Le délit de prise illégale d’intérêts suppose-t-il une intention frauduleuse ?
En septembre 2014, le maire d’une commune de 20 000 habitants, annonce par lettre du maire au personnel de la mairie, la nomination d’une nouvelle directrice générale des services (DGS). Cette annonce soulève une forte réaction des syndicats. Et pour cause : l’intéressée n’est autre que... la sœur du maire et le recrutement a été réalisé sans respecter la procédure.
Pour régulariser la situation, le maire diffuse en novembre 2014 un profil de poste correspondant à cette fonction auprès du centre de gestion de la fonction publique territoriale en vue d’un recrutement.
A l’issue d’une préselection, le maire retient six candidats, dont sa sœur. Tous les candidats sont reçus pour un entretien par un jury composé de cinq personnes dont le maire. Le jury retient à l’unanimité la candidature de la sœur de l’élu.
Un intérêt moral suffit
Des poursuites sont engagées contre l’élu pour prise illégale d’intérêts et contre la DGS pour recel. Ils sont condamnés en première instance comme en appel, les juges reprochant à l’élu la désignation, puis la nomination par arrêté de la nouvelle directrice générale des services, seul ou en tant que membre du jury de recrutement qu’il avait mis en place et auquel il a participé. Les juges soulignent qu’indépendamment des incompatibilités légales, indifférentes quant aux faits, le lien familial unissant les deux prévenus, frère et sœur , constitue un intérêt moral et suffit à caractériser l’intérêt quelconque exigé par le texte du code pénal.
Les moyens de défense de l’élu
A l’appui de son pourvoi, le maire objecte :
1° qu’au sein d’une collectivité territoriale, le poste de directeur général des services est à la discrétion du maire dès lors qu’en vertu de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et du décret n° 86-68 du 10 janvier 1986, une déclaration de vacance a eu lieu et que la commission administrative paritaire a donné son avis. Or ces deux exigences ont bien été respectées en l’espèce ;
2° qu’en l’état des compétences indiscutées de la personne nommée en qualité de directeur général des services, le seul lien de parenté entre celle-ci et le maire ne peut constituer un intérêt moral entrant dans les prévisions de l’incrimination de prise illégale d’intérêts en l’absence d’éléments complémentaires de nature à établir un abus de fonction.
Culpabilité confirmée
La Cour de cassation rejette les moyens et confirme la culpabilité des deux co-prévenus sans ambiguïté :
Peine annulée
L’arrêt de la cour d’appel est revanche cassé sur les peines prononcées. En effet pour condamner le maire à six mois d’emprisonnement avec sursis et à un an d’inéligibilité et la directrice générale des services à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, l’arrêt s’est contenté d’énoncer que chacune de ces peines apparaît proportionnée à la nature et à la gravité des faits, ainsi qu’à la personnalité de leur auteur, jamais condamné. Or, rappelle la Cour de cassation, « en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle. ». Ainsi les juges d’appel auraient dû mieux s’expliquer sur la gravité des faits, les éléments de personnalité des deux prévenus et leurs situations personnelles respectives. Il appartiendra donc à la cour d’appel de renvoi de se prononcer sur la peine, la déclaration de culpabilité étant en revanche définitive.