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La notion d’activité délégable et le juge pénal

Par Yves MAYAUD Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II, Codirecteur scientifique de la RLCT

En partenariat avec la Revue Lamy des Collectivités Territoriales, retrouvez l’intervention du professeur Yves Mayaud lors de notre colloque consacré aux 20 ans de la loi Sapin.

Le droit pénal n’est pas étranger à la notion de délégation de
service public ! Il s’y réfère d’abord dans sa partie spéciale,
notamment au titre des atteintes à la probité, par exemple
sous forme d’entrave à la liberté d’accès et d’égalité des candidats
gouvernant la commande publique, laquelle, dans les termes de
l’article 432-14 du Code pénal, peut porter sur un marché public,
mais également sur une délégation de service public. D’une manière
moins directe, sont souvent visées dans les textes, comme
auteurs d’infractions, les personnes « chargées d’une mission de
service public », et la jurisprudence en a une interprétation assez
large, qui peut aller jusqu’à rejoindre certains délégataires de service
public [1].

Mais ce n’est pas ce volet de droit pénal spécial qui aura notre
attention, étant trop en rapport avec des réponses particulières et
ponctuelles. Nous allons rester sur le terrain du droit pénal général,
où la délégation de service public a trouvé depuis la réforme
du Code pénal, entrée en vigueur le 1er mars 1994, un nouveau
terrain d’élection, celui de la responsabilité pénale des personnes
morales. Ce que le droit civil reconnaît depuis longtemps, le droit
pénal devait également en convenir, et il est aujourd’hui de règle
que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables
pénalement (…) des infractions commises, pour leur
compte, par leurs organes ou représentants ». Les personnes morales
de droit public, exception faite de l’État, engagent donc leur
responsabilité au même titre que tout autre groupement pourvu
de la personnalité juridique.

Ce principe, cependant, est tempéré par des restrictions sensibles,
relatives aux collectivités territoriales. La préoccupation du législateur
a été de ménager les structures locales pour ce qu’elles
représentent d’institutions publiques et de fonctions exécutives
difficilement compatibles avec un contrôle du pouvoir judiciaire.
Mais il ne souhaitait pas non plus leur assurer une impunité, qui
eût été mal comprise, lorsqu’elles quittent ces fonctions, afin de
prendre en charge des activités équivalentes à celles d’une entreprise
ou d’une personne morale de droit privé. C’est pourquoi, l’article
121-2 du Code pénal traite de leur responsabilité en termes
particuliers : «  les collectivités territoriales et leurs groupements ne
sont responsables pénalement que des infractions commises dans
l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions
de délégation de service public
 ».

La responsabilité pénale des collectivités territoriales n’est donc
retenue que pour sanctionner les infractions réalisées dans le
cadre de services publics pouvant faire l’objet d’une délégation.
Il faut supposer que l’activité est exercée par la collectivité locale
elle-même, sous forme de régie, et qu’une infraction est commise
dans le cadre de cette activité, par exemple liée à un accident ou
à une pollution. Sa responsabilité pénale peut alors être engagée,
au même titre qu’elle le serait si l’activité en cause, en relation
avec l’infraction, avait été confiée à un délégataire. On ne
peut qu’approuver cette solution, qui répond à une préoccupation
élémentaire de justice face à des situations identiques : il serait
injuste que, pour une même activité, des sociétés privées soient
pénalement responsables, là où les collectivités locales, quant à
elles, ne le seraient pas. En revanche, pour toutes les activités non
susceptibles de délégation, la comparaison n’est plus possible,
les collectivités territoriales et leurs groupements se trouvant dans
une situation d’exception, ce qui permet d’envisager autrement
la question de leur engagement pénal. Telle est la problématique
liée aux délégations de service public en rapport avec le droit pénal.
Il nous faut la développer, et par une définition des activités
susceptibles de délégation (I), et par un recensement des applications
qui en sont faites (II).

I – DÉFINITION DE L’ACTIVITÉ DÉLÉGABLE

L’article 121-2 du Code pénal se contente de renvoyer à ce qui
peut faire l’objet de conventions de service public, sans donner la
moindre définition de ce qu’il faut entendre par là. C’est pourtant
sur cet élément essentiel que se joue la responsabilité des collectivités
territoriales, et avec elle les prétentions des victimes, tant les
espèces peuvent concerner des accidents spectaculaires dans leur
ampleur et graves dans leurs effets. Et de fait, les débats sur ce
point ne manquent pas lorsqu’une collectivité est mise en cause,
qui a tout intérêt à se retrancher derrière la nature non délégable
de l’activité à l’origine de l’infraction commise. C’est dire combien
s’imposait une définition accessible, laquelle, sur une dualité de
sources (A), relève finalement de critères assez précis (B).

