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I. Adaptations et dérogations en matière de commande publique
Sur le fondement de l’article 2 de la loi du 25 juillet [2] l’ordonnance du 26 juillet prévoit différentes mesures temporaires afin d’accélérer et de simplifier les procédures de passation des marchés publics et faciliter ainsi le retour au fonctionnement normal des services publics dans les meilleurs délais.
La direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie a publié une fiche technique présentant l’ordonnance du 26 juillet 2023 (PDF) |
1. Possibilité d’utiliser la procédure négociée sans publicité mais avec mise en concurrence préalable (article 1)
Une circulaire du 5 juillet 2023 rappelle que le code de la commande publique prévoit déjà la possibilité de conclure des marchés sans publicité ni mise en concurrence préalable pour faire face à des situations relevant d’une urgence impérieuse que les acheteurs peuvent mobiliser pour réaliser les travaux de réparation ou de reconstruction qui ne souffrent d’aucun délai. Néanmoins, cette procédure, qui est encadrée par des conditions strictes rappelées dans la circulaire, ne peut pas être appliquée à l’ensemble des travaux nécessaires à la réfection ou à la reconstruction des ouvrages touchés. C’est pourquoi l’ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 adapte les règles de passation des marchés de travaux afin de faciliter le retour au fonctionnement normal des services publics dans les meilleurs délais.
Ainsi, les acheteurs pourront recourir à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché , mais avec mise en concurrence, pour l’attribution des marchés de travaux nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements pour :
– l’attribution des marchés de travaux nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments endommagés dès lors que leur montant est inférieur à 1,5 millions d’euros hors taxes ;
– les lots dont le montant est inférieur à 1 000 000 d’euros hors taxes, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
La circulaire rappelle que « la mise en concurrence devra être organisée de manière à garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique, notamment l’égalité de traitement des candidats mais aussi l’exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics. Les acheteurs qui auront recours à cette procédure dérogatoire devront veiller à conserver tout document permettant de démontrer que son usage était justifié au regard des conditions prévues par l’ordonnance et que la mise en concurrence des |
2. Autorisation de recourir au marché unique quel que soit le montant (article 2)
Selon l’article L. 2113-11 du code de la commande publique « l’acheteur peut décider de ne pas allotir un marché dans l’un des cas suivants :
1° Il n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ;
2° La dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations ».
L’acheteur doit motiver son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision.
Dans le cadre de la reconstruction suite aux émeutes, les acheteurs sont autorisés à s’affranchir du principe d’allotissement quel que soit le montant estimé du marché et « sans avoir à démontrer qu’ils se trouvent dans l’une des exceptions prévues à l’article L. 2113-11 » du code de la commande publique (CCP) soulinge le Rapport au Président. Ainsi, les acheteurs n’auront pas à établir qu’ils se trouvent dans une des situations visées à l’article L. 2113-11 du code (impossibilité d’assurer par eux-mêmes les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ; hypothèse où la dévolution en lots séparés restreindrait la concurrence ou risquerait de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations) pour justifier l’absence d’allotissement de leur marché. La fiche technique de la DAJ donne ainsi l’exemple de travaux de voirie : "« les acheteurs auront ainsi, par exemple, la possibilité de passer un seul marché de travaux pour le terrassement, les travaux d’enrobés, le marquage et la signalisation afin de procéder à la réfection de la voirie ou encore un seul marché de travaux avec une entreprise générale de construction pour la réfection d’un bâtiment nécessitant des travaux de maçonnerie, d’électricité, de plomberie, de charpente, de peinture, de revêtements de sols, de menuiserie, etc ».
3. Recours possible au marché de conception-réalisation (article 3)
Le code de la commande publique conditionne le recours au marché de conception-réalisation à la présence de motifs d’ordre technique ou à un engagement contractuel « portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage » (conditions posées au deuxième alinéa de l’article L. 2171-2 du code de la commande publique).
L’ordonnance déroge à ces conditions en ouvrant aux acheteurs la possibilité de recourir au marché de conception-réalisation afin de confier à un même opérateur économique une mission globale portant sur la conception, la construction ou l’aménagement des équipements publics et des bâtiments détruits ou dégradés, quel que soit le montant estimé des travaux. Il s’agit d’une nouvelle dérogation au principe de séparation entre les missions de maîtrise d’œuvre et l’exécution des travaux, issu de la loi MOP [3]. Ainsi, les dispositions de l’article L.2431-1 alinéa 2 du Code de la commande publique ne s’appliquent pas aux contrats ainsi conclus.
