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Les acteurs publics face aux risques de mises en cause et d’agressions

Synthèse illustrée et replay du 22e colloque de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale

Menacés et contraints dans l’exercice de leurs missions, près de 200 élus et agents de collectivités territoriales ont participé le 18 octobre à la 22ème édition du colloque de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale destiné à les « réarmer » moralement et techniquement dans leur engagement. La montée de violences visant leur intégrité physique, leur famille ou leurs biens a fait l’objet d’une table ronde dédiée.

 

Cette année le 22ème colloque de l’Observatoire SMACL s’est tenu à Paris le 18 octobre. Son thème était "Les acteurs publics face aux risques de mises en cause et d’agressions". Trois tables rondes ont été l’occasion d’approfondir le sujet en croisant le regard d’élus locaux, de fonctionnaires territoriaux, d’avocats ou de professeurs de droit public. Les intervenants ont également pu répondre aux questions des élus et des fonctionnaires présents dans l’auditorium ou dans la salle virtuelle.

A la clé, leur « réarmement » afin qu’ils renouvellent leur engagement et que les mandats locaux, comme les emplois dans la fonction publique territoriale, regagnent en attractivité.

La journée, illustrée par le caricaturiste de presse Jean Duverdier et animée par le journaliste territorial Bruno Leprat, a donné la parole en scène à 16 intervenants. Photos : Antoine Repessé.

 

Retour aux fondamentaux

 

Le colloque démarre à 9h par un mot de David Alphand, représentant de Jérôme Baloge, président du conseil d’administration de SMACL Assurances Mutuelle et maire de Niort, retenu dans sa collectivité. Conseiller municipal de Paris, administrateur de la mutuelle niortaise, David Alphand loue l’initiative de l’Observatoire dont « les travaux s’inscrivent dans l’accompagnement que la mutuelle doit à ses sociétaires. ».

 

Il souligne que ce colloque 2023 revient aux « fondamentaux des travaux de l’Observatoire : la protection des élus locaux et agents territoriaux », au travers de deux situations : quand « ils sont mis en cause et victimes ». Il rappelle que selon les chiffres, le risque pénal des élus « reste marginal : nous bénéficions en France d’une rigueur et d’un respect des règles chez 99% de nos élus, et un peu plus je crois. En revanche, le risque d’être agressé physiquement ou verbalement, ou diffamé dans les réseaux sociaux, augmente ».

 

Et d’ajouter : « Que ce soit dans le cas d’une mise en cause ou d’une agression, la période est vécue comme traumatisante. Un assureur doit-il faire du sentiment ? Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Par contre il est là pour sensibiliser, former, et in fine assurer quand la prévention ne permet pas de se prémunir ».

 

L’avenir de la commune et du maire


À 9h15 la sénatrice Maryse Carrère (Hautes-Pyrénées), Présidente de la Mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire à la Haute assemblée, lui succède. La commune c’est « un territoire de services et un territoire de projets » et « quand on parle de démocratie participative j’ai souvent l’habitude de dire que la première démocratie participative c’est celle des conseils municipaux ». D’où le rôle central des communes et des élus locaux. Elle souligne à ce titre que le sujet du colloque est malheureusement d’actualité et que la mission sénatoriale, qui avait pour mission originale de se pencher de manière globale sur le mal être des élus, a dû se saisir de ce sujet brûlant après l’agression du maire de Saint-Brévin-les-Pins qui a joué un rôle de détonateur.

« Le maire punching ball »

La mission sénatoriale a rendu un rapport de 140 pages intitulé « Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires » pour poser le diagnostic et dégager des solutions. Le « blues des maires » trouve sa source dans de multiples facteurs : les questions de financement des communes, dans la distanciation des liens avec les services de l’Etat, au rôle même du maire qui devient le « punching ball de l’Etat à l’échelle de sa commune », le relationnel de plus en plus difficile avec les concitoyens et le risque juridique de mise en cause. Résultat ? Un taux de vacances de sièges sans précédent.
Maryse Carrère cite l’exemple d’un maire de son département qui est poursuivi pour homicide involontaire après le décès d’un enfant de deux ans au cours de la fête au village, sa maman ayant chuté avec la poussette dans un cours d’eau. Il est reproché au maire d’avoir pris un arrêté pour l’organisation de la fête dans la salle polyvalente alors qu’elle s’est finalement déroulée en extérieur en raison des températures élevées.