A – Sources

C’est à deux sources que puise la définition des activités objet
possible de délégation de service public, l’une légale, l’autre jurisprudentielle.

1) La définition légale a été donnée par la loi n° 2001-1168 du
11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère
économique et financier
(dite « loi MURCEF ») [2].

Elle a été intégrée
dans l’article 38 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à
la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique
et des procédures publiques (dite « loi Sapin ») [3], et elle est pareillement reproduite à l’article L. 1411-1 du Code général des
collectivités territoriales : « Une délégation de service public est un
contrat par lequel une personne morale de droit public confie la
gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire
public ou privé, dont la rémunération est substantiellement
liée aux résultats de l’exploitation du service
(…) ». Cette formule
n’est pas restée lettre morte. Très vite elle a été reprise par la Cour
de cassation.

2) La définition donnée par la Cour de cassation de l’activité pouvant
faire l’objet d’une délégation de service public est la suivante :

« En vertu des dispositions de l’article 121-2, alinéa 2, du Code
pénal, qui satisfont aux exigences de l’article 7 de la Convention
européenne des droits de l’homme, est susceptible de faire l’objet
d’une convention de délégation de service public toute activité
ayant pour objet la gestion d’un tel service lorsque, au regard de
la nature de celle-ci et en l’absence de dispositions légales ou réglementaires
contraires, elle peut être confiée, par la collectivité
territoriale, à un délégataire public ou rémunéré, pour une part
substantielle, en fonction des résultats de l’exploitation
 » [4].

On retrouve là, avec quelques précisions en plus, les éléments de la
définition légale, ce qui permet de dire que se dessine, peu à peu,
une conception harmonieuse de la notion de service public. Cette
harmonie est d’autant plus appréciable qu’il ne faut pas perdre
de vue que les juridictions répressives sont souveraines dans leurs
décisions, et que le principe de l’autonomie du droit pénal peut
justifier quelques écarts d’appréciation ou de conception par rapport
au droit administratif. La notion de service public délégable a
ainsi vocation à s’enrichir d’un volet judiciaire appréciable.
Les critères qui en relèvent sont à même de le démontrer.

B – Critères

Les définitions que nous venons de rappeler sont porteuses d’un
bilan plutôt positif.

1) La délégation n’est pas tributaire d’une qualification
en ce sens par les intéressés eux-mêmes

Le fait que telle ou telle activité soit désignée par les responsables
d’une collectivité territoriale comme susceptible ou non de délégation,
n’a aucune incidence. C’est au juge de dire ce qu’il en est,
qui est le seul à avoir la maîtrise des qualifications juridiques.

2) La délégation suppose l’existence d’un « contrat »
entre la personne publique et le délégataire

Il faut en déduire que sont écartées du domaine de la responsabilité
pénale des collectivités territoriales, toutes les activités
pour lesquelles ces dernières ne peuvent pas avoir recours à une
convention.

3) La délégation doit avoir pour objet un service public local

Par exemple, la jurisprudence administrative ne considère pas
comme un service public la gestion du domaine privé d’une collectivité
territoriale, ce qui doit en principe se traduire par l’absence
de toute responsabilité pénale en ce domaine. La solution
est loin de faire l’unanimité, notamment en raison du fait que cette
gestion peut être considérée comme « un domaine privilégié pour
la commission d’infractions », s’agissant d’activités où le but avoué
est la recherche de profits : « On se trouve dans une logique privée.
On peut donc avancer qu’il est susceptible d’y avoir un risque
plus important de dérapages et donc de commission d’infractions
que lorsque la personne publique exécute ses missions de service
public » [5].

Mieux encore, cette impunité est à l’opposé des raisons
qui ont finalement conduit le législateur à retenir la responsabilité
pénale des collectivités territoriales. Nous le savons, ce sont des
considérations d’égalité avec le secteur privé qui ont emporté sa
conviction en ce sens, et il est surprenant de constater que la gestion
du domaine privé, qui participe d’une nature équivalente à
celle d’une entreprise ou d’une société privée, soit exclue du droit
pénal, contrairement à celle des services publics susceptibles de
délégation.

