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Le droit de l’urbanisme sort, partiellement, de l’état d’urgence sanitaire

Par Philippe Peynet, Etienne Mascré et Antoine Petit dit Chaguet (Cabinet Goutal, Alibert & associés)

Le 7 mai dernier, une nouvelle ordonnance (n° 2020-539) fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire est intervenue (publication au Journal officiel du 8 mai 2020).

 [1]

Cette ordonnance était attendue. Elle s’inscrit en effet dans un cycle normatif tendant à fixer, en urbanisme (l’on verra toutefois que c’est une vision restrictive de l’urbanisme qui est concernée), un cadre spécifique au droit dérogatoire mis en place provisoirement pendant la crise sanitaire du Covid-19.

Une prise en compte de la spécificité de l’acte de construire

L’on se souvient de la vive réaction des acteurs de la filière immobilière quand ils ont pris conscience des implications de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. Rédigée dans des délais très contraints, cette ordonnance poursuivait un objectif précis : instaurer, en urgence, un dispositif général de report de divers délais et dates d’échéance, susceptible d’expirer pendant une période dite juridiquement protégée qui court à compter du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (soit, initialement, le 23 juin à minuit).

Des aménagements s’imposaient donc en urbanisme pour ne pas paralyser le secteur de la construction. C’est (notamment) l’objet de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 qui a créé un titre II bis au sein de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 dédié aux enquêtes publiques et aux délais applicables en matière d’urbanisme et d’aménagement.

Au reste, et contrairement à ce que l’intitulé du titre précité peut laisser entendre (qui vise l’urbanisme et l’aménagement, sans restriction), le champ d’application des nouvelles mesures était limité :
 Pour les délais de recours, aux décisions de non-opposition à une déclaration préalable et aux permis de construire, d’aménager ou de démolir (article 12 bis) ;

 Pour les délais d’instruction, aux demandes d’autorisation et de certificats d’urbanisme et de déclarations préalables prévus par le livre IV du code de l’urbanisme ainsi qu’aux procédures de récolement prévues à l’article L. 462-2 du même code (article 12 ter) ;

 Et aux délais relatifs aux procédures de préemption, prévues au titre Ier du livre II du code de l’urbanisme (articles L. 210-1 et suivant : droit de préemption urbain, droit de préemption dans les ZAD, droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial, droit de préemption dans les espaces naturels sensibles, droit de préemption des jardins familiaux, droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine) et au chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime (droit de préemption de la SAFER).

Autrement posé, les aménagements ne portaient que sur certains délais applicables en matière d’urbanisme et d’aménagement, liés – schématiquement – à l’acte de construire. N’étaient pas concernés les délais (de recours ou de procédure) applicables aux autres composantes de l’urbanisme : l’on pense notamment à la planification urbaine (carte communale, PLU, PLUi, SCOT…) et aux procédures d’aménagement (procédure de ZAC).

Ces aménagements étaient toutefois particulièrement puissants, en ce qu’ils s’écartaient du cadre général de l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 qui prévoit une prorogation des délais de recours non échus au 12 mars dernier pour une durée de deux mois à compter du 24 juin 2020. A grands traits, les délais de recours contre les autorisations de construire ne sont plus prorogés (et donc remis à zéro) mais juste suspendus (le délai écoulé avant le 12 mars 2020 est pris en compte). Et le mois dit « tampon » (le mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire) a été supprimé.

L’objectif affiché était, à suivre le Rapport au Président de la République, de prendre en compte, s’agissant des recours, que « dans le domaine de la construction, l’ensemble du processus (financements, actes notariés, chantiers) se trouve en effet bloqué tant que les délais de recours contre l’autorisation de construire ne sont pas purgés » et, s’agissant de l’instruction des demandes, « de relancer aussi rapidement que possible, une fois passée la période de crise sanitaire, le secteur de l’immobilier, en retardant au minimum la délivrance des autorisations d’urbanisme ».