« C’est la République qu’on attaque »

L’enjeu est de sécuriser et faciliter l’exercice du mandat local en assurant une diversité des profils pour trouver des candidats en 2026 car « lorsque l’on s’en prend à un élu sous quelque forme que ce soit c’est la République que l’on attaque ». « La République doit se tenir aux côtés des élus municipaux sans faillir en assurant leur protection effective des maires et des élus municipaux face aux violences par un renforcement de la protection fonctionnelle et une amélioration du dispositif judiciaire ». C’est l’objet de la Proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires adoptée en 1ère lecture au Sénat le 10 octobre 2023 dans le prolongement de la loi n° 2023-23 du 24 janvier 2023 qui permet aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression.

 

La proposition va échoir aux députés et a reçu l’appui de Dominique Faure, Ministre déléguée en charge des collectivités locales. « Nous devons plus que jamais écouter les maires qui consacrent une grande partie de leur temps libre au service des autres, insiste Maryse Carrère. Leur tâche est devenue complexe, ingrate, décourageante. Eux et nos communes sont une chance pour la vie démocratique. Les élus doivent redevenir une force libre et innovante de propositions et de projets, avec une autonomie retrouvée et une capacité d’agir réaffirmée ».

 

1ère table ronde : La réforme de la responsabilité financière des gestionnaires publics

A 9h45 Bruno Leprat accueille en tribune :
– Me Philippe Bluteau, Oppidum avocats

– Stéphanie Damarey, Professeure en droit public, vice-présidente de l’Université de Lille

– Valérie Grillet-Carabajal, Directrice territoriale en charge des assemblées, des affaires juridiques et des marchés publics de la Région Normandie

– Jean-Claude Meftah, Magistrat financier chez Chambre régionale des comptes du Centre-Val de Loire

Le contexte : applicables depuis le 1er janvier 2023, l’ordonnance du 23 mars 2022 et le décret du 22 décembre 2022 ont supprimé le régime historique de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics et des régisseurs et instauré un régime de responsabilité unifié, commun à l’ensemble des acteurs de la chaîne financière. Si l’objectif affiché de la réforme est de fluidifier l’action publique, en réservant l’intervention du juge aux fautes les plus graves, elle ne soulève pas moins de nombreuses questions et même des inquiétudes auprès des fonctionnaires et dirigeants territoriaux. A tort ?

Rendre compte du bon emploi des deniers publics


Stéphanie Damarey, professeure agrégée en droit public, vice-présidente de l’Université de Lille en charge des affaires financières et juridiques, présente la réforme dont l’objet est de conduire les gestionnaires publics à rendre des comptes de l’emploi de fonds publics.

 

Jusqu’ici il n’était pas possible de rechercher la responsabilité des ordonnateurs devant la Cour des comptes et le risque d’être sanctionné par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) était très hypothétique, celle-ci ne rendant, en moyenne, qu’entre trois et quatre décisions par an.

 

Désormais il n’existe qu’un seul juge financier pour les ordonnateurs, comptables et administrateurs. Elle souligne que la réforme fixe un seuil de tolérance en ciblant la répression sur les fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif. Paradoxalement elle relève que cette notion pourrait conduire le juge à être plus regardant pour les communes rurales, la notion de préjudice significatif pouvant être analysée de manière proportionnelle au budget de la commune.

 

Elle voit dans les trois premières décisions rendues par la Cour des comptes - Société Alpexpo (11 mai 2023), Commune d’Ajaccio (31 mai 2023) et Centre hospitalier de Sainte-Marie à Marie Galante (10 juillet 2023) des illustrations très parlantes de ce qui attend les gestionnaires publics. Y compris les élus, puisqu’un maire a été condamné à une amende pour s’être opposé à l’exécution d’une décision de justice condamnant la commune à réintégrer une fonctionnaire. En fin de compte, le texte soulève encore des interrogations dans son champ d’application et il faudra attendre de nouvelles jurisprudences pour mieux mesurer l’étendue et la portée réelle de cette réforme.