C’est d’ailleurs en ces termes qu’une question incidente de constitutionnalité
a été soulevée, à l’occasion du pourvoi formé contre un
arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes,
en date du 12 janvier 2011, qui dans une information suivie contre
une commune des chefs de concussion, faux en écriture publique
et usage, avait confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le
juge d’instruction. La Cour de cassation a refusé de renvoyer ladite
question au Conseil constitutionnel, jugeant qu’elle ne présentait
pas, à l’évidence, un caractère sérieux, « dès lors que les collectivités
territoriales se trouvent dans une situation différente des personnes
morales de droit privé, de sorte que l’article 121-2, alinéa 2,
du Code pénal, dont l’objet est notamment de soustraire à toute
responsabilité pénale les collectivités territoriales dans l’exercice
des activités qui leur sont propres, ne crée pas une dérogation injustifiée
au principe d’égalité devant la loi » [6]. On s’étonnera de cette motivation, qui relève plus d’une pétition de principe que
d’une justification intellectuellement convaincante.

4) La délégation est impossible lorsqu’elle est exclue
par nature ou par un texte

Cette condition est importante, pour renvoyer à certaines hypothèses
juridiquement incompatibles avec une telle délégation. On
peut ici s’inspirer d’une circulaire du ministère de l’Intérieur, en
date du 7 août 1987, relative à la gestion par les collectivités locales
de leurs services publics locaux [7], qui reprend, sur les points
qu’elle aborde, un avis du Conseil d’État du 7 octobre 1986. Trois
raisons font qu’une activité ne peut faire l’objet d’une délégation
de service public :

 la première est liée au fait que l’activité est exercée pour le
compte de l’État : ainsi de la tenue des registres d’état civil, ou
encore de l’établissement des listes électorales ;

 la seconde est que l’activité relève de l’exercice d’une prérogative
de puissance publique, telles les missions de police, ou
l’exercice du droit de préemption ;

 la troisième est l’existence d’une interdiction légale ou réglementaire.
Cette exclusion est importante, qui renvoie à tout
ce que les textes peuvent contenir de mesures hostiles à la
délégation.

Dans toutes ces hypothèses, la responsabilité pénale des collectivités
territoriales ne saurait être engagée, faute de correspondre à
des activités à même d’être déléguées. Si donc une infraction est
commise dans le cadre de leur gestion, elle ne peut se traduire par
des poursuites contre la personne morale, le critère de sa responsabilité
n’étant pas rempli.

5) Le service public délégué peut être aussi bien administratif
qu’industriel et commercial

Il en résulte que la nature du service public ne saurait être considérée
comme un critère sûr de l’activité délégable, faute de s’attacher
exclusivement à l’un ou à l’autre [8].

6) Le statut juridique du délégataire est indifférent

Il n’importe de savoir si la délégation peut être consentie à une
personne publique ou à une personne privée. Le fait que l’activité,
dans le cadre de laquelle l’infraction a été commise, ne puisse être
confiée qu’à une personne de droit public, ne la rend pas d’office
insusceptible de délégation, avec les conséquences à en retirer
quant à la responsabilité pénale de la collectivité territoriale.

7) La délégation est tributaire de la rémunération
du délégataire

C’est là le critère le plus important, pour ne pas dire dominant. Il
est issu de la jurisprudence du Conseil d’État, qui considère depuis
longtemps que, lorsque la rémunération d’un service est une
somme payée par la personne publique, il y a un marché, et non
une délégation [9] . Il est donc logique d’en déduire que celle-ci intervient
toutes les fois que la rémunération procède différemment,
comme le paiement d’une redevance par les usagers, ou encore
un paiement par la personne publique en rapport avec les résultats
d’exploitation. C’est en ce sens que se situent les définitions
qui nous retiennent, l’une et l’autre, autant celle de la loi que de
la jurisprudence, faisant état d’une rémunération en fonction des
résultats de l’exploitation, du moins pour une part substantielle. Il
faut en déduire que si l’activité qui a donné lieu à la commission du
délit ne se prête pas à ce type de contrepartie, il ne saurait y avoir
délégation envisageable, et donc de responsabilité pénale pesant
sur la collectivité territoriale.

