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Aire d’accueil des gens du voyage insalubre, installations illicites justifiées ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 10 mars 2009, N° 08-86121

Des gens du voyage peuvent-il invoquer l’insalubrité de l’aire d’accueil d’une commune pour installer illicitement des mobile homes sur un terrain non constructible ?


 [1]

Le 26 octobre 2005 les services municipaux d’une commune pyrénéenne (9500 habitants) constatent qu’un terrain, situé dans une zone agricole et dans le périmètre de protection sanitaire d’une station d’épuration, est en cours d’aménagement. L’enquête de voisinage révèle que des gens du voyage ont acquis le terrain en vue de s’y installer avec leurs mobile homes bien que les parcelles soient classées en zone NC du plan d’occupation des sols de la commune.

Entendus par les gendarmes, les propriétaires indivis des lieux ne reconnaissaient pas les faits reprochés. Selon eux :

 les habitations, à savoir pour chacun d’eux un mobile home sur roues, peuvent être déplacées à tout moment ;

 ils ont été contraints d’acheter ce terrain pour s’y installer en raison de l’insalubrité de l’espace communal réservé aux gens du voyage (épidémie de gale et d’hépatite C) ;

 dans l’acte notarié, il s’agit de parcelles spécialement prévues pour le rassemblement de gens du voyage.

Trois mois plus tard des constats d’huissier relèvent la présence de quatre maisons préfabriquées montées sur pilotis, de deux caravanes et d’une carcasse de camion. D’autres constats suivront relevant la présence d’un tas de ferraille et des voitures destinées à la casse, l’installation de clôtures et de poteaux matérialisant l’entrée probable d’un chemin de desserte augmenté d’un panneau « propriété privée ».

Poursuivis pour installation de mobile homes en méconnaissance du plan d’occupation des sols de la commune, les propriétaires se défendent en :

 faisant état d’une note de renseignements d’urbanisme délivrée par le maire de la commune, qui est expressément visée par l’acte notarié d’acquisition du terrain et qui mentionne « emplacement prévu pour l’aire de grand rassemblement des gens du voyage » ;

 se prévalant de l’occupation d’autres terrains environnant dans les mêmes conditions ;

 invoquant l’insalubrité de l’aire d’accueil qui a crée une situation d’urgence les contraignant à installer des mobile homes en méconnaissance des dispositions du POS.

Condamnés en première instance, les propriétaires indivis sont relaxés en appel [2] : « eu égard à l’absence de contestation par la commune (...) tant de la réalité de cette note de renseignements établie par ses soins que de l’insalubrité de l’aire d’accueil devant être réservée sur son territoire pour les gens du voyage, circonstances à l’origine de l’acquisition dans l’urgence du terrain et du maintien des installations litigieuses, il y a lieu de juger que les prévenus n’ont pas volontairement enfreint la réglementation d’urbanisme applicable dans la commune  ». Et les juges d’en conclure « que l’élément intentionnel de l’infraction poursuivie n’est pas constitué ».

Ainsi la violation des dispositions du POS se trouve justifiée par l’insalubrité de l’aire d’accueil et la situation d’urgence dans laquelle se sont trouvés les prévenus. C’est une application de l’état de nécessité qui constitue en effet une cause d’irresponsabilité pénale. Ainsi aux termes de l’article 122-7 du code pénal « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Sur pourvoi de la commune, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt : les éléments retenus ne caractérisent pas en quoi la violation des règles d’urbanisme aurait seule permis d’éviter la situation de péril invoquée. Autrement dit pour que l’état de nécessité puisse être invoqué encore faut-il démontrer que les prévenus n’avaient pas d’autres solutions que de violer la loi pour échapper à la situation de péril résultant de l’insalubrité de l’aire d’accueil.

[1Photo : © Paula-Gent

[2cour d’appel de Montpellier, chambre correctionnelle,19 juin 2008