« Réforme copernicienne ou copernicieuse ? »

 

Valérie Grillet-Carabajal, directrice en charge des assemblées, des affaires juridiques et des marchés publics au Conseil régional de Normandie, décrit les « inquiétudes possibles des agents particulièrement ceux qui sont peu familiers des textes de loi et qui ne sont pas forcément en mesure d’apprécier la régularité de tous leurs process ». Cette réforme interroge tous les métiers en lien avec la gestion des fonds publics y compris des agents de catégorie B. Cette réforme peut placer les agents dans une situation délicate et conduire à un changement de paradigme. Certaines organisations syndicales en France demandent à ce que l’on identifie les « métiers à risque ». On risque aussi de voir poindre une tentation de « défausse » : lorsque les agents ont un doute, ils pourraient avoir tendance à demander une couverture par leur supérieur hiérarchique pour des tâches qu’ils avaient jusqu’ici l’habitude de faire en totale autonomie.

 

D’où sa crainte que cette réforme, qualifiée par de certains de copernicienne », ne devienne dans les faits « copernicieuse » si les collectivités ne s’approprient pas sa mise en œuvre. Une chose est sûre : la réforme réinterroge la chaîne de prise de décision et tous les acteurs y compris les experts sensés intervenir dans cette chaîne. Dès lors, les liens « élus-agents », « managers-agents », « opérationnels-juristes » vont être réinterrogés en profondeur notamment au regard de la possibilité pour le fonctionnaire de s’exonérer en invoquant un ordre reçu par des notes de couverture. Rappelons que pour être couvert par un ordre émanant d’un élu (autrement qu’une délibération) il faut que l’agent public ait préalablement informé l’élu des enjeux et risques induits par la situation (information non nécessaire lorsque l’ordre émane du supérieur hiérarchique), qu’il ait reçu un ordre écrit, spécifique, comminatoire et antérieur à son action. Cela commence à cheminer dans l’esprit des agents, souligne-t-elle.

 

Elle note que « le mouvement jurisprudentiel récent consistant à considérer que les dirigeants ont une obligation générale de surveillance et de savoir réinterroge la place et le rôle des « experts », dont les juristes, dans les process de décision ». Il pèse sur les dirigeants territoriaux une présomption de savoir général d’autant plus forte qu’il n’est pas nécessaire de démontrer, les concernant, qu’ils aient été préalablement informés d’une illégalité.

 

Et la praticienne territoriale de s’interroger : « Comment gérer au mieux et de façon non paradoxale les impératifs d’efficacité, qui enjoignent aux collectivités d’aller vite, tout en sécurisant les process ? ». Elle suggère des pistes d’appropriation de la réforme, comme l’essor et la formalisation d’une « culture d’arbitrage qui ne hiérarchise pas le droit vs opérationnel mais intègre les impératifs des deux champs », la documentation des process d’organisation interne des collectivités, la rédaction d’un guide du bon gestionnaire public et l’établissement d’une cartographie des risques « adaptée », la « vulgarisation et dédramatisation de l’éthique et la déontologie dans nos modes de faire », la meilleure compréhension du « raisonnement » de la Cour des comptes - et de sa Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) - et la mise en place de la « compliance » (ou conformité) en collectivité. La réforme doit conduire à réconcilier l’opérationnel et le juridique. Finalement la responsabilité financière, relève-t-elle, « ça marche mieux que le pénal » pour sensibiliser tous les acteurs de la chaîne. Le contentieux financier donne des lignes directrices très intéressantes aux acteurs publics et doit les conduire à la compliance avec un double devoirs de vigilance et de résilience.

Zen, soyons zen !