Tels sont les principaux éléments permettant d’avoir une idée des
contours de la responsabilité pénale des collectivités territoriales.
Il faut le reconnaître, le préalable d’une activité susceptible de
délégation de service public n’est pas d’une approche évidente,
même si la déclinaison des critères issus, tant de la loi, que de la
jurisprudence, donnent une apparence de grande solidité et de
maîtrise facile. Le droit administratif lui-même ne répond pas toujours
avec assurance, et à plus forte raison le droit pénal ne peut
que s’en ressentir. Il est temps de passer aux applications...

II – APPLICATIONS JUDICIAIRES DE L’ACTIVITÉ DÉLÉGABLE

La méthode va consister à recenser les différentes activités ayant
donné lieu à débat devant les juridictions répressives, afin de les
répartir entre celles non susceptibles de délégation (A) et celles,
au contraire, qui peuvent être déléguées (B). Les espèces ne sont
pas en très grand nombre, et il est plus facile de les répertorier de
la sorte, quitte à faire ressortir les critères qui ont été déterminants
dans la décision des magistrats.

A – Activités non susceptibles de délégation

Il est possible de faire le recensement suivant.

1) Missions de police administrative

Les missions de police administrative incombant au maire ne sont
pas des activités susceptibles de faire l’objet de conventions de
délégation de service public, et la responsabilité pénale d’une
commune ne saurait, dans ce cadre, être engagée du chef d’homicide
involontaire [10]. La solution est évidente. Elle ne fait que
rejoindre le principe selon lequel une délégation est impossible
lorsqu’elle relève de l’exercice d’une prérogative de puissance publique.

Telle est l’hypothèse des missions de police administrative,
ce qui interdit, sur le plan pénal, d’envisager la moindre responsabilité
des collectivités territoriales, si une infraction a été commise
en rapport avec leur exercice.

Mais encore faut-il se situer correctement par rapport aux pouvoirs
de police du maire, qui ne vont pas jusqu’à couvrir ce qui rentre
dans une délégation de service public industriel et commercial.
Un arrêt intéressant de la Chambre criminelle du 9 novembre 1999
permet de le vérifier, qui délimite parfaitement ce qui participe
de ces pouvoirs, compte tenu des activités en cause [11] . L’espèce
est relative à la mort d’un skieur provoqué par une avalanche. Le
directeur des pistes et le chef du secteur où s’était produit l’accident,
ainsi que la société d’aménagement touristique au service de
laquelle ils travaillaient, furent poursuivis et condamnés pour homicide
involontaire, ayant procédé à l’ouverture du domaine, sans
avoir, au préalable, déclenché des avalanches pourtant prévisibles,
compte tenu d’un risque très fort en ce sens signalé par le bulletin
de la station météorologique. L’un des principaux arguments de la
défense des condamnés consista à mettre en cause le maire, apparemment
resté étranger aux poursuites, et à tenter d’échapper, par
ce transfert, à leur propre responsabilité. Il fut soutenu que, n’étant
pas délégables, les pouvoirs de police du maire impliquaient que
lui seul prît les décisions concernant l’ouverture des pistes, et que
le contrat de concession dont la société d’aménagement était titulaire
ne pouvait être à l’origine d’un pouvoir propre dévolu à ladite
société et à ses représentants, contrairement à ce que traduisaient
les condamnations prononcées.

La Cour de cassation n’a pas suivi, pas plus que ne l’avait fait la
Cour d’appel de Grenoble dont elle confirme la décision [12]. Il est
jugé que « le pouvoir de police du maire en matière de prévention
des avalanches, prévu par l’article L. 2212-2, 5°, du Code général
des collectivités territoriales, n’exclut pas, en cas de méconnaissance
des obligations de sécurité prévues par la loi, les règlements
ou le contrat, la responsabilité de l’exploitant vis-à-vis de l’usager,
dans le cadre d’une délégation de service public industriel et
commercial relevant, sur ce point, du droit privé ». Autrement dit,
parce que la concession portait sur un service public industriel et
commercial, de nature délégable, les décisions relatives à l’ouverture
des pistes avaient également été transférées, ce qui, dans les
circonstances de l’espèce, justifiait la responsabilité des prévenus.
Comme l’a très bien formulé la cour d’appel, « sauf à confondre
compétence réglementaire et gestion directe, le fait que la police
municipale comprenne la prévention des avalanches et le secours
aux victimes n’autorise pas le maire à prendre personnellement la
direction quotidienne du service de sécurité du domaine skiable
exploité dans un cadre industriel et commercial, mais seulement
à prendre en cette matière les arrêtés réglementaires s’imposant à
l’exploitant et aux particuliers » [13]. La délégation consentie, en parfaite
conformité avec la nature de l’activité concédée, permettait
donc d’apprécier favorablement l’action du maire, dans la mesure
où il avait apparemment répondu à la partie non délégable de ses
pouvoirs, par un comportement jugé à la fois suffisant et respectueux
de la concession.

