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Agent agressé en service : le Fonds de garantie des victimes d’infractions peut se retourner contre la collectivité

Tribunal administratif Clermont-Ferrand, 22 septembre 2016, N° 1500537

Le Fonds de garantie des victimes d’infraction peut-il, après avoir indemnisé un agent agressé pendant son service, se retourner contre la collectivité et lui demander le remboursement des sommes versées bien que l’agent n’ait pas sollicité la protection fonctionnelle et que la commune n’ait commis aucune faute ?

Oui : au titre de la protection fonctionnelle une collectivité est tenue d’assurer la juste réparation du préjudice subi par ses agents, lorsque ceux-ci ont été victimes, dans l’exercice de leurs fonctions, d’une agression. Après avoir indemnisé l’agent en raison de l’insolvabilité de l’agresseur, le Fonds de garantie des victimes d’infraction est fondé à se retourner contre la collectivité et ce même si l’agent n’avait rien demandé à la collectivité et n’avait pas sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle. Peu importe également que la commune n’ait commis aucune faute.

Pour autant la nature et l’étendue des réparations incombant à la collectivité ne dépendent pas de l’évaluation du dommage faite par l’autorité judiciaire dans un litige auquel la commune n’a pas été partie : elles doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public. Ainsi en l’espèce (cantonnier grièvement blessé par arme à feu par un administré mécontent que l’eau lui ait été coupé après des factures impayées), la commune (230 habitants) est condamnée à verser un peu moins de 150 000 euros sur les plus de 300 000 euros réclamés par le Fonds de garantie. Une somme qui reste cependant conséquente pour une commune rurale. D’où l’intérêt pour les communes de souscrire un contrat d’assurance les couvrant de l’ensemble de leurs obligations de protection fonctionnelle à l’égard des agents comme des élus (en souscrivant bien la garantie indemnitaire).

Après avoir coupé l’eau à un administré qui ne payait pas ses factures, un cantonnier d’un village du Puy-de-Dôme (230 habitants) est grièvement blessé par arme à feu : pour se venger l’administré, en état d’ébriété, s’est rendu, armé d’un fusil de chasse, au local technique où travaillait l’agent et a ouvert le feu à bout portant...

L’agresseur est condamné à onze ans de réclusion criminelle. Mais l’individu est insolvable et ne peut indemniser l’agent. C’est donc le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) qui est mis à contribution. Du moins dans un premier temps. Car le FGTI se retourne ensuite contre la commune et lui demande le remboursement de... 314298,08 euros.

En effet l’agent était en service lorsqu’il a été victime du tir [1]. Or au titre de la protection fonctionnelle (article 11 de la loi du 13 juillet 1983), "la collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences (...) dont il pourrait être victime" et "est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté".

D’autre part, en vertu l’article 706-11 du code de procédure pénale, le FGTI est « subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l’infraction ou tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l’indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes ».

Pas de prescription

Pour sa défense, la commune invoque d’abord la prescription. En effet l’agression a eu lieu en 2004, la constitution de partie civile de l’agent au cours de l’année 2006, et la cour d’assises du département de la Haute-Loire s’est prononcée définitivement sur cette action le 14 septembre 2009. Or le délai de prescription relatif aux créances sur les collectivités est de quatre ans. A priori donc le Fonds de garantie était forclos pour agir.

Pas aussi simple : la victime et son épouse, tant en son nom propre qu’en sa qualité d’administrateur légal de ses trois enfants mineurs, n’ont saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) qu’en 2010 laquelle a fixé le montant des indemnités dans une décision du 15 novembre 2010. Et c’est cette dernière date qui fait partir le point de départ de la prescription. Le FGTI était donc toujours dans les délais lorsqu’il a demandé à la commune le remboursement des indemnités versées en janvier 2012.

Responsabilité de la commune

Sans surprise le tribunal administratif fait droit à la demande du FGTI en se fondant sur les dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 qui font obligation à toute collectivité publique, saisie d’une demande en ce sens, d’assurer la juste réparation du préjudice subi par ses agents, lorsque ceux-ci ont été victimes, dans l’exercice de leurs fonctions, d’une agression. Il ne peut être dérogé à cette obligation, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général qui ne sont, en l’espèce, ni démontrés ni même invoqués par la commune.