Concrètement, pour les recours contre une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou un permis de construire, d’aménager ou de démolir (et uniquement ces décisions), les délais non échus au 12 mars 2020 reprendront donc leur cours là où ils s’étaient arrêtés dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit, à la date de l’ordonnance, le 24 mai 2020) sans toutefois que les délais restant ne puissent être inférieurs à 7 jours.

De même, et par dérogation à l’article 7 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme et des certificats d’urbanisme sont suspendus depuis le 12 mars dernier et reprendront leur cours dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire, et non un mois plus tard.

L’article 12 quater prévoit le même mécanisme pour l’instruction des déclarations d’intention d’aliéner (DIA).

Cette première ordonnance rectificative, pour rassurante qu’elle était pour les professionnels de l’immobilier, avait toutefois en partie manqué sa cible, en raison d’une rédaction restrictive.

Dans le cadre de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 (publiée au Journal officiel du 23 avril dernier), le champ d’application de l’article 12 ter de l’ordonnance n° 2020-306 a donc été étendu, pour réparer une (première) omission : désormais, les délais d’instruction sont également suspendus concernant les demandes d’autorisation de division prévues par le livre Ier du code de la construction et de l’habitation ainsi que les demandes d’autorisation d’ouverture, de réouverture, d’occupation et de travaux concernant des établissements recevant du public et des immeubles de moyenne ou de grande hauteur prévues par le même livre, lorsque ces opérations ou travaux ne requièrent pas d’autorisation d’urbanisme. C’est pour cette raison que l’intitulé du titre II bis de l’ordonnance n° 2020-306 relatif aux « dispositions particulières aux enquêtes publiques et aux délais applicables en matière d’urbanisme et d’aménagement » a été complété à l’occasion par les mots « et de construction ».

Des incertitudes demeuraient encore : l’on pense, par exemple, au régime des courriers d’incomplet adressés aux pétitionnaires dans le premier mois d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme qui pouvaient relever du régime général de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 (qui vise explicitement les délais impartis « pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ») alors que l’esprit de l’ordonnance militait pour une application de l’article 12 ter ; l’on pense encore au délai offert à l’administration pour retirer une autorisation d’urbanisme entachée d’illégalité, qui n’était pas visé – et donc pas concerné par une mesure de suspension – à l’article 12 bis de l’ordonnance n° 2020-306.

Encore la rédaction des articles 12 ter et 12 quater avait-elle été complétée pour rappeler « la possibilité pour le pouvoir réglementaire de fixer par décret la reprise du cours des délais dans les conditions fixées par l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 » (cf Rapport au Président de la République). Cet article offre en effet une possibilité de « dégel » des délais « pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de sauvegarde de l’emploi et de l’activité, de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective, de préservation de l’environnement et de protection de l’enfance et de la jeunesse ».

C’est dans ce cadre, par exemple, que les délais ont été « dégelés » en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de covid-19).

En urbanisme, un décret est récemment intervenu sur le fondement de l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 pour préciser que les délais concernant « les décisions, accords ou avis des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 de ladite ordonnance qui sont délivrés en vue de la construction, de l’installation, de l’aménagement et des travaux concernant les infrastructures de communications électroniques, en application des articles L. 332-8, L. 421-1 à L. 421-3, R. 421-9, R. 421-11, R. 421-17 et R. 423-51 du code de l’urbanisme, des articles L. 2213-1 à L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales et des articles L. 45-9, L. 46 et L. 47 du code des postes et communications électroniques » reprenaient leurs cours (décret n° 2020-536 du 7 mai 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de covid-19). Le champ d’application de ce décret est certes très limité (les travaux liés aux infrastructures de communications électroniques) mais il est significatif de la tendance alors amorcée de déconnecter l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme de la période d’état d’urgence sanitaire.