Pour bénéficier des dérogations le marché devra porter sur des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023. Les dégradations commises après le 5 juillet ne rentrent pas dans le cadre dérogatoire. Certaines communes ont connu des dégradations après cette date, notamment à l’occasion des festivités du 14 juillet. Elles ne peuvent pas bénéficier du dispositif dérogatoire pour ces dégradations et destructions. |
Les mesures s’appliquent pendant un délai de 9 mois et pour les marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance (soit jusqu’au 28 avril 2024 inclus).
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II. Dérogations en droit de l’urbanisme et FCTVA
1. Sur le volet urbanisme : trois mesures pour faciliter la reconstruction
Sur le fondement de l’article 1 de la loi du 25 juillet l’ordonnance du 13 septembre 2023 [5] autorise certaines dérogations au droit de l’urbanisme pour la reconstruction ou la réfection à l’identique des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines.
1.1 – Aménagement du droit de reconstruction à l’identique des bâtiments prévu à l’article L.111-15 du code de l’urbanisme
L’article 2 de l’ordonnance du 13 septembre 2023 précise que la reconstruction ou la réfection à l’identique ou avec des adaptations ou améliorations des bâtiments dégradés ou détruits lors des émeutes est autorisée, sous réserve qu’ils aient été régulièrement édifiés, « y compris lorsqu’un plan local d’urbanisme, tout document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale en dispose autrement".
🔸 Mesures concernant les adaptations de la construction initiale :
L’ordonnance autorise des reconstructions différentes du bâtiment d’origine, dans le cadre d’adaptations limitées ou de modifications, mais, la diminution ou l’augmentation ne doit pas dépasser 5 % du gabarit initial de la construction initiale.
Les modifications peuvent être justifiées par un objectif d’amélioration de la performance énergétique, d’accessibilité ou de sécurité et dans ce cas la diminution ou l’augmentation peut dépasser 5 % du gabarit initial « à proportion des modifications du bâtiment nécessaires à la réalisation du ou des objectifs invoqués ».
🔸 Quelles sont les limites ?
Ces adaptations et améliorations ne peuvent avoir pour effet de modifier la destination ou la sous-destination initiale du bâtiment.
La reconstruction ou réfection avec ou sans modification du bâtiment initial ne doit pas contrevenir aux règles applicables en matière de risques naturels, technologiques ou miniers.
Ce droit à reconstruction ou à réfection s’exerce, le cas échéant, sous réserve des prescriptions de sécurité dont l’autorité compétente peut assortir le permis.
1.2 - Autorisation d’engager des opérations et travaux préliminaires dès le dépôt de la demande de permis de construire ou de la déclaration préalable
L’ordonnance précise que les travaux de démolition peuvent débuter « dès le dépôt, selon le cas, de la demande ou de la déclaration préalable ». Sont également concernés les travaux de terrassement, de fondation (article 3).
Il s’agit de permettre au constructeur de lancer, notamment, les éventuelles opérations de démolition et les opérations et travaux de préparation du chantier sans attendre l’obtention de l’autorisation d’urbanisme ou le caractère exécutoire de la déclaration (Rapport au Président).
En revanche, le constructeur devra solliciter et obtenir les autorisations requises par les autres législations, auxquelles il n’est pas dérogé, notamment en matière d’occupation du domaine public et de la voirie publique précise le Rapport au Président.
Cette mesure n’est pas sans risque pour le maître d’ouvrage, les personnes s’engageant dans de telles opérations seraient accompagnées et suivies dans ces procédures selon le ministère (Rapport n°1537, Assemblée Nationale).
Quelles conséquences juridiques des dégradations survenues sur les chantiers en cours pendant les violences urbaines ? |
1.3 - Aménagement des procédures d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme
Les procédures d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme ainsi que les délais prévus par des dispositions législatives sont aménagés.
L’étude d’impact de la loi précise qu’« aucune des trois mesures retenues par cette habilitation ne permettra en revanche de déroger aux normes de nature législative assurant la protection de l’environnement ». |
1.3.1 Modalités concernant la demande d’autorisation d’urbanisme (article 4 de l’ordonnance)
La demande d’autorisation d’urbanisme doit préciser que le projet est soumis au régime dérogatoire prévu par l’ordonnance.
Lorsque des adaptations et améliorations sont envisagées, la demande d’autorisation doit également comporter une motivation spécifique.
L’avis de dépôt de demande de permis ou de déclaration préalable précisant les caractéristiques essentielles du projet doit être affiché en mairie ou publié par voie électronique sur le site internet de la commune. Le maire doit procéder à cette publicité « dans les meilleurs délais et pendant toute la durée de l’instruction ».
