux. Sont désormais visées de manière générale toutes les infractions prévues :

 au livre II du code pénal consacré aux crimes et délits contre les personnes : atteintes à la vie, atteintes à l’intégrité physique ou psychique, mise en danger délibérée de la vie, atteintes aux libertés, atteintes à la dignité ou à la personnalité de l’élu. Ce qui inclut notamment l’article 223-1-1 du code pénal, infraction créée par la loi du 24 août 2021 qui rend passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’un élu permettant de l’identifier ou de le localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens ;- au livre III du code pénal relatif aux crimes et délits contre les biens : vol, extorsion, dégradation, destruction, dégradations...

 à loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (diffamation, injures).

Jusqu’à présent, depuis la loi du 15 juin 2000 [19], seules les associations départementales de maires pouvaient se constituer partie civile aux côtés de l’élu victime sous réserve d’avoir obtenu l’accord de celui-ci et que l’action publique ait préalablement engagée. La même possibilité n’était pas ouverte aux associations nationales. La loi du 24 janvier 2023 remédie à la situation en modifiant l’article 2-19 du code de procédure pénale en ce sens.

L’AJCT (disponible sur abonnement), dans son numéro 11/2023, a publié un dossier intitulé « Collectivités et assurances », constitué des articles suivants :

- Négociation du contrat d’assurance : optimiser l’évaluation des risques pour dégager des marges de manoeuvre, par F. Belacel, p. 598 ;

- Focus sur l’auto-assurance des collectivités territoriales, par F. Belacel, p. 601 ;

- Les réparations des émeutes urbaines, par J.-C. Jobart, p. 602 ;

- Assurances des collectivités territoriales et commande publique : comme un funambule sur un fil, par J.-D. Dreyfus, p. 606 ;

- Assurance et protection des agents et des élus agressés ou mis en cause, par L. Brunet, p. 610.

Protection des élus et des agents poursuivis pénalement

Les élus et les agents qui sont poursuivis pénalement dans l’exercice de leurs fonctions ont droit à la protection de leur collectivité sous réserve que les faits ne présentent pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de leurs fonctions. Il appartient à la collectivité de se prononcer sans connaître l’issue de la procédure et sans être liée par le principe de présomption d’innocence. La collectivité doit se livrer à sa propre appréciation en fonction des éléments dont elle dispose au moment de la demande.

Critères caractérisant une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection

Trois critères, alternatifs et non cumulatifs, permettent d’apprécier l’existence d’une faute personnelle détachable. Dans deux décisions rendues le 30 décembre 2015 [20], le juge des référés du Conseil d’État les a synthétisés ainsi :

 « présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé,

 qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques,

 ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité ».

Dans les deux espèces qui lui ont été soumises et qui concernaient un même élu, le juge des référés du Conseil d’État a ainsi estimé que :

 poursuit un mobile d’ordre privé, le maire qui fait acquérir par la commune deux voitures de sport, sans rapport avec les besoins de l’administration communale et dont il se sert principalement à titre privé tout en abusant de la carte de carburant mise à sa disposition ;

 des propos d’incitation à la haine raciale sont incompatibles avec les obligations qui s’imposent à un élu ou à un agent public dans l’exercice de fonctions publiques.

Le Conseil d’État prend néanmoins le soin de souligner que « ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions, et justifiant dès lors que le bénéfice du droit à la protection fonctionnelle soit refusé au maire qui en fait la demande ». Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un élu est poursuivi pour des faits qualifiés d’intentionnels selon le code pénal que la protection doit automatiquement lui être refusée.

Une position de la chambre criminelle qui pose question

Articulation - Il convient d’articuler la doctrine du Conseil d’État avec celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui est moins favorable pour les élus et les agents poursuivis pénalement [21].

Un maire (d’une commune de plus de 10 000 habitants) avait été poursuivi et condamné en première instance pour prise illégale d’intérêts. Il lui était reproché d’avoir mis gratuitement à la disposition d’une association exploitant une radio, des locaux, des matériels et des agents de la commune, et d’avoir participé à l’attribution par cette commune de subventions à cette association dont il avait été président honoraire. Il a finalement été relaxé par la cour d’appel [22]. Mais entre-temps, la chambre criminelle s’était positionnée sur les poursuites engagées contre ce même élu pour détournement de fonds publics. En effet, l’élu avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle pour les poursuites engagées à son encontre. Il avait pris soin de ne pas prendre part au vote. Le procureur de la République a cependant engagé des poursuites pour détournement de fonds publics estimant que la protection fonctionnelle ne pouvait lui être accordée en présence d’une faute personnelle détachable.