2) Services socio-éducatifs

L’affaire du Drac est ici en cause. Elle a été la première à mettre
en évidence les difficultés liées à l’application de la responsabilité
pénale des collectivités territoriales. De nombreux enfants avaient
trouvé la mort et avaient été blessés à la suite d’un lâcher d’eau par
l’EDF dans le lit du Drac, alors qu’ils étaient en classe de découverte
sur ce site. Furent poursuivies, non seulement la directrice
de l’établissement scolaire de rattachement des victimes, ainsi
que l’institutrice qui les avait accompagnées, mais encore la ville
de Grenoble, en ce qu’elle avait contribué, par ses services éducatifs,
à l’organisation de cette journée. La commune se défendit
de cette mise en cause pénale, faisant valoir que l’animation des
classes de découverte entrait dans le service public de l’enseignement,
et que, en tant que telle, elle n’était pas susceptible de délégation.
La réponse n’a pas été facile, en raison d’une divergence
entre les juridictions du fond et la Cour de cassation.

  • Juridictions du fond

    Le Tribunal de grande instance de Grenoble, puis la Cour d’appel
    de Grenoble, se sont prononcés pour la responsabilité pénale
    de la commune, estimant que ses activités socio-éducatives pouvaient
    faire l’objet d’une délégation de service public. Deux considérations
    ont appuyé leur décision :

     d’abord, le fait qu’une mission socio-éducative consistant à
    offrir aux enfants des écoles d’une commune des activités de
    découverte de la nature se situe à la « périphérie du service
    public de l’enseignement stricto sensu », cette mission n’étant
    que facultative pour la commune ;

     ensuite, l’absence d’un contrat ayant pour objet la délégation
    du service public en cause, le critère de la rémunération, aux
    yeux des juridictions grenobloises, ne pouvant compenser
    cette inexistence. Sur ce point, nous savons que la loi, puis la
    Chambre criminelle, auront, quelques mois plus tard, une position
    radicalement différente, en faisant au contraire du mode
    rémunératoire un critère déterminant de la délégation du service
    public.

  • Cour de cassation

    La Cour de cassation fut saisie d’un pourvoi par la ville de Grenoble,
    ainsi condamnée en première instance et en appel. Le
    mémoire reprit les arguments relatifs à la nature des activités
    déployées, afin qu’il soit jugé qu’elles ne pouvaient faire l’objet
    d’une délégation de service public. Dans un arrêt très remarqué, la
    Chambre criminelle lui donna raison :
    «  Aux termes du deuxième alinéa de l’article 121-2 du Code pénal,
    les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables
    pénalement que des infractions commises dans l’exercice
    d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation
    de service public ; spécialement, l’animation des classes de
    découverte pendant le temps scolaire constitue une activité du
    service public de l’enseignement public qui, par sa nature même,
    n’est pas susceptible de faire l’objet de conventions de délégation
    de service public ; une collectivité territoriale ne peut donc être
    déclarée responsable pénalement au titre d’infractions commises
    dans l’exercice d’une telle activité
    (…) » [14].

    Ainsi, l’exécution d’un service public communal d’animation de
    classes de découverte pendant le temps scolaire, participe du service
    de l’enseignement public, et ne peut, de ce fait, être déléguée.

    La solution est d’importance, pour mettre les municipalités
    à l’abri de toutes poursuites pénales dans le cadre de leurs actions
    socio-éducatives. La Cour de cassation prend le contre-pied de la
    position des juridictions grenobloises. Elle ne dit mot, ni de la rémunération,
    ni de son mode opératoire. Comme nous le savons,
    c’est dans un arrêt ultérieur que ce critère a été intégré par la jurisprudence
    criminelle. Seule la nature de l’activité socio-éducative
    est en cause, pour en admettre le caractère éminemment public,
    en tant que telle non susceptible de délégation. La responsabilité
    pénale est donc exclue, et la ville de Grenoble a finalement été
    blanchie de toute participation au drame.

