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Atteintes à l’honneur : bien réfléchir avant d’engager des poursuites

Interview de Maître Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris

Diffamation publique ou privée, dénonciation calomnieuse, injure… les atteintes à l’honneur constituent le deuxième motif de mise en cause pénale et de condamnation des élus locaux. Quand et pourquoi attaquer ? Selon quelle procédure ? Les réponses et les conseils de Maître Philippe Bluteau, avocat au Barreau de Paris.

Que recouvrent exactement les contentieux invoquant des ‘‘atteintes à l’honneur’’ ?

« Du point de vue juridique, il faut s’en tenir aux délits tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. C’est-à-dire d’une part la diffamation et de l’autre l’injure. Ce sont les deux délits qui sont, dans la pratique, le plus souvent poursuivis. »

Qu’est-ce qui les différencie ?

« Tout simplement l’imputation d’un fait précis ou pas. Par exemple, si un élu reproche à un autre le fait d’avoir attribué un marché à une entreprise dans laquelle son gendre a des intérêts, cela correspond à l’imputation d’un fait précis, donc à de la diffamation. Au tribunal, on pourra ainsi débattre du
caractère vrai ou faux de cette affirmation. En revanche, si le même élu dit de son collègue qu’il est corrompu (sans que cela ne se rattache à un fait précis), on sera dans l’injure.

La jurisprudence parle de ‘‘fait susceptible de preuve et de
débat contradictoire’’. C’est pour cela qu’avant d’engager des
poursuites, il faut bien réfléchir. »

Il ne faut pas poursuivre systématiquement, d’après vous ?

« Non car il s’agit d’un contentieux de nature essentiellement politique, et les juges pénaux considèrent – tendance franchement marquée en France depuis 10 ans – que les limites de la critique admissible sont plus étendues lorsque celle-ci vise un élu plutôt qu’un particulier.

Souvent, un élu veut engager des poursuites pour des propos ‘‘seulement’’ désagréables, mais qui ne constituent ni diffamation ni injure en l’état de la jurisprudence, notamment de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui défend la liberté d’expression. Il vaut donc mieux les contester dans la sphère
politique, dans le débat, mais pas en justice. »

C’est l’utilisation du fameux ‘‘droit de réponse’’ ?

« Absolument ! Je préconise régulièrement aux élus d’activer ce droit de réponse dès que leur nom est mentionné. Il est beaucoup plus facile, beaucoup plus rapide et, sur la place publique, tout aussi efficace qu’une action en diffamation qui peut, si elle échoue, avoir un effet boomerang tout à fait désagréable (l’image du censeur, du procédurier…) »

Dans quels cas, alors, ester en justice ?

« Il faut agir lorsque les propos sont, pour reprendre les termes de la jurisprudence, ‘‘dénués de toute base factuelle’’. C’est-à-dire lorsque l’auteur des propos a inventé de toute pièce une accusation : par exemple, quand celle-ci ne peut pas se raccrocher à des témoignages ou encore à un rapport de la Cour des comptes… Un élu ne peut donc légitimement nourrir l’espoir de gagner son procès en diffamation que s’il n’y a aucun fondement à ’accusation et qu’elle est née dans le cerveau malveillant de son opposant.

Autre cas où il ne faut pas hésiter, quand les attaques portent sur la vie privée de l’élu ou que sa famille est mise en cause… »

Techniquement, quelle est la marche à suivre ?

« Surtout arrêter ce réflexe très dangereux qui consiste à déposer plainte au commissariat, à la gendarmerie ou auprès du procureur ! Car en matière de diffamation et d’injure la prescription est de 3 mois, ce qui est court, et la plainte simple n’interrompt pas la prescription.

En fait, il n’y a que deux manières de lancer une procédure de façon efficace
dans les 3 mois :
 lorsqu’on n’a pas l’identité ou le domicile de la personne (par exemple, sur les réseaux sociaux) mieux vaut privilégier une constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction ;

 lorsqu’on souhaite mettre en cause un autre élu ou un journaliste, donc une personne bien identifiée, utiliser la procédure de citation directe (i.e qu’on envoie à son adversaire par huissier une convocation à comparaître
au tribunal).

Comme il ne faut pas se tromper de procédure, souvent précise et contraignante, il vaut mieux rapidement prendre conseil avant de se lancer. »

L’interview de Me Philippe Bluteau en format PDF