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Détournement de fonds publics par un fonctionnaire : l’élu condamné pour défaut de contrôle

Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2017, N° 15-87328

Un élu qui signe sans contrôler des factures que lui présente un fonctionnaire peut-il être condamné pénalement bien qu’il n’ait retiré aucun profit personnel des détournements commis par l’agent qui a trahi sa confiance ?

Oui l’élu peut engager sa responsabilité pour détournement involontaire de biens publics réprimé par l’article 432-16 du code pénal. Est ainsi condamné de ce chef le président d’une communauté de communes et d’un syndicat intercommunal qui n’a pas vérifié le bienfondé des factures qui lui présentaient la secrétaire générale, laquelle a ainsi pu détourner près de 800 000 euros en huit ans (ce qui lui a valu pour sa part une condamnation pour détournement volontaire de biens publics à trois ans d’emprisonnement dont la moitié avec sursis). La Cour de cassation précise pour l’occasion que l’article 432-16 du code pénal, fondement de la condamnation, n’exige pas, pour que le délit soit caractérisé, la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. La question pouvait se poser au regard des conditions posées par l’article 121-3 du Code pénal pour l’engagement de la responsabilité pénale non intentionnelle des personnes physiques. Même si le détournement involontaire de biens publics rentre bien dans le champ des infractions d’imprudence (tout en étant classé paradoxalement dans une section du code pénal consacrée aux manquements au devoir de probité), la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer les conditions propres à la responsabilité pénale des auteurs indirects du dommage à l’encontre desquels la preuve d’une faute qualifiée est en principe nécessaire. En tout état de cause cet arrêt rappelle que la confiance n’exclut pas le contrôle. Surtout lorsque sont en jeu des deniers publics...

Sur signalement du Tracfin [1] des détournements sont mis à jour au sein d’une communauté de communes et d’un syndicat intercommunal : en huit ans la secrétaire d’une communauté de communes et d’un syndicat intercommunal a ainsi pu détourner la rondelette somme de... 799 756, 17 euros. Comment ? Simplement en rédigeant des fausses factures au nom d’une SARL avec virement des sommes sur le compte personnel de son époux.

La secrétaire générale est condamnée pour détournement de fonds publics à trois ans d’emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis. Le président de la communauté de communes et du syndicat intercommunal est également poursuivi et condamné. Non pas qu’il lui soit reproché de s’être lui aussi enrichi personnellement mais qu’il n’ait pas exercé un contrôle minimum sur les factures qu’il signait.

Il lui est en effet reproché d’avoir signé, d’août 2004 à avril 2012, sans procéder à des vérifications élémentaires qui auraient révélé des anomalies patentes, les ordres de paiement étayés de quarante-sept fausses factures par la secrétaire générale de la communauté de communes, qu’elle lui a présentés et qui ordonnaient le virement des montants qui y figuraient au compte bancaire personnel de son époux.

L’élu est ainsi condamné pour détournements involontaires de biens publics à un an d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d’amende, les juges relevant qu’en s’abstenant de lire les documents présentés à sa signature par la secrétaire générale, en laquelle il avait une confiance aveugle, et en validant, sans en contrôler le contenu, des factures mensongères censées avoir été établies par une société SARL qui n’était pas en rapport d’affaires avec le syndicat qu’il présidait, l’élu a manqué aux devoirs de sa charge et commis une faute de négligence au sens de l’article 432-16 du code pénal.

La Cour de cassation rejette l’argument de défense de l’élu qui invoquait le bénéfice des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal relatif aux conditions de mise en jeu de la responsabilité pénale non intentionnelle des personnes physiques. En effet selon l’alinéa 4 de cet article, dans sa rédaction issue de la la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels [2], l’auteur indirect d’un dommage ne peut engager sa responsabilité pénale pour imprudence que s’il a commis une faute qualifiée [3].

Mais le législateur visait à l’origine les infractions d’homicide et blessures par imprudence. De fait le champ lexical employé par l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal est propre au registre de la sécurité physique des personnes. Il reste que l’article 121-3 du Code pénal est d’application générale et ne distingue pas selon les infractions d’imprudence. Le moyen de défense soulevé par l’élu n’avait donc rien d’incongru. La Cour de cassation écarte cependant l’argument :

"l’article 432-16 du code pénal, fondement de la condamnation, n’exige pas, pour que le délit soit caractérisé, la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité".

En tout état de cause, cet arrêt [4] rappelle que la confiance n’exclut pas un minimum de contrôle. Surtout lorsque sont en jeu des deniers publics...

Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2017, N° 15-87328

[1Tracfin est un Service de renseignement rattaché au Ministère des Finances et des Comptes publics. Il concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le Service est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui déclarer.

[2Dite loi Fauchon.

[3Soit une violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; soit une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

[4Contrairement à ce qui a pu être écrit, ce n’est pas la première fois qu’un élu est condamné de ce chef même si les poursuites de ce chef restent très exceptionnelles. Pour un autre exemple : Cour de cassation, chambre criminelle, 9 novembre 1998, N° 97-84696.