Peu importe que la commune n’ait commis aucune faute à l’occasion des faits survenus dans le cadre des fonctions de la victime.

La commune ne peut pas plus objecter que l’agent n’avait formalisé aucune demande de protection fonctionnelle pour écarter l’action subrogatoire du FGTI :

"l’exercice, par le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, de la subrogation dont il bénéficie (...), ne saurait être subordonné, eu égard à sa nature même, à l’existence d’une demande de protection ou d’indemnisation d’ores et déjà formulée par l’agent, au titre de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983".

La circonstance enfin que l’agent n’ait pas formé de demande préalable d’indemnisation ne saurait davantage faire obstacle à la mise en œuvre de l’article 706-11 du code de procédure pénale. La commune devra donc payer. Reste à savoir à quelle hauteur...

Montant des sommes imputables à la commune

Le FGTI réclamait à la commune plus de 300 000 euros. Il en obtiendra un peu moins de la moitié. Non pas que le Fonds de garantie ait demandé plus que ce qu’il n’avait réellement payé mais que selon une jurisprudence bien établie des juridictions administratives (suivre les liens proposés en fin d’article) les collectivités ne sont pas tenues par le montant des dommages-intérêts alloués à l’agent agressé par le juge judiciaire :

"la nature et l’étendue des réparations incombant à une collectivité publique ne dépendant pas de l’évaluation du dommage faite par l’autorité judiciaire dans un litige auquel elle n’a pas été partie, elles doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public, indépendamment des sommes qui ont pu être exposées par le requérant à titre de provision, d’indemnité ou d’intérêts".

C’est ainsi notamment que le tribunal administratif rappelle :

 que l’agent admis à la retraite pour invalidité imputable au service à compter du 1er décembre 2008, perçoit depuis cette date, en conséquence de l’agression dont il a été victime, une pension d’invalidité, une rente d’invalidité ainsi qu’un supplément de pension bonifié ;

 que les dispositions législatives et réglementaires en application desquelles cette pension lui est servie déterminent forfaitairement la réparation à laquelle il peut prétendre au titre de l’atteinte portée à son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation incombant à la commune de garantir l’intéressé contre les dommages encourus dans l’exercice de ses fonctions ;

 qu’en l’absence de toute faute commise par la commune de nature à justifier l’exercice, à son encontre, d’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage, l’agent ne peut prétendre au bénéfice d’une indemnité complémentaire qu’au titre de la compensation de ses souffrances physiques et morales, ainsi que de ses préjudices esthétiques ou d’agréments, non pris en compte dans le calcul de ladite pension ;

 que la subrogation dont bénéficie le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions en vertu des dispositions précitées de l’article 706-11 du code de procédure pénale doit dès lors s’exercer dans les mêmes limites.

De même s’agissant des indemnités versées par le FGVI à l’épouse et aux enfants de l’agent, le tribunal administratif relève :


 "que l’épouse et les enfants d’un fonctionnaire victime d’une agression en service ne peuvent, même dans l’hypothèse où l’accident aurait été rendu possible par une mauvaise organisation du service révélant une faute de l’administration, avoir d’autres droits à l’encontre de cette dernière que ceux qui découlent du code des pensions civiles et militaires de retraite" ;

 "qu’ils ne sauraient, par suite, obtenir aucune indemnité de l’administration au titre du préjudice moral résultant pour eux de blessures et traumatismes de leur époux et père" ;

 "que le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, qui ne pouvait agir que comme subrogée dans leurs droits, n’était pas davantage fondé à réclamer à la commune d’Olloix le remboursement des sommes qu’il a dû leur payer".

Au final, après avoir ainsi examiné tous les postes de préjudice selon les règles du droit administratif, la commune est condamnée à verser 148894,56 euros sur les 314298,08 euros réclamés par le FGTI. C’est déjà mieux mais la somme encore très conséquente pour le budget d’une commune rurale. D’où l’intérêt pour les communes de souscrire un contrat d’assurance, en souscrivant bien la garantie indemnitaire, les couvrant de l’ensemble de leurs obligations de protection fonctionnelle à l’égard des agents comme des élus qui bénéficient d’un régime analogue.

Tribunal administratif Clermont-Ferrand, 22 septembre 2016, N° 1500537

[1Même s’il avait été agressé à son domicile, le lien avec l’exercice des fonctions aurait pu être facilement établi en l’espèce.