Vers un droit de l’urbanisme partiellement déconnecté de l’état d’urgence sanitaire

Initialement, la volonté du Gouvernement était de « permettre que les délais d’instruction administratifs des autorisations d’urbanisme reprennent leur cours dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire, et non un mois plus tard. Là encore, l’objectif est de relancer aussi rapidement que possible, une fois passée la période de crise sanitaire, le secteur de l’immobilier, en retardant au minimum la délivrance des autorisations d’urbanisme » (cf Rapport au Président de la République sur l’ordonnance relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19).

Mais à cette date, l’état d’urgence sanitaire devait s’achever le 23 mai prochain (inclus), et les délais reprendre, en conséquence, le 24 mai.

Or il est apparu nécessaire, pour tenir compte notamment de l’avis du Conseil scientifique Covid-19 du 28 avril 2020, de prolonger l’état d’urgence sanitaire. Le texte présenté par le gouvernement, lors du Conseil des ministres du 2 mai dernier, prolongeait en conséquence l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet 2020, en raison du niveau élevé de circulation du coronavirus et des risques de reprise épidémique.

Cela emporte une conséquence radicale liée à la rédaction de l’ordonnance n° 2020-306 qui s’applique, au terme de son article 1er, « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». Autrement posé, toute prorogation de l’état d’urgence sanitaire proroge, mécaniquement, la période dite juridiquement protégée (date de cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois).

Pour cette raison, dans son avis sur le projet de loi en date du 1er mai 2020, le Conseil d’Etat a d’ailleurs attiré « l’attention du Gouvernement sur les conséquences de la prorogation liées au prolongement de la durée des nombreuses mesures décidées par des ordonnances prises en application de l’article 38 de la Constitution en vue de faire face à l’épidémie de covid-19 apportant des dérogations aux dispositions légales de droit commun, notamment en matière de délais. Ces dérogations ont, dans de nombreux cas, comme terme la durée de l’état d’urgence déclaré par la loi du 23 mars que la présente loi va proroger de deux mois augmentée d’un mois. Elles étaient justifiées par la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars. Dès lors que ce confinement va être progressivement levé et que l’activité́ va reprendre, ces dérogations ne pourront plus se fonder sur leurs justifications initiales. Aussi le Conseil d’Etat estime-t-il que la nécessité et proportionnalité de ces dérogations doivent faire, de la part du Gouvernement, l’objet, dans les semaines qui viennent, d’un réexamen systématique et d’une appréciation au cas par cas ».

Et l’on précisera que si, en urbanisme (ou à tout le moins pour un pan du droit de l’urbanisme : celui des autorisations d’urbanisme et du droit de préemption), des règles spécifiques avaient été insérées dans l’ordonnance précitée, il n’en demeurait pas moins que les délais, de manière générale, avaient vocation à courir ou à recommencer à courir à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée.

Il était donc impératif de « déconnecter » les délais précédemment assouplis en droit de l’urbanisme (par l’effet de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020) de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Julien Denormandie, Ministre auprès de la Ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement l’avait annoncé, dès le 4 mai, sur son compte Twitter : « Prolongement de la période d’urgence sanitaire : pour que l’activité du #BTP et de l’ #immobilier puisse continuer, nous travaillons avec @NBelloubet à des textes pour ne pas rallonger les #délais d’#urbanisme »

L’apport de l’ordonnance du 7 mai 2020

L’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 tend donc, pour paraphraser son titre, à fixer des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire, en modifiant la rédaction des trois articles suivant de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 :

  l’article 12 bis relatif aux délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir,

  l’article 12 ter relatif aux délais d’instruction des demandes d’autorisation et de certificats d’urbanisme et des déclarations préalables prévus par le livre IV du code de l’urbanisme ;

  et l’article 12 quater relatif aux délais relatifs aux procédures de préemption, prévues au titre Ier du livre II du code de l’urbanisme et au chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime.

