Il existe un large consensus sur la nécessité de réformer notre organisation territoriale. Pourquoi dès lors la réforme suscite-t-elle encore une telle opposition ? Sans doute car elle passe à côté du véritable enjeu : le renouveau démocratique.
Lorsqu’en 1982 Gaston Deferre engage la décentralisation, il le fait au nom du renouveau démocratique et fort justement, il commence par créer des pouvoirs locaux afin de s’en faire des alliés dans la poursuite de la réforme.
Mais aujourd’hui, plutôt que de placer les collectivités dans une logique de responsabilité en leur confiant des missions précises, en les laissant libres de la bonne administration de leurs politiques, afin de permettre au final à l’électeur de trancher, voilà qu’au contraire le gouvernement les inscrit dans une logique de tutelle reposant sur la contrainte.
Celle-ci s’exprime à tous les niveaux : autonomie financière restreinte, cadre d’action encadré, recentralisation rampante, stigmatisation etc.
Cette logique s’oppose à l’idée même de décentralisation qui repose sur la notion de progrès démocratique. C’est pourquoi gouvernement et collectivités continuent de s’affronter dans un débat qui doit apparaître bien stérile aux yeux de nos concitoyens. Mais il est vrai qu’à le politiser sans cesse en pointant du doigt la soi-disant responsabilité des collectivités dans les déficits des comptes publics, le gouvernement enlève beaucoup de sens à sa réforme et donne le sentiment de vouloir démontrer, dans un grand élan d’autoritarisme, qu’il domine le rapport de force entre lui et les élus locaux.
La vraie question est ailleurs. Il est grand temps de reconnaître qu’il n’existe dans aucun pays développé au monde un échelon unique de pouvoir responsable. Dans la pratique, des élus locaux et des fonctionnaires assument des millions de décisions qui concernent notre vie de tous les jours. Le véritable enjeu de la réforme consiste donc à offrir un nouveau partage des rôles entre pouvoir central et pouvoirs locaux, dans une vision modernisée de la démocratie.
De ce point de vue, la réforme conserve beaucoup de lacunes. En voici quelques unes.
Tout d’abord, il paraît bien étrange de modifier l’organisation des pouvoirs locaux sans les associer réellement à ce chantier. C’est nier leur légitimité et la compétence de leurs élus ! La France n’étant pas un pays fédéral, le pouvoir législatif reste le monopole du Parlement. Mais la France étant une République décentralisée, le parlement devrait représenter la légitimité du Peuple via l’Assemblée nationale et celle des pouvoirs locaux via le Sénat.
Il suffirait pour cela que celui-ci soit composé des représentants des assemblées locales es-qualité. Ainsi serait reconnu le fait que les grandes questions qui se posent au pays relèvent d’une réponse partagée entre l’échelon central et les échelons locaux, et que ceux-ci ont donc leur mot à dire dans le travail parlementaire.
Ensuite, on ne peut que regretter que la réforme ne soit pas associée à une réflexion en profondeur sur la fiscalité. Pour que les élus locaux soient réellement en situation de responsabilité devant leurs électeurs, il ne suffit pas de redéfinir la distribution des compétences. Ils doivent pouvoir agir sur le volume des ressources à allouer aux objectifs sur lesquels ils sont engagés. À tous les échelons, une relation claire doit pouvoir être établie entre le niveau de prélèvement fiscal et le niveau de service public rendu en contrepartie.
Enfin, si chacun s’accorde sur la nécessité de rationaliser l’usage des ressources publiques, il s’agit de prendre garde à ce que la recherche systématique d’économies d’échelles notamment par l’intermédiaire de la fusion de collectivités ou de la mutualisation des moyens n’éloigne dangereusement les centres de décision des citoyens. Quelle sera la crédibilité d’un élu local s’il ne peut plus offrir une réponse concrète de proximité.
De nouveaux mécanismes sont donc à inventer dans les quartiers, les communes ou les arrondissements pour réorganiser la démocratie de proximité.
La décentralisation n’est pas une affaire de technicien. Elle renvoie à la conception collective que nous avons de notre démocratie. En ce sens, elle pourrait, si on voulait s’en donner la peine, constituer le vecteur d’une profonde modernisation de nos pratiques publiques. ◆
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