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Elus agressés et outragés : quelles réponses judiciaires ?

Circulaire n° JUSD2023661C du 7 septembre 2020

De janvier à juillet 2020, 233 agressions ont été relevées contre des maires, contre 198 l’année précédente sur la même période. Une circulaire du 7 septembre 2020 vise à apporter une meilleure réaction à ces atteintes intolérables au pacte républicain. L’occasion pour l’Observatoire SMACL de revenir, en complément, sur certains outils à la disposition des élus.

 

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Fermeté et célérité

Compte-tenu de la récurrence de ces faits et de leur gravité, et dans le prolongement de la circulaire du 6 novembre 2019 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre des personnes investies d’un mandat électif, la circulaire du 7 septembre 2020 insiste sur « l’importance qui s’attache à la mise en œuvre d’une politique pénale empreinte de volontarisme, de fermeté et de célérité et d’un suivi judiciaire renforcé des procédures pénales les concernant. »

Une juste qualification

Les magistrats du parquet sont invités à retenir « les qualifications pénales applicables qui prennent en compte la qualité des victimes selon qu’elles sont dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif. S’agissant d’insultes, il conviendra de retenir la qualification d’outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public plutôt que celle d’injures. »

La qualification d’outrage est en effet plus sévèrement punie que la simple injure, ce d’autant que l’injure non publique est une simple contravention.

Rappelons que peuvent constituer un outrage (article 433-5 du code pénal) :
 des paroles ;
 des gestes ;
 des écrits ou images de toute nature non rendus publics ;
 l’envoi d’objets quelconques...
...adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’outrage est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende et les peines encourues sont doublées si les faits sont commis en réunion (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende). L’occasion de rappeler que les maires et les adjoints sont officiers de police judiciaire.

 
La qualification d’outrage présente en outre un avantage procédural par rapport à la qualification d’injure : en effet l’injure, qu’elle soit orale ou écrite, relève de la loi sur la presse de 1881 et est soumise à un délai de prescription spécifique très court (3 mois). L’outrage est soumis à la prescription de droit commun applicable en matière délictuelle (6 ans depuis la réforme de la prescription en matière pénale).

Menaces, actes d’intimidation et rébellion

La circulaire ne revient pas sur ces infractions mais l’article 444-3 du code pénal rend passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférée à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public. Les mêmes peines sont applicables en cas de menace proférée à l’encontre du conjoint, des ascendants ou des descendants en ligne directe de l’élu en raison de ses fonctions. La peine encourue est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’une menace de mort ou d’une menace d’atteinte aux biens dangereuse pour les personnes.

 

Le même article rend passible de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation pour obtenir d’un élu soit qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat (ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat), soit qu’il abuse de son autorité en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable.

 

En outre les articles 433-6 et 433-7 du code pénal rendent passibles de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende si les faits sont commis en réunion) le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice.

Rappelons enfin qu’en cas de violences volontaires, le fait que la victime soit une personne dépositaire de l’autorité publique, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, constitue une circonstance aggravante dès lors que la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur (ce qui peut conduire les élus à décliner leur qualité de maire lorsque le ton monte notamment lorsque le protagoniste n’est pas un habitant de la commune pour qu’il ne puisse pas ensuite prétendre qu’il ne connaissait pas la qualité de l’élu).

Une réponse pénale systématique

La circulaire invite les magistrats du parquet à apporter une réponse pénale systématique et rapide en évitant les simples rappels à loi et en privilégiant le défèrement, notamment en cas de réitération de comportements qui pourraient apparaître, pris isolément, de faible intensité. S’agissant des faits les plus graves, sauf nécessité d’investigations complémentaires (ce qui peut nécessiter l’ouverture d’une information judiciaire), la comparution immédiate doit être privilégiée.

 
Les élus peuvent, comme toute victime directe d’une infraction, nonobstant un éventuel classement sans suite, déposer plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction ou par voie de citation directe devant le tribunal contre le versement d’une consignation (somme qui vient garantir le paiement d’une éventuelle amende prononcée dans le cas où la plainte s’avérerait abusive). Attention cette faculté n’est ouverte qu’aux seules victimes directes de l’infraction. Ainsi en cas d’agression ou d’outrage, c’est bien l’élu (ou l’agent), personne physique, qui est la victime directe de l’infraction et non la commune, personne morale. Celle-ci ne peut agir que par voie d’intervention lorsque l’action publique a déjà été mise en mouvement par le parquet ou en soutien de l’action introduite par l’élu par voie de constitution de partie civile.