Me Philippe Bluteau, avocat chez Oppidum avocats, parle lui d’une réforme constructive. Une comparaison de l’ancien cadre juridique avec le nouveau, le conduit à être serein pour les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux : « les infractions sont mieux ciblées et les peines encourues sont plus légères ». Deux raisons de se réjouir. Ainsi désormais seules les fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif seront sanctionnées. C’est toujours les « dépenses indues, recettes perdues » qui seront ciblées mais à condition que la faute à l’origine soit grave et ait causé un préjudice financier signaficatif. De même l’octroi d’un avantage injustifié ne sera désormais sanctionné que si le gestionnaire public a recherché un intérêt personnel direct ou indirect. La Cour des comptes va en outre pouvoir exonérer le gestionnaire public en cas de « circonstances exceptionnelles » ce qui doit conduire le juge à faire preuve d’un pragmatisme bienvenu.

 

Quant aux peines encourues, l’amende qui pouvait s’élever jusqu’à deux ans de traitement, est rabaissée à un plafond de six mois de rémunération maximum. Sans parler de la gestion de fait où, avant la réforme, le gestionnaire de fait pouvait être condamné à payer une amende équivalente à la hauteur des sommes maniées. Désormais, le plafond c’est six mois de salaires. En outre le juge peut exonérer du paiement de tout amende le gestionnaire si le préjudice est réparé et l’infraction a cessé.

Pour résumer, poursuit-il, « non seulement on cogne moins souvent, mais on cogne moins fort ». « Je mâche peu mes mots quand des textes pénalisent les collectivités, ajoute-t-il, mais là je conviens que la réforme va dans le bon sens en invitant le juge à faire preuve de pragmatisme ».

Les élus aussi concernés

 

Directeur général adjoint de Nantes Université, en charge de la Stratégie financière et des investissements durables, Jean-Claude Meftah insiste, pour sa part, sur l’impact de la réforme sur les élus. Il s’inscrit en faux contre l’affirmation répandue selon laquelle les élus serait hors champ de la réforme. Il y a en effet au moins quatre situations dans laquelle les élus peuvent être attraits devant la chambre contentieuse de la Cour des comptes. Il explique qu’en grande partie cette réforme est le « recyclage de choses qui existaient déjà ».

 

Le petit changement, poursuit-il, c’est qu’en supprimant le régime spécifique des comptables publics, on en fait des justiciables comme les autres. Sur la gestion de fait il souligne que la réforme simplifie grandement la procédure, en dispensant le juge de reconstituer la ligne de compte, ce qui peut rendre la procédure plus attractive. Il insiste sur un point important de la réforme qui est « passé sous les radars » : lorsque les élus exercent des fonctions qui ne sont pas l’accessoire obligé de leur mandat, comme la présidence d’une société d’économie mixte par exemple, ils peuvent engager leur responsabilité financière comme n’importe quel gestionnaire public. Il serait donc hasardeux pour les élus de considérer que la réforme ne les concerne pas.

 

Ancien magistrat de Chambre régionale des comptes (à Orléans, de 2017 à 2023), il décrit l’esprit dans lequel il contrôlait l’action des collectivités : « trouver des axes de progression dans la gestion publique et les souligner dans des termes pas toujours empreints de diplomatie » concède-t-il.

Deuxième table ronde : La responsabilité personnelle des décideurs publics locaux

Sont en tribune :
– Stéphane Artano (en visio depuis Saint-Pierre-et-Miquelon), sénateur, président de la délégation aux Outre-Mer

– Luc Brunet, responsable de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale

– Aurore Rançon-Meyrel, Directrice affaires juridiques et commande publique - Vice Présidente de l’Association Nationale des Juristes Territoriaux

– Me Julia Rotivel, cabinet Goutal, Alibert & associés

Le contexte : 150 ans après la décision Pelletier du Tribunal des conflits qui pose les bases de la distinction entre faute personnelle et faute de service, et après une lente construction prétorienne qui a défini les conditions dans lesquelles les élus et les agents publics pouvaient engager leur patrimoine personnel dans l’exercice de leurs fonctions, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt en mars 2023 qui interpelle les praticiens et qui peut conduire, en pratique, à limiter drastiquement le champ de la protection fonctionnelle.