3) Maintenance des équipements affectés à l’enseignement
technique

Un an après sa décision sur l’affaire du Drac, la Cour de cassation
a eu à nouveau à se prononcer sur des activités en rapport avec le
service public de l’enseignement.

L’élève d’un lycée technique avait été victime d’un accident, après
que la manche de sa blouse eut été happée par une fraiseuse en
rotation sur laquelle il était occupé à usiner une pièce. Afin d’engager
la responsabilité pénale de la région dont le lycée dépendait, la
cour d’appel retint que, n’impliquant pas l’exercice de prérogatives
de puissance publique, la mise en conformité de la machine, qui
lui incombait en application des dispositions de l’article 14, II, ancien
de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, reprises à l’article L. 214-6
du Code de l’éducation, pouvait faire l’objet d’une convention de
délégation de service public, la collectivité territoriale conservant
quant à elle la maîtrise d’ouvrage. Mais la Chambre criminelle a censuré
cette manière d’appréhender la question, jugeant au contraire
que : « l’obligation incombant à la région de mettre les machines
affectées à l’enseignement en conformité avec les prescriptions légales
et réglementaires relatives à la sécurité des équipements du
travail participe du service de l’enseignement public, et n’est pas,
dès lors, en raison de sa nature même, susceptible de faire l’objet
de conventions de délégation de service public
 » [15].

La Haute juridiction consacre ainsi une conception très large des
activités ne pouvant faire l’objet d’une délégation, parce que participant
du service public de l’enseignement. Sa jurisprudence ne
peut que satisfaire les collectivités territoriales, dont les actions
dans le domaine éducatif sont nombreuses et risquées. La commission
d’un délit non intentionnel (homicide involontaire, violences
involontaires, risques causés à autrui…) n’est jamais à exclure,
mais le préalable de l’activité ne permet pas, du moins dans
les conditions que nous venons de retracer, d’engager pour autant
leur responsabilité.

4) « Organisation » de transports scolaires

Les transports scolaires font partie des activités les plus souvent
déléguées. Mais ce n’est pas sans quelques nuances d’importance.
La matière est en effet très fine, tout ce qui est relatif à ces transports
n’étant pas d’emblée ouvert à la délégation. En témoigne
une espèce intéressante, qui a donné lieu à un arrêt instructif de la
Cour de cassation.

Un département avait confié, par convention, à une société privée,
l’exécution du service public des transports scolaires dans les secteurs
ruraux de la circonscription. Un accident se produisit, entraînant
la mort de plusieurs personnes, lié à un point de ramassage à
proximité d’un stop, sans aucun aménagement, notamment sous
forme d’abri ou d’aire de stationnement. Des poursuites furent
exercées du chef d’homicides involontaires contre le département
en tant que personne morale, qui aboutirent à sa condamnation. Il
lui fut reproché, par l’intermédiaire du président du conseil général,
d’avoir maintenu un point de ramassage à cet endroit, considéré
pourtant comme dangereux, alors qu’une autre possibilité
existait à proximité, présentant toutes les garanties de sécurité. Le
département se pourvut en cassation, contestant le principe de
sa condamnation. Il obtint gain de cause, sur le fondement d’une
subtile distinction.

La Chambre criminelle distingua entre l’organisation du transport
scolaire, auquel était rattaché l’aménagement de la voirie départementale,
et l’exploitation dudit transport, relative, quant à elle, à la
prise en charge et au déplacement des enfants scolarisés. Autant
l’exploitation relevait d’un service pouvant être délégué, ce qui
avait d’ailleurs été le cas en l’espèce, autant l’organisation, pour
sa part, n’était pas susceptible de faire l’objet d’une délégation
de service public, pour relever légalement de la compétence du
département. Or les défaillances mises à la charge de la collectivité
territoriale étaient des insuffisances d’organisation, et non
d’exploitation, ce qui, pour être ainsi rattachées à des activités non
délégables, ne pouvait que conduire à rejeter sa responsabilité. La
Haute juridiction a donc cassé l’arrêt de condamnation, disant que
le département condamné n’était pas susceptible de poursuites
pénales [16].

B – Activités susceptibles de délégation

Le bilan est le suivant.