La chambre de l’instruction n’avait pas jugé abusif l’octroi de la protection fonctionnelle. Les juges soulignent en effet :

 que le jugement condamnant l’élu « pour prise illégale d’intérêts n’est pas définitif en raison de l’appel interjeté par le prévenu,

 que de surcroît aucun texte légal n’édicte que le délit de prise illégale d’intérêts constitue, de droit, une faute détachable de l’exercice des fonctions publiques qui prive l’élu condamné du droit de demander la protection fonctionnelle,

 et qu’enfin aucune des deux délibérations ayant accordé [au maire] ladite protection n’a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt dès lors que « les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur ». Peu importe dans ces conditions que l’élu n’ait pas participé à la délibération ; « la circonstance que [le maire], qui a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n’a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l’ayant octroyée, n’était pas en soi de nature à exclure l’existence d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction ».

Cette position est bien entendu valable pour les agents dans les mêmes conditions.

 

Nuance - Pourtant, le délit de prise illégale d’intérêts, comme le délit de favoritisme, peuvent être caractérisés sans que l’élu ou le fonctionnaire n’ait retiré un avantage personnel, ni porté atteinte aux intérêts de la collectivité. L’affirmation du principe selon lequel la prise illégale d’intérêts caractérise nécessairement une faute personnelle détachable mériterait dans ces conditions d’être nuancée en fonction des circonstances de chaque espèce.

 

Portée semblable - La chambre criminelle [23] s’était déjà prononcée dans un sens similaire. En l’espèce, le président d’une collectivité territoriale avait été condamné pour avoir accordé la protection fonctionnelle à l’ancien président (et opposant politique !) poursuivi pour délit de favoritisme dans l’exercice de ses fonctions. Peu importe que la délibération octroyant la protection eût été votée à l’unanimité ; « les infractions de favoritisme sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leurs auteurs, obligés d’en supporter personnellement les conséquences ».

 

Risque - En posant comme principe que la protection fonctionnelle ne peut être accordée en cas de poursuites pour prise illégale d’intérêts ou favoritisme, qui sont des infractions formelles et peuvent être caractérisées facilement sans que l’élu ait recherché un intérêt personnel ni commis une faute d’une particulière gravité, la Cour de cassation ne permet pas la nuance d’une appréciation au cas par cas en fonction des circonstances de chaque espèce. En l’état de cette jurisprudence, il est donc fortement périlleux pour une collectivité d’octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle à un élu ou à un agent qui est poursuivi pour un manquement au devoir de probité [24]. C’est en effet s’exposer à d’éventuelles nouvelles poursuites pour détournement de fonds publics. En cas de doute sur la nature de la faute, les collectivités seront sans doute plus réticentes à accorder la protection, le risque juridique d’un refus (recours devant le tribunal administratif) étant moindre que celui d’une éventuelle procédure pénale ouverte en cas d’acceptation de la demande. Et ce nonobstant le principe de la présomption d’innocence. Or les manquements au devoir de probité constituent le premier motif de poursuites des élus locaux comme des fonctionnaires territoriaux et, d’une manière générale, 60 % des élus et des fonctionnaires poursuivis bénéficient au final d’une décision qui leur est favorable [25].

 

Assurance personnelle - D’où l’intérêt renforcé pour les élus et les fonctionnaires de souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions. La cotisation étant payée sur leurs deniers personnels, le déclenchement de la garantie ne supposera pas une délibération du conseil municipal pour les élus, ou une décision de l’autorité territoriale pour les fonctionnaires.

 

Contentieux marginal - Ce n’est que lorsque l’élu ou l’agent est poursuivi pour des infractions non intentionnelles (homicide et blessures involontaires par exemple) que la protection de la collectivité ne soulèvera pas de difficultés particulières. Mais il s’agit d’un contentieux marginal (les violences involontaires représentant 4,4 % des poursuites engagées contre les élus locaux et 10,4 % des poursuites engagées contre les fonctionnaires territoriaux - Rapport annuel de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale). En effet, s’agissant des infractions non intentionnelles, la Cour de cassation estime qu’en dépit de graves fautes d’imprudence qui peuvent être imputées à l’agent public, seule la responsabilité de l’administration peut être engagée [26].

 

Procès Xynthia - Ainsi, dans le procès Xynthia, la cour d’appel de Poitiers a, contrairement aux premiers juges, estimé que seule la responsabilité civile de la commune de la Faute-sur-Mer pouvait être recherchée, le maire n’ayant pas commis de faute personnelle détachable du service [27]. Rappelant que l’élu était poursuivi pour des infractions non intentionnelles, la cour d’appel de Poitiers souligne en effet que celui-ci n’a pas eu d’intention de nuire, ni voulu privilégier ses intérêts personnels ou s’enrichir au détriment de ses administrés ou de tiers, ni plus généralement poursuivi un intérêt étranger au service. La chambre criminelle de la Cour de cassation [28], dans la droite ligne de sa jurisprudence, reprend à son compte ces éléments pour en conclure que la cour d’appel de Poitiers a justifié sa décision en considérant que les manquements imputables au prévenu ne constituaient pas une faute personnelle.