Une machine à remonter le temps judiciaire


Luc Brunet propose une remontée dans le temps en présentant les grandes décisions par lesquelles le juge à construit, par touches successives, un droit de la responsabilité des élus locaux et des agents. Il dresse un panorama des jurisprudences qui ont joué un rôle dans cette lente construction prétorienne.

 

De la décision Pelletier du Tribunal des conflits du 30 juillet 1873 à deux arrêts du Conseil d’Etat du 30 décembre 2015 définissant les critères de la faute personnelle, il rappelle que si la collectivité est responsable des fautes de service, l’élu et l’agent engagent leur patrimoine personnel en cas de faute personnelle. Avec des nuances et des zones grises qui doivent inciter les élus locaux, comme les fonctionnaires territoriaux, à s’assurer à titre personnel pour se couvrir dans l’exercice de leurs fonctions.

 

Faisant le pont avec la première table ronde, il rappelle que devant le juge pénal, l’ordre reçu ne constitue pas pour le fonctionnaire une cause d’exonération, et que la chambre criminelle a jugé, dans l’affaire des écoutes de l’Elysée, que le fonctionnaire qui exécutait un ordre manifestement illégal pouvait également engager sa responsabilité civile personnelle.

Un témoignage à visée pédagogique et une proposition


Stéphane Artano, dans une démarche de sensibilisation des élus, revient en toute simplicité sur sa condamnation en 2012 pour détournement de fonds publics. Il veut faire prendre conscience par son témoignage qu’il est très facile de se retrouver poursuivi pénalement. Il lui a été reproché, alors qu’il était président de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon d’avoir accordé la protection fonctionnelle à son prédécesseur et opposant politique qui avait été condamné dans deux dossiers pour favoritisme dans des marchés publics. Il avait pris le temps de l’instruction de la demande et de s’entourer des conseils d’un avocat et d’un juriste de la collectivité nouvellement recruté. Plus de 18 mois après la demande, la collectivité avait accordé, par une délibération adoptée à l’unanimité, la protection fonctionnelle pour un seul des dossiers. Ce qui lui a valu, à sa grande surprise, des poursuites pour détournement de fonds publics.

 

Stéphane Artano veut bien reconnaître une erreur d’appréciation, bien que l’analyse était partagée par un avocat et un juriste territorial, mais conteste tout élément intentionnel et se demande pourquoi ce contentieux a été porté devant le juge pénal. Pour éviter que les collectivités ne refusent systématiquement l’octroi de la protection fonctionnelle aux élus et agents mis en cause, par crainte de poursuites pour détournement de fonds publics, il propose que les collectivités puissent saisir le juge administratif pour avis d’une question en cas de doute sur une demande de protection fonctionnelle.

Un arrêt de la chambre criminelle qui interpelle


Julia Rotivel, avocate au cabinet Goutal, Alibert et Associés, est revenu sur un arrêt important et inquiétant de la chambre criminelle du 8 mars 2023 qui s’inscrit dans la même lignée mais avec une différence importante : l’élu qui était poursuivi, cette fois pour prise illégale d’intérêts, n’avait pas encore été définitivement jugé lorsqu’il a sollicité la protection. De fait, il a finalement été relaxé en appel des faits pour lesquels il était poursuivi. Là aussi des poursuites ont été engagées contre l’élu pour détournement de fonds publics pour avoir obtenu le bénéfice de la protection fonctionnelle, bien qu’il soit encore présumé innocent.

 

La Cour de cassation confirme le bien fondé des poursuites de ce chef par une affirmation de principe critiquable : « les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur ». Ce faisant, poursuit Me Rotivel, le juge pénal adopte une approche radicalement différente que celle du juge administratif et « raye d’un trait de plume 150 ans de jurisprudence du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits ». En l’état la solution la plus sécurisée pour les collectivités est de refuser la demande de protection, ce qui est contraire à l’intention du législateur qui devra sans doute intervenir pour régler cette situation kafkaïenne.