1) « Exploitation » de transports scolaires

Il s’agit de rebondir sur la distinction entre l’« organisation » et
l’« exploitation » des transports scolaires. Nous venons de le voir,
autant l’organisation des transports incombe à la collectivité territoriale,
sans délégation possible, et donc sans responsabilité pénale,
autant, au contraire, ce qui participe de leur exploitation est
à même d’être délégué, et par conséquent est compatible avec
une telle responsabilité. La Cour de cassation est très explicite :
« si l’exploitation du service des transports scolaires est susceptible
de faire l’objet d’une convention de délégation de service public,
il n’en va pas de même de son organisation, qui est confiée au département
en application de l’article 29 de la loi du 22 juillet 1983,
devenu l’article L. 213-11 du Code de l’éducation, et qui comprend
notamment la détermination des itinéraires à suivre et des points
d’arrêt à desservir » [17].

À supposer que, dans le cadre de transports scolaires assurés par
une collectivité, un délit soit commis, il est indispensable, pour
se déterminer sur la possibilité d’engager ou non des poursuites
contre la personne morale elle-même, de rattacher l’infraction à ce
qui participe, soit de l’organisation, soit de l’exploitation : s’il s’agit
d’une défaillance d’organisation, la responsabilité pénale ne peut
être mise en jeu ; s’il s’agit, au contraire, d’une défaillance d’exploitation,
ladite responsabilité est tout à fait possible.

2) Exploitation d’un domaine skiable

Des poursuites ont été exercées contre une commune de montagne
des chefs d’homicide et blessures involontaires, à la suite
d’une avalanche. Il a été jugé que :
« Selon l’article 121-2 du Code pénal, les collectivités territoriales
et leurs groupements sont responsables pénalement des infractions
commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants,
dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet
de conventions de délégation de service public ; viole ce texte la
cour d’appel qui, sur la procédure ouverte à la suite d’une avalanche
qui a enseveli des skieurs pratiquant le ski de fond, relaxe
la commune, exploitant son domaine skiable en régie, poursuivie
pour n’avoir pas fermé la piste malgré le risque d’avalanche
existant, aux prétendus motifs que la fermeture de la piste de ski
relève du pouvoir de police qui ne peut faire l’objet de la part
du maire d’une convention de délégation de service public, alors
que le pouvoir de police du maire en matière de prévention des
avalanches, prévu par l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités
territoriales, n’exclut pas, en cas de méconnaissance
des obligations de sécurité fixées, la responsabilité de l’exploitant
à l’égard de l’usager
 » [18].

Cette espèce est intéressante, qui est dans le prolongement de
ce que nous avons déjà illustré au titre des missions de police
administrative, et en ce qu’elle permet de séparer ce qui relève
en propre de l’exploitation d’un domaine skiable, avec la possibilité
d’une délégation à ce titre, et ce qui continue à s’inscrire
dans le pouvoir de police du maire, quant à lui non susceptible
de délégation. Parce que la première ne peut se concevoir sans
les obligations de sécurité qui lui sont inhérentes, la responsabilité
pénale de la commune peut être engagée dans l’hypothèse
d’une défaillance sur ce plan, mais il n’en résulte pas que le maire
soit pour autant dépouillé des pouvoirs de prévention qu’il tient
directement de la loi.

3) Exploitation d’un théâtre

Est encore susceptible de délégation l’activité ayant pour objet
l’exploitation en régie d’un théâtre, et peut donc être engagée la
responsabilité pénale d’une commune, qui a confié à une société
extérieure les travaux de mise en conformité de l’installation électrique,
au cours desquels un salarié a fait une chute mortelle d’environ
dix mètres, alors qu’il intervenait sur un boîtier de dérivation
située sous le plafond. La commune et la société intervenante ont
été reconnues coupables d’homicide involontaire, faute d’avoir
établi un plan de prévention écrit, comme les y obligeait l’arrêté
du 9 mars 1993 pris pour l’application de l’article R. 237-8 du Code
du travail, et alors que leurs représentants avaient procédé de manière
superficielle à l’inspection commune préalable du chantier,
sans chercher à localiser le boîtier de dérivation sur lequel une intervention
était nécessaire.

L’espèce est à l’origine d’une définition pour la première fois plus
précise de l’activité susceptible de délégation de service public,
qui s’inspire ouvertement des dispositions de la loi MURCEF, avec
une référence explicite au mode de rémunération [19].

4) Entretien du réseau électrique d’un office HLM

A été retenue la responsabilité pénale d’une commune, ainsi que
d’un office HLM, du fait de l’électrocution d’un enfant qui jouait
dans une flaque d’eau, au pied d’un lampadaire sans circuit de
protection par raccordement à la terre [20].