Article 12 bis
 
Les délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus. Ils recommencent à courir à compter du 24 mai 2020 pour la durée restant à courir le 12 mars 2020, sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours.
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 est reporté à l’achèvement de celle-ci.
Les dispositions du présent article s’appliquent également aux recours formés à l’encontre des agréments prévus à l’article L. 510-1 du code de l’urbanisme lorsqu’ils portent sur un projet soumis à autorisation d’urbanisme ainsi qu’aux recours administratifs préalables obligatoires dirigés contre les avis rendus par les commissions départementales d’aménagement commercial dans les conditions prévues au I de l’article L. 752-17 du code de commerce.
 
Article 12 ter
 
Sans préjudice de la faculté de prévoir, pour les mêmes motifs que ceux énoncés à l’article 9, une reprise des délais par décret, les délais d’instruction des demandes d’autorisation et de certificats d’urbanisme et des déclarations préalables prévus par le livre IV du code de l’urbanisme, y compris les délais impartis à l’administration pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction, ainsi que les procédures de récolement prévues à l’article L. 462-2 du même code, qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus. Ils reprennent leur cours à compter du 24 mai 2020.
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 est reporté à l’achèvement de celle-ci.
Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, aux services, autorités ou commissions, pour émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l’instruction d’une demande ou d’une déclaration mentionnée à l’alinéa précédent ainsi qu’au délai dans lequel une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou une autorisation d’urbanisme tacite ou explicite peut être retirée, en application de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme.
Les dispositions du présent article s’appliquent également aux demandes d’autorisation de division prévues par le livre Ier du code de la construction et de l’habitation ainsi qu’aux demandes d’autorisation d’ouverture, de réouverture, d’occupation et de travaux concernant des établissements recevant du public et des immeubles de moyenne ou de grande hauteur prévues par le même livre, lorsque ces opérations ou travaux ne requièrent pas d’autorisation d’urbanisme.
 
Article 12 quater
 
Sans préjudice de la faculté de prévoir, pour les mêmes motifs que ceux énoncés à l’article 9, une reprise des délais par décret, les délais relatifs aux procédures de préemption, prévues au titre Ier du livre II du code de l’urbanisme et au chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime, à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, sont, à cette date, suspendus. Ils reprennent leur cours à compter du 24 mai 2020 pour la durée restant à courir le 12 mars 2020.
Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 est reporté à l’achèvement de celle-ci.

L’objectif est, derechef, clair : ne pas paralyser le secteur de la construction alors que se profile une reprise progressive d’activités résultant de la fin de la période de confinement.

Schématiquement, quand il était indiqué que les délais reprenaient à compter « de la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 », l’ordonnance indique que ces délais reprennent à compter du 24 mai 2020. Et quand il était fait référence à « la date de cessation de l’urgence sanitaire », il est désormais mentionné la date du 23 mai 2020.

Au demeurant, l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 ne se borne pas qu’à fixer des délais particuliers dans les domaines précités. Elle tend aussi à réparer (une nouvelle fois serait-on tenté de dire !) des oublis, relevés par les praticiens.

L’article 12 bis vise désormais des actes, liés à la demande d’autorisation d’urbanisme s’agissant de la construction de locaux commerciaux, mais susceptibles de faire l’objet de recours distincts des autorisations d’urbanisme : c’est le cas des recours à l’encontre des agréments prévus à l’article L. 510-1 du code de l’urbanisme ainsi que des recours administratifs préalables obligatoires dirigés contre les avis rendus par les commissions départementales d’aménagement commercial dans les conditions prévues au I de l’article L. 752-17 du code de commerce.

Au stade de l’instruction des autorisations de construire, il est ensuite précisé – pour mettre fin aux interrogations des praticiens, nées de la rédaction imparfaite de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 – que les délais impartis à l’administration pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une autorisation d’urbanisme relèvent également du régime de l’article 12 ter (et non de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306). Dans le même sens, il a été opportunément décidé d’aligner le régime du retrait d’une autorisation d’urbanisme sur celui de l’instruction desdites autorisations, en le faisant relever de l’article 12 ter, et non plus de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 : le délai de trois mois prévu par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme recommencera à courir à compter du 24 mai prochain pour la durée restant à courir le 12 mars dernier.