Une distinction à réinventer entre la faute et l’erreur

 

Aurore Rançon-Meyrel, directrice Organismes paritaires et promotion interne au CIG Petite couronne, vice-présidente de l’Association Nationale des Juristes Territoriaux souligne que l’incertitude juridique liée à l’atténuation du caractère intentionnel de certaines infractions n’est pas de nature à susciter des vocations tant chez les élus locaux que chez les fonctionnaires territoriaux. Le droit à l’erreur ne doit pas être réservé aux citoyens mais doit être aussi reconnu aux fonctionnaires et aux élus. En l’absence d’intentionnalité, une erreur n’est pas une faute, souligne-t-elle avec insistance.

 

Elle constate également une sorte de « crise de couple » entre les élus et les juristes territoriaux. Ces derniers sont parfois perçus comme étant des poils à gratter et les élus n’entendant pas toujours les alertes. « Nous, juristes, devons de notre côté marquer plus d’empathie pour les élus, ce qui doit nous conduire à avoir un langage moins hermétique et développer de nouvelles compétences comme le Legal design qui implique de se mettre à la place de l’autre pour comprendre ses problématiques ».

Troisième table ronde : La protection des élus et des agents contre les agressions

Bruno Leprat accueille en tribune :
– Christophe Bouillon, maire de Barentin, président de l’APVF

– Pierre Esplugas-Labatut professeur de droit public, adjoint au maire de Toulouse

– Catherine Lhéritier, maire de Valloire-sur-Cisse, co-présidente de la commission de l’AMF sur l’exercice des mandats

– Annick Pillevesse, Responsable du service juridique de l’AMF

– Marie-Claude Sivagnanam, vice-présidente du SNDGCT, DGS Agglo de Cergy-Pontoise

 

Contexte : En ouverture de la table ronde et pour la contextualiser, Marina Tellier qui travaille à la communication de SMACL Assurances SA, présente en avant-première quelques résultats d’une enquête réalisée par SMACL Assurances avec le Courrier des maires et Infoprodigital. Les résultats complets seront disponibles à partir du 7 novembre. Il en ressort que 64 % des élus interrogés ont déjà été victimes d’une agression dans l’exercice de leur mandat et que 76 % n’ont pas déposé plainte !
Trois affaires dominent les échanges : la mort en 2019 de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, renversé par une camionnette dont le conducteur venait de procéder à un dépôt sauvage, et les agressions à leur domicile des maires de L’Haÿ-les-Roses et de Saint-Brévin-les-Pins.

Une désinhibition inquiétante de la violence

 

Christophe Bouillon, président de l’APVF, rappelle l’augmentation de plus de 30 % du nombre d’agressions entre 2022 et 2021. Il note un « véritable glissement dans la société » avec une « désinhibition de la violence » notamment sur les réseaux sociaux. Il relève aussi un glissement dans les rapports avec les élus qui sont considérés un peu comme des « prestataires de service », le citoyens ayant laissé la place au « client » avec une perte de la notion d’intérêt général. Quelle que soit la taille de la commune, il souligne que le maire est toujours visible et est une « vitrine de la République ». Les violences verbales sont souvent des signes avant-coureur d’une violence physique.

C’est pourquoi il faut une « tolérance Zéro » vis à vis des agressions, même verbales « car les mots sont des armes ». « Il faut qu’il en coûte cher à ceux qui s’en prennent aux représentants de l’autorité publique et il est important d’intervenir le plus tôt possible et de déposer plainte systématiquement pour éviter un passage à l’acte plus grave . Trop de choses ne vont pas au bout ».

 

Avec le risque que l’on n’ait pas beaucoup de candidats en 2026 compte-tenu des risques inhérents à la fonction. Il en est de même, poursuit-il, pour l’attractivité de la fonction publique territoriale, avec des agents qui sont aussi exposés, particulièrement ceux qui sont directement au service du public.

