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Chute d’un agent dans les escaliers d’un immeuble en partant au travail : accident de trajet imputable à la collectivité ?

Cour administrative d’appel de Marseille, 4 juillet 2022, N° 21MA02328

Une fonctionnaire tombe dans les escaliers de son immeuble en partant au travail. La chute constitue-t-elle un accident de trajet engageant la responsabilité de la collectivité ?

Oui estime la cour administrative d’appel de Marseille, dès lors que la fonctionnaire avait bien quitté son domicile. La fonctionnaire a en effet chuté en descendant les marches de l’escalier situé dans les parties communes de la résidence dans laquelle elle occupe un appartement, alors qu’elle se rendait à son travail. L’accident s’est donc bien produit alors qu’elle avait quitté son domicile. Peu importe qu’elle se trouvait à l’intérieur du hall d’entrée de l’immeuble dont elle a un usage privé avec les autres habitants de l’immeuble. Le même accident serait survenu à un fonctionnaire dans les escaliers extérieurs de sa propriété, il n’aurait pas été couvert, faute d’être sorti de sa propriété.

Une fonctionnaire chute dans l’escalier de l’immeuble où elle réside et qu’elle quittait pour se rendre sur son lieu de travail. Elle demande en vain à son administration de reconnaître l’imputabilité au service de cet accident. Le tribunal administratif de Marseille la déboute, mais la cour administrative d’appel lui donne raison.

📕 Article L822-19 du code général de la fonction publique
« Est reconnu imputable au service, lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit en apportent la preuve ou lorsque l’enquête permet à l’autorité administrative de disposer des éléments suffisants, l’accident de trajet dont est victime le fonctionnaire qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son service et sa résidence ou son lieu de restauration et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel du fonctionnaire ou toute autre circonstance particulière étrangère notamment aux nécessités de la vie courante est de nature à détacher l’accident du service. »

Les juges d’appel soulignent en effet qu’ « est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service. Le trajet est le parcours qui commence après que l’agent est effectivement sorti de son domicile ou de la résidence où il est hébergé même provisoirement, que cette habitation soit individuelle ou collective ».

Or poursuit la cour administrative d’appel, la fonctionnaire « a été victime d’une chute en descendant les marches de l’escalier situé dans les parties communes de la résidence " La Croix Verte " dans laquelle elle occupe un appartement, alors qu’elle se rendait à son travail. L’accident s’étant produit alors qu’elle avait quitté son domicile, nonobstant le fait qu’elle se trouvait à l’intérieur du hall d’entrée de l’immeuble dont Mme B... a un usage privé avec les autres habitants de l’immeuble, copropriétaires ou locataires, elle doit être regardée comme ayant quitté son domicile pour emprunter le trajet séparant celui-ci de son lieu de travail, au moment de l’accident ».

Le même accident serait survenu dans une propriété d’un fonctionnaire (ex : qui aurait chuté dans des escaliers extérieurs), il n’y aurait pas eu débat : l’agent n’étant pas sorti de sa propriété, le trajet domicile-travail n’aurait pas été retenu. En effet l’accident de trajet doit survenir entre le lieu de travail et le domicile ou entre le lieu de travail et le lieu de restauration.

De fait, hors hypothèse de télétravail, un accident survenu dans la propriété de l’agent ne constitue pas un accident de trajet. Mais dès que l’agent a quitté l’espace privatif, il est protégé. Tel est le cas par exemple d’un agent qui chute sur le trottoir en descendant les marches donnant accès de sa propriété à la voie publique (Conseil d’Etat, 23 juin 1989).

Inversement tout accident survenu dans les dépendances du lieu de travail est un accident de service et non un accident de trajet. Tel est le cas d’un accident sur un parking (Cour de cassation, chambre sociale, 23 janvier 1985, N°83-13765) ou dans une cour de l’établissement (Conseil d’Etat 30 juin 1995 N° 124622).

Commentant l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille Eric Desfougères (Accident de trajet : quand les limites sont repoussées, il n’y a plus de bornes !, Cerdac Jac 16 décembre 2022) souligne que l’on peut « craindre que cet élargissement supplémentaire aboutisse sur une différence de traitement très difficilement explicable aux victimes selon qu’elles vivraient dans un immeuble collectif, auquel cas elles seraient couvertes pour les dommages survenus dans les espaces collectifs (escaliers, ascenseurs, paliers…) alors que celles bénéficiant d’une habitation individuelle avec espace extérieur (cour, jardins…) ne le seraient pas ». A suivre...

🧐 Les distraits sont-il protégés ?


Plusieurs arrêts peuvent laisser penser que les fonctionnaires ou les salariés distraits ne sont pas protégés en cas d’accident. Ainsi la chambre sociale de la Cour de cassation a refusé de qualifier d’accident de trajet, un accident dont a été victime un salarié qui est revenu sur son lieu de travail après s’être aperçu qu’il y avait oublié son portefeuille (Cour de cassation, chambre sociale, 28 juin 1989, N° 86-18869).

Le Conseil d’Etat a jugé de même s’agissant d’un fonctionnaire étourdi, qui, après une nouvelle affectation, est victime d’un accident sur un itinéraire le conduisant à... son ancien lieu de travail (Conseil d’Etat 4 juillet 2001, n°210667).

Mais dans un autre arrêt (Conseil d’Etat, 29 janvier 2010 n°314148), le Conseil d’Etat semble opérer un infléchissement de sa jurisprudence. En l’espèce un fonctionnaire a été victime d’un accident dans la gare suivant celle où il aurait dû descendre. Selon toute vraisemblance, parce qu’il s’est assoupi dans le train. Le Conseil d’Etat n’en considère pas moins que le fonctionnaire a bien été victime d’un accident de trajet.

Encore faut-il que l’étourderie ne reconduise pas l’agent dans sa propriété. Ainsi le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat le 12 février 2021 n° 430112) a jugé que ne constituait pas un accident de trajet la blessure survenue à un agent qui est retourné dans sa propriété pour fermer la porte de son garage, après avoir sorti son véhicule sur la voie publique.

Cour administrative d’appel de Marseille, 4 juillet 2022, N° 21MA02328