Aucun écrit n’établissait
en l’espèce la répartition des tâches entre l’office et la municipalité,
si bien que la propriété de la voirie et des réseaux pouvait
être considérée comme n’ayant pas été rétrocédée à la commune
selon la procédure administrative applicable, et que l’installation
restait la propriété de l’office HLM. Mais la commune était titulaire
de l’abonnement auprès d’EDF, et payait à ce titre les fournitures
d’énergie. Il en a été déduit que le maire aurait dû se préoccuper
de l’entretien du matériel, et que, faute de l’avoir fait, il n’avait pas
accompli les diligences normales, compte tenu des compétences
et des moyens dont il disposait, ce manque d’initiative étant également
imputable à la commune elle-même. Il ne fait aucun doute
que l’activité en cause était susceptible de délégation de service
public, ce qui n’était pas contesté, et c’est sur ce fondement implicite
que la responsabilité pénale a pu jouer, en pesant, non seulement
sur le maire, mais encore sur la collectivité.

La responsabilité pénale des personnes morales est l’une des
principales nouveautés de la réforme entrée en vigueur le 1er mars
1994. Appliquée aux collectivités territoriales, elle est plutôt modeste,
ce que l’on doit à une approche étroite des activités susceptibles
de délégation de service public. -


 L’intervention du professeur Yves Mayaud en format PDF (extraits de la Revue Lamy des Collectivités Territoriales)

 Le sommaire de la Revue Lamy des Collectivités Territoriales de février 2014

[1Doit être regardée comme chargée d’une mission de service public,
au sens de l’article 432-12 du Code pénal, toute personne chargée,
directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but
de satisfaire à l’intérêt général, peu important qu’elle ne disposât
d’aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique (dirigeant
de fait d’une association chargée de la gestion de mesures de
protection judiciaire) : Cass. crim., 30 janv. 2013, n° 11-89.224 ; Dalloz
Actualité, 13 mars 2013, obs. Le Drevo D.

[2JO 12 déc., p. 19703.

[3JO 30 janv., p. 1588.

[4Cass. crim., 3 avr. 2002, n° 01-83.160, Bull. crim., n° 77 ; Cass. crim.,
6 avr. 2004, n° 03-82.394, Bull. crim., n° 89.

[5Planque J.-Cl., La détermination de la personne morale pénalement
responsable, L’Harmattan, 2003, p. 211.

[6Cass. crim., 16 nov. 2011, n° 11-81.203, RLCT 2012/79, n° 2191, obs.
Mayaud Y.

[7Circ. 7 août 1987, NOR : INTB8700232C, JO 20 déc., p. 14863.

[8Planque J.-Cl., op. cit., p. 190.

[9Auby J.-B. et Maugüé C., Les contrats de délégation de service public,
JCP G 1994, I, n° 3743.

[10CA Amiens, 9 mai 2000, Gaz. Pal. 2000, 2, p. 1413, note Petit S.
La notion d’activité délégable et le juge pénal

[11Cass. crim., 9 nov. 1999, n° 98-81.746, Bull. crim., n° 252 ; Rev. sc. crim.
2000, p. 389, obs. Mayaud Y., p. 600, obs. Bouloc B., et p. 851, obs.
Giudicelli-Delage G.

[12CA Grenoble, 25 févr. 1998, Bull. inf. C. cass. 1999, n° 141 ; JCP G
1998, IV, n° 3537 ; Gaz. Pal. 1998, 1, som., p. 183. - Confirmation de
TGI Grenoble, 15 mai 1997, Gaz. Pal. 1997, 2, som., p. 339.

[13CA Grenoble, 25 févr. 1998, préc.

[14Cass. crim., 12 déc. 2000, n° 98-83.969, Bull. crim., n° 371.

[15Cass. crim., 11 déc. 2001, n° 00-87.705, Bull. crim., n° 265.

[16Cass. crim., 6 avr. 2004, n° 03-82.394, Bull. crim., n° 89

[17Cass. crim., 6 avr. 2004, n° 03-82.394, Bull. crim., n° 89.

[18Cass. crim., 14 mars 2000, n° 99-82.871, Bull. crim., n° 114.

[19Cass. crim., 3 avr. 2002, n° 01-83.160, Bull. crim., n° 77.

[20TGI Narbonne, 12 mars 1999, Gaz. Pal. 1999, 1, p. 405, note Petit S.