Il juge primordial qu’un rapport soit présenté tous les ans devant l’Assemblée nationale sur les typologies des agressions des élus et les mesures qui ont été prises pour éviter le sentiment d’impunité. Il insiste sur l’importance d’avoir une traçabilité de toutes les agressions et de l’historique de la réaction. « C’est quand on mesure, qu’on peut réagir ».

 

« Appliquons déjà le cadre juridique existant ! »

 

Élu de la ville de Toulouse et professeur de droit public, Pierre Esplugas Labatut, rappelle l’agression du maire de Toulouse et d’adjoints lors de la dernière Fête de la musique, par des manifestants. Il conseille, pour une vue d’ensemble, la consultation du rapport du sénateur Philippe Bas du 2 octobre 2019 « pour une plus grande sécurité des maires ». « Ce travail contextualise la difficulté, n’est pas qu’intellectuel et propose des solutions adaptées » dit-il.

 

Il doute fortement que la solution passe par l’amélioration du dispositif juridique : « commençons déjà par l’application et l’effectivité du cadre juridique existant ! »

Il souligne néanmoins un point positif de la proposition de loi sénatoriale : l’attribution « automatique » de la protection personnelle aux maires en cas d’agression, afin d’éviter que le sujet ne fasse l’objet « de polémiques malsaines ou d’une relativisation politicienne de ce que l’élu a vécu ».

 

Mais globalement, pour résoudre cette crise de l’autorité, « la réponse n’est pas juridique mais d’abord éducative au sens large. C’est une affaire de responsabilité collective » qui passe aussi par les corps intermédiaires pour réhabiliter l’intérêt général et l’autorité. « Nous avons tous notre responsabilité en ne baissant pas les yeux devant chaque agression »

« Il y a le feu à la maison républicaine »

 

Catherine Lhéritier (Association des maires du Loir-et-Cher, maire depuis 2014) témoigne de sa préoccupation : le maire est aussi un représentant de la République et on ne peut accepter qu’il soit agressé en toute impunité. Il y a le feu à la maison républicaine au regard du nombre d’agressions des élus et du nombre de démissions en cours de mandat sans précédent. « Ici le témoignage d’une élue de ville relativement importante qui exprime sa peur suite à une agression, ce qui se concrétise par « Je ne vais porter plainte car je ne veux pas donner mon adresse personnelle »… ou là, un élu menacé de mort par un agent devant témoin, et qui apprend que son dépôt de plainte est classé sans suite par un parquetier ».

 

Il est urgent, note-t-elle, de faire évoluer le statut de l’élu. C’est l’objet d’un groupe de travail instauré au sein de l’AMF par David Lisnard. En charge à l’AMF des réflexions sur l’attractivité du mandat, elle milite pour que les associations d’élus puissent porter plainte avec son accord au nom d’un maire, ce dernier ayant souvent peur de représailles.

 

Et les agents ne sont pas épargnés et doivent aussi être protégés. En sa qualité de conseillère départementale elle attire ainsi l’attention sur les agents chargés de l’entretien des routes qui se font régulièrement insultés quand ils ne doivent pas faire des pas de côté pour ne pas être écrasés ! Dans son département, elle se réjouit d’avoir une procureur exemplaire et qui est très disponible pour les élus. Les maires peuvent s’adresser à elle directement et sont informés du suivi de leur dépôt de plainte. Le début d’une réponse pour « redresser la barre » et mettre un terme à ce « sentiment d’impuissance publique ».

Faire corps et refuser la banalisation de la violence

 

Marie-Claude Sivagnanam, DGS de Cergy-Pontoise, commence par souligner que l’erreur de diagnostic est de penser que c’est la personne qui est agressée alors que, derrière l’élu ou l’agent, c’est un symbole et un collectif qui est attaqué. Quand on attaque un maire, quand on attaque une mairie, au-delà de la personne, au-delà du bâtiment « c’est le corps collectivités locales qui est agressé ». Quand la maire et la DGA de Pointoise ont été agressées, elle s’est sentie aussi agressée personnellement.