Concrètement,

  les délais de recours à l’encontre d’une décision de non opposition à une déclaration préalable, d’un permis (de construire, d’aménager ou de démolir), de l’agrément prévu à l’article L. 510-1 du code de l’urbanisme et d’un avis rendu par la commission départementale d’aménagement commercial dans les conditions prévues au I de l’article L. 752-17 du code de commerce qui n’étaient pas expirés avant le 12 mars 2020 recommenceront à courir à compter du 24 mai 2020, pour la durée restant à courir le 12 mars 2020, sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours ; si un délai devait commencer à courir entre le 12 mars 2020 et le 23 mai (par exemple en cas de notification, le 13 mars, d’une décision rejetant un recours gracieux formé à l’encontre d’un permis de construire), il courra à compter du 24 mai 2020 ;

  les délais d’instruction des demandes d’autorisation et de certificats d’urbanisme et des déclarations préalables prévus par le livre IV du code de l’urbanisme, y compris les délais impartis à l’administration pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction, ainsi que les procédures de récolement prévues à l’article L. 462-2 du même code, qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 reprennent leur cours à compter du 24 mai 2020 ; le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 est reporté à l’achèvement de celle-ci ; ces règles s’appliquent également aux délais impartis aux services (au sens large) consultés dans le cadre de l’instruction des demandes précitées ;

  les délais d’instruction des DIA qui n’étaient pas expirés avant le 12 mars 2020 reprennent leur cours à compter du 24 mai 2020 pour la durée restant à courir le 12 mars 2020 ; on insistera, pour le regretter, sur le fait que l’ordonnance ne prévoit toujours pas de délai minimum au titulaire du droit de préemption pour exercer son droit (à l’image du délai de 7 jours prévu pour permettre aux justiciables de former un recours contre une autorisation d’urbanisme) ; si, par ailleurs, une DIA était parvenue en maire après le 11 mars 2020, le délai d’instruction commencera à courir le 24 mai 2020.

Conclusion

Cette ordonnance illustre, une nouvelle fois les spécificités du droit de l’urbanisme, souvent décrit comme un « laboratoire », notamment en matière de contentieux. Pour les délais et actes visés aux articles 12 bis, 12 ter et 12 quater de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, ils relèvent d’une période particulière, désormais indépendante de l’état d’urgence sanitaire, fixée par l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 : elle court du 12 mars au 23 mai 2020 inclus.

Pour tous les autres délais applicables en urbanisme, non visés par les articles 12 bis, 12 ter et 12 quater (l’on pense par exemple aux décisions de refus d’autorisation d’urbanisme ou aux délais de recours à l’encontre des documents d’urbanisme), il convient encore de se référer au « droit commun dérogatoire » issu de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 : ils relèveront donc de la période juridiquement protégée courant du 12 mars jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

En l’état de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, l’état d’urgence sanitaire est prorogé jusqu’au 10 juillet inclus, de sorte que la période juridiquement protégée s’achèvera le 10 août 2020 inclus.

Autrement posé, alors que le délai pour contester les autorisations de construire a été réduit, par rapport au régime initial de l’ordonnance du 25 mars 2020, celui pour critiquer les documents d’urbanisme locaux est mécaniquement prorogé. Il n’est pas certain que cette situation contribue à la sécurité juridique recherchée par les professionnels de l’immobilier… Il faut espérer que la prochaine ordonnance annoncée, prévoyant semble-t-il les modalités selon lesquelles les délais de recours et procédures (autres que ceux modifiés par l’ordonnance du 7 mai 2020), reprendront leurs cours permettra de revenir à un état du droit plus orthodoxe.

Philippe Peynet, Etienne Mascré et Antoine Petit dit Chaguet (Cabinet Goutal, Alibert & associés)

[1Photo : James Sullivan sur Unsplash