1.3.2 Accélération des procédures de délivrance des autorisations d’urbanisme (article 5 de l’ordonnance)
🔸 Le délai d’instruction est fixé à :
– un mois pour la demande de permis de construire, d’aménager ou de démolir ;
– quinze jours pour la déclaration préalable.
« Lorsque la décision relève de l’Etat, le maire transmet sans délai le dossier au représentant de l’Etat dans le département et en conserve un exemplaire ».
🔸 Dossier incomplet :
L’autorité compétente informe le demandeur que son dossier est incomplet dans un délai de cinq jours à compter de la réception du dossier. Les pièces et les informations manquantes doivent être indiquées.
🔸 Réductions des délais requis pour le recueil des avis, accords ou autorisations d’un organisme ou autorité administrative (article 6 de l’ordonnance)
Les avis, accords ou autorisations préalables obligatoires doivent être sollicités dans les cinq jours suivant la réception de la demande.
« Les majorations et prolongations du délai d’instruction de la demande d’urbanisme découlant de l’application de règles de délivrance prévues par d’autres législations que celle de l’urbanisme sont limitées à quinze jours à compter de la réception du dossier par l’organisme ou l’autorité administrative concernés .
Le cas échéant, la majoration ou la prolongation du délai d’instruction est notifiée sans délai au demandeur ».
🔸 Principe de silence vaut acceptation :
Les avis, accords ou autorisations sont adressés à l’autorité compétente dans un délai de quinze jours à compter de la réception du dossier. Le silence gardé passé ce délai vaut avis favorable ou acceptation tacite.
🔸 Participation du public :
Lorsque la procédure de participation du public est nécessaire (article L.123-9 du code de l’urbanisme) la majoration du délai d’instruction est limitée à quarante-cinq jours.
L’autorité compétente peut recourir à une procédure de participation du public par voie électronique en lieu et place d’une enquête publique (article 7).
Les mesures s’appliquent aux demandes d’autorisation d’urbanisme déposées dans les dix-huit mois à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
A noter : |
2. Sur le volet financement
L’article 3 de la loi prévoit de lever certaines contraintes financières pour réduire le reste à charge pour les collectivités territoriales impactées par les dégradations et démolitions .
Trois mesures sont précisées par l’ordonnance du 13 septembre 2023 [6] :
2.1 – Adaptation du régime de versement du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) - article 1
Le régime de droit commun conduit à attribuer les droits au FCTVA deux ans après l’exécution des dépenses éligibles (article L. 1615-6 du code général des collectivités territoriales).
L’ordonnance déroge à cette règle en autorisant le versement du FCTVA l’année d’exécution des dépenses engagées pour réparer les dommages directement causés par les actes de dégradation et de destruction liés aux violences urbaines.
Soutien financier de l’État – Mise en place d’un fonds dédié
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2.2 – Adaptation du régime des subventions d’investissement versées aux collectivités territoriales en levant l’obligation de participation minimale du maître d’ouvrage - article 2
Selon l’article L.1111-10 III du CGCT « toute collectivité territoriale ou tout groupement de collectivités territoriales, maître d’ouvrage d’une opération d’investissement, assure une participation minimale au financement de ce projet ».
En principe, sauf dérogation prévue par la loi, « cette participation minimale du maître d’ouvrage est de 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques à ce projet ».
Or, en vertu de l’article 3 alinéa 3 de la loi il peut être dérogé à cette règle.
L’ordonnance du 13 septembre 2023 précise que l’obligation de participation minimale n’est pas applicable au financement des projets d’investissement visant à réparer les dommages directement causés par les actes de dégradation et de destruction liés aux émeutes.
Les collectivités pourront donc « bénéficier de subventions allant jusqu’à 100% du coût des travaux afin de permettre de mobiliser toutes les ressources disponibles » précise le Rapport au Président.
2. 3 – Dérogation au plafonnement des fonds de concours intercommunaux - article 3
En principe, le montant total des fonds de concours ne peut excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours (articles L.5214-16 V du CGCT pour les communautés de communes, L. 5216-5 VI pour les communautés d’agglomération, L. 5215-26 pour les communautés urbaines).
L’ordonnance supprime cette limite afin de laisser la possibilité de mobiliser les ressources disponibles et d’accélérer la réparation des dommages causés aux biens des collectivités.
« le montant total des fonds de concours (…) peut excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours ».
L’article précise que la part de financement assurée par le bénéficiaire du fonds de concours peut être nulle.