 

Dans ces conditions « la réponse du dépôt de plainte individuel est inadapté à la charge que véhicule cette agression ». Elle propose, lorsqu’un agent est agressé, que l’employeur dépose plainte et fasse preuve de « tolérance Zéro ». Il ne faut pas banaliser les violences y compris verbales. Il n’est « pas normal que des agents viennent au travail la boule au ventre ».

 

Sa collectivité a mis en place un dispositif de signalement pour que toute agression remonte. Il faut, insiste-t-elle, « redonner de la gravité aux agressions et refuser leur banalisation ». En principe les agents les plus sujets aux agressions dans les mairies sont les agents d’accueil et les agents de police municipale. Elle note une mutation inquiétante : désormais sont aussi concernés des agents qui n’ont pas pour mission première d’être un interlocuteur des usagers. Ainsi les maîtres-nageurs qui surveillent les bassins sont de plus en plus pris à partie y compris physiquement « car les règles des piscines dont ils sont garants pour des questions de sécurité sont contestées ». Il en est de même pour les agents qui exercent dans les espaces publics qui se voient reprocher, parfois de façon très virulente, la façon dont ils travaillent !

Un soutien juridique et une écoute des maires


Annick Pillevesse contribue à l’AMF au fonctionnement de l’observatoire mis en place depuis 2020 sur les agressions envers les élus dont la finalité est d’avoir un outil qui permette de mieux cerner la réalité et l’entendue du problème mais aussi d’accompagner les élus. Les élus agressés ont besoin d’un soutien à la fois « humain et juridique ». Par exemple ils n’ont pas nécessairement le réflexe d’aller consulter un médecin pour établir un certificat médical qui constate la nature de l’incapacité.

La cellule est aussi composée d’un gendarme et d’un policier mis à disposition de l’Observatoire. « On leur donne une marche à suivre. On les appelle, on les écoute, et c’est toujours bouleversant. » Il est très important qu’ils ne se sentent pas seuls face à l’agression dont ils sont victimes. Dans cet esprit, le président de l’AMF, à l’origine de l’observatoire, adresse systématiquement un mot « personnel » aux élus qui signalent avoir été agressés.

 

Elle confirme que beaucoup d’élus renoncent à déposer plainte car ils sont sceptiques sur les chances d’une action en justice et craignent un classement sans suite. Elle conseille aux élus victimes de déposer plainte systématiquement avec constitution de partie civile et d’avertir également le procureur, par courrier séparé.

 

Elle partage la nécessité d’une écoute « dédiée et professionnelle », l’observatoire étant en lien direct avec des maires agressés. « Quand on les écoute, c’est toujours bouleversant. C’est pourquoi nous travaillons avec l’association France Victimes qui assure un suivi psychologique ».

Les phrases choc de la journée

 

La journée se termine avec un point de conclusion porté par Anne Rinnert, responsable national Ethique publique au CNFPT, partenaire de cette journée. Elle retient qu’il est primordial de sécuriser davantage l’action publique locale dans une société de plus en plus procédurière et de restaurer le respect de l’autorité de l’élu local et de l’agent public. Elle souligne cinq phrases fortes qui peuvent résumer cette journée riche :

« Soigner le mal des maires »,

« La réforme de la responsabilité financière des gestionnaires publics, une révolution copernicienne qui ne doit pas devenir copernicieuse »

« La gestion de fait un porte d’entrée vers d’autres infractions pour lesquelles on ne pouvait pas toucher les élus »

« Repenser la distinction entre faute et erreur »

« Je ne dépose pas plainte pour ne pas donner mon adresse parce que j’ai peur »

Un grand merci à Elise d’avoir assuré la logistique avec Vanessa, à Valérie d’avoir relayé les questions de la salle virtuelle, à Georgiana d’avoir animé les réseaux sociaux, à Claire d’avoir animé le tchat à distance, à Sandrine pour la gestion du volet administratif, à Emilie et à Nicolas pour la partie graphique et à Marina pour la communication sur cet évènement !
Rendez-vous est pris pour la prochaine édition du colloque de l’Observatoire SMACL, le 16 octobre 2024. Retenez dès maintenant la date sur votre agenda !

En coulisses