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Prise illégale d’intérêts : la nouvelle rédaction de l’article 432-12 du code pénal n’est pas d’application rétroactive

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 avril 2023, N° 21-87.217

La nouvelle rédaction de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts est-elle plus douce pour les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux ?

Non répond la chambre criminelle de la Cour de cassation à une directrice générale des services qui demandait l’application immédiate de la loi à son affaire au nom du principe de la rétroactivité des lois pénales plus douces. La Cour de cassation écarte le moyen en estimant que "les prévisions de l’article 432-12 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 aux termes de laquelle l’intérêt doit être de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de l’auteur du délit sont équivalentes à celles résultant de sa rédaction antérieure". Les analyses de plusieurs avocats que nous avions interrogés sur le sujet se trouvent ainsi officiellement confortées.
Ce qui ne veut pas nécessairement dire que, dans certaines espèces, la nouvelle rédaction ne pourra pas jouer en faveur des élus ou fonctionnaires poursuivis, mais la nouvelle rédaction ne constitue pas une évolution suffisamment significative pour qu’elle puisse être considérée globalement comme étant une loi pénale plus douce d’application rétroactive.

Une directrice générale des services (DGS) est condamnée pour prise illégale d’intérêts le 23 novembre 2021 par la Cour d’appel de Grenoble. Il lui est reproché l’attribution d’un des lots d’une zone artisanale à une SCI créée par son compagnon et dont elle était la gérante.

Un mois plus tard, le texte d’incrimination est retouché : la loi dans la confiance de l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 modifie la rédaction de l’article 432-12 du code pénal pour remplacer la notion« d’intérêt quelconque » par celle « d’intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de la personne publique. L’idée du législateur est de mieux cibler la répression, la notion d’intérêt quelconque étant très large.

A l’appui de son pourvoi la DGS demande logiquement à ce que la nouvelle loi lui bénéficie. En effet les lois pénales dites plus douces sont d’application rétroactive, c’est-à-dire qu’elle sont d’application immédiate aux affaires qui ne sont pas définitivement jugées [1]. A l’inverse les lois pénales plus sévères (par exemple qui augmentent une peine) ne s’appliquent qu’aux procédures qui ont été engagées après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

L’arrêt de la Cour de cassation était donc attendu avec une certaine impatience même si de nombreux avocats avaient émis des doutes sur le caractère moins sévère de la nouvelle rédaction (sur ce sujet lire notre article Prise illégale d’intérêts : du nouveau pour les élus locaux ? et voir le replay ci-dessous de notre colloque "Les collectivités territoriales face aux conflits d’intérêts).

La Cour de cassation écarte le moyen de la rétroactivité de la nouvelle loi soulevée par la DGS :

« En effet, les prévisions de l’article 432-12 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 aux termes de laquelle l’intérêt doit être de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de l’auteur du délit sont équivalentes à celles résultant de sa rédaction antérieure par laquelle le législateur, en incriminant le fait, par une personne exerçant une fonction publique, de se placer dans une situation où son intérêt entre en conflit avec l’intérêt public dont elle a la charge, a entendu garantir, dans l’intérêt général, l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions publiques (Crim., 19 mars 2014, QPC n° 14-90.001 ; Crim., 20 décembre 2017, QPC n° 17-81.975). »

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Cela ne veut pas nécessairement dire que la nouvelle rédaction sera sans effet dans certains cas d’espèce, mais globalement, les modifications apportées ne sont pas suffisamment significatives pour que le nouveau texte soit jugé plus doux que l’ancien et soit donc d’application rétroactive.

Au passage, la Cour de cassation souligne le rôle central du directeur général des services au sein d’une collectivité territoriale. Pour confirmer la condamnation de la DGS, la Cour de cassation relève ainsi « qu’en sa qualité de directrice générale des services, Mme [S] avait autorité sur l’ensemble des services de la commune et que son activité consistait, en particulier, à préparer et à exécuter les décisions du conseil municipal aux séances duquel elle assistait ainsi qu’à assurer une surveillance générale des affaires de la collectivité ».

Depuis la loi 3DS du 21 février 2022 tout élu local doit pouvoir consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques consacrés dans la Charte de l’élu local. Les collectivités ont jusqu’au 1er juin 2023 pour se mettre en conformité. Petite FAQ sur le sujet.

Cour de cassation, chambre criminelle, 5 avril 2023, N° 21-87217

[1Rétroactivité in mitius".