Rappel à l’ordre

La circulaire ne revient pas sur ce dispositif créé par l’article 11 de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui a inséré un article L.2212-2-1 dans le code général des collectivités territoriales, désormais l’article L.132-7 du code de la sécurité intérieure. Il donne pouvoir au maire de procéder à un rappel à l’ordre à l’encontre d’une personne, auteur de faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre dans la commune :

 
Lorsque des faits sont susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publiques, le maire ou son représentant désigné dans les conditions prévues à l’article L.2122-18 du code général des collectivités territoriales peut procéder verbalement à l’endroit de leur auteur au rappel des dispositions qui s’imposent à celui-ci pour se conformer à l’ordre et à la tranquillité publics, le cas échéant en le convoquant en mairie. Le rappel à l’ordre d’un mineur intervient, sauf impossibilité, en présence de ses parents, de ses représentants légaux ou, à défaut, d’une personne exerçant une responsabilité éducative à l’égard de ce mineur. »
 

Le rappel à l’ordre est donc une injonction orale adressée par le maire, dans le cadre de son pouvoir de police. En agissant le plus en amont possible, le maire peut ainsi mettre un terme à des faits qui, s’ils ne constituent pas des crimes ou des délits, peuvent y conduire. Pour exercer cette fonction et prononcer des rappels à l’ordre, le maire a la possibilité de désigner un représentant par arrêté. Rien n’interdit non plus au maire de procéder à ce rappel à l’ordre en présence d’un autre élu ou d’un agent pour une meilleure sécurité. Il peut convoquer préalablement l’intéressé par écrit en formalisant ainsi la procédure. Bien entendu cette procédure ne peut pas jouer en cas d’agression ou d’outrage qui nécessitent une réponse pénale ferme mais ce dispositif peut être un moyen pour les élus d’éviter que des incivilités ne prennent des proportions plus importantes et ne dérivent sur des faits plus graves. En outre cette procédure, à la différence d’une "réaction à chaud", permet une prise de distance qui peut contribuer à faire tomber la tension tout en apportant une réponse aux incivilités constatées et éviter que la situation ne dégénère.

Interdiction de paraître et interdiction de séjour

La circulaire insiste sur la pertinence des peines d’interdiction de paraître ou de séjour sur le territoire de la commune pour réprimer les comportements délictueux et prévenir leur renouvellement. En effet la loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 permet désormais le prononcé d’une mesure d’interdiction de paraître en complément d’une peine d’emprisonnement (131-6 du CP et 30-19 CPP), étant précisé qu’elle pouvait déjà être prononcée à titre d’alternative à l’emprisonnement ou comme obligation d’un sursis probatoire. La loi du 30 juillet 2020 a en outre étendu l’inscription de cette interdiction au fichier des personnes recherchées lorsqu’elle est décidée dans le cadre d’une alternative aux poursuites.

Protection due par la collectivité

Dès lors qu’un élu est attaqué dans l’exercice de ses fonctions, il doit bénéficier de la protection de la collectivité (article L2123-35 du CGCT). La collectivité doit en effet prendre en charge les frais de procédure qui sont nécessaires à la défense de ses droits :

 
« Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la commune conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code.

 

La commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion ou du fait de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
La protection prévue aux deux alinéas précédents est étendue aux conjoints, enfants et ascendants directs des maires ou des élus municipaux les suppléant ou ayant reçu délégation lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages.
Elle peut être accordée, sur leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des maires ou des élus municipaux les suppléant ou ayant reçu délégation, décédés dans l’exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l’origine du décès ou pour des faits commis postérieurement au décès mais du fait des fonctions qu’exerçait l’élu décédé.
La commune est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs de ces infractions la restitution des sommes versées à l’élu intéressé. Elle dispose en outre aux mêmes fins d’une action directe qu’elle peut exercer, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale.
La commune est tenue de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus mentionnés au deuxième alinéa du présent article. Dans les communes de moins de 10 000 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’Etat dans les conditions fixées à l’article L. 2335-1 du présent code.

 

Depuis la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019, la commune est tenue de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus . Dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’Etat en fonction d’un barème fixé par le décret n° 2020-1072 du 18 août 2020.

[1Photo © Amber Kipp sur Unsplash