 

Distinction - Il y aurait sans doute matière à distinguer aussi selon les situations en matière non intentionnelle, le degré de gravité des fautes imputées aux élus et aux agents pouvant varier. Une faute d’une particulière gravité pourrait caractériser une faute personnelle malgré le caractère non intentionnel de l’infraction, tout comme, inversement, une faute de service ouvrant droit à la protection pourrait être retenue dans certaines hypothèses où des élus sont poursuivis pour prise illégale d’intérêts ou favoritisme. La chambre criminelle de la Cour de cassation semble privilégier la qualification retenue sans vouloir entrer dans la nuance de chaque cas d’espèce, ce qui incite à la plus grande prudence dans l’octroi de la protection par les collectivités en cas de mise en cause pénale d’un élu ou d’un agent dans la très grande majorité des situations. La protection fonctionnelle serait alors principalement réservée aux situations où l’agent public est agressé en raison de ses fonctions.

[1CGCT, art. L. 2123-34 et L. 2123-35

[2CGCT, art. L. 3123-28 et L. 3123-29

[3CGCT, art. L. 4135-28 et L. 4135-29

[4Loi n° 83-634 du 13 juill. 1983, art. 11, codifié aux art. L. 134-1 à L. 134-12 du CGFP

[5CE 5 mai 1971, n° 79494, Gillet, Lebon ; CAA Bordeaux, 25 mai 1998, n° 96BX01847, André, AJDA 1998. 942 ; ibid. 886, chron. L. Benoit, A. Bézard, E. Coënt-Bochard, C. Jacquier, B. Stamm, C. Lambert, S. Brotons, G. Vivens et J.-F. Desramé.

[6CAA Nancy, 12 déc. 2019, n° 18NC02134, Assoc. Anticor, AJDA 2020. 1290, note S. Niquège ; AJFP 2020. 119, et les obs. ; CAA Nancy, 23 févr. 2021, n° 19NC00851 ; CAA Douai, 11 mai 2021, n° 20DA00184, Cne de Roubaix, AJDA 2021. 1737, concl. B. Baillard ; AJCT 2021. 480 ; S. Dyens et J. Rotivel, Flux et reflux de la protection fonctionnelle des élus locaux, AJCT 2023. 260

[7CGCT, art. L. 2123-33

[8Les rapports sociaux au travail, Synthèse • Stat’, avr. 2019 p. 138 et 147.

[9CGFP, art. L. 134-7

[10CAA Marseille, 3 févr. 2011, n° 09MA01028, Suzanne, AJDA 2011. 981 ; AJCT 2011. 241, obs. R. Bonnefont

[11CAA Lyon, 6 mars 2001, n° 00LY02429, Barbisan, AJFP 2001. 31

[12CE 26 juill. 2011, n° 336114, Mme Mirmiran, Lebon ; AJDA 2011. 1528 ; AJFP 2011. 347, et les obs.

[13CAA Douai, 3 févr. 2022, n° 20DA02055, AJDA 2022. 1412, note C. Chauvet ; AJFP 2022. 224, et les obs. ; AJCT 2022. 339, obs. O. Didriche

[14CAA Lyon, 26 avr. 2018, n° 16LY02029

[15L. n° 2019-1461 du 27 déc. 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

[16CE 9 juin 2010, n° 318894

[17Crim. 10 mai 2005, n° 04-84.633, Conseil général des Alpes-Maritimes, AJDA 2005. 1918 ; D. 2005. 1732 ; AJ pénal 2005. 332, obs. G. Roussel

[18L. n° 2023-23 du 24 janv. 2023 visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression

[19L. n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

[20CE 30 déc. 2015, nos 391798 et 391800, Cne de Roquebrune-sur-Argens, Lebon ; AJDA 2016. 5 ; ibid. 1575, note H. Rihal ; AJCT 2016. 163, obs. M. Yazi-Roman.

[21Crim. 8 mars 2023, n° 22-82.229, AJCT 2023. 433, obs. J. Lasserre Capdeville

[22Papeete, 24 mai 2023

[23Crim. 22 févr. 2012, n° 11-81.476

[24C. pén., art. 432-10

[25Rapport annuel 2022 de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale

[26Crim. 30 nov. 2010, n° 10-80.447, Bull. crim. n° 191 ; AJDA 2011. 349 ; D. 2011. 168 ; Crim. 14 mars 2007, n° 06-81.010, Bull. crim. n° 83 ; AJDA 2007. 1374 ; AJ pénal 2007. 288 ; Crim. 13 févr. 2017, n° 06-82.264, Bull. crim. n° 45 ; AJ pénal 2007. 227, obs. G. Roussel ; RSC 2007. 532, obs. Y. Mayaud ; Crim. 18 nov. 2014, n° 13-86.284, AJCT 2015. 170, obs. J. Lasserre Capdeville.

[27Poitiers, 4 avr. 2016, n° 16/00199, AJDA 2016. 1296, note C. Cans, J.-M. Pontier et T. Touret ; ibid. 631, obs. M.-C. Montecler ; D. 2016. 949, obs. F. Rousseau ; AJCT 2016. 325, obs. Y. Mayaud

[28Crim. 2 mai 2018, n° 16-83.432