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Modification du PLU au profit d’un adjoint : le maire condamné pour complicité de prise illégale d’intérêts

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 juin 2016, N° 15-81124

Un maire peut-il être condamné pour complicité de prise illégale d’intérêts consécutivement à la modification du PLU ayant bénéficié à un adjoint alors que la délibération a été adoptée à l’unanimité et que le maire n’a poursuivi aucun intérêt personnel ?

Oui : il n’est pas nécessaire de prouver que le complice ait poursuivi un intérêt personnel pour caractériser une complicité de prise illégale d’intérêts. En l’espèce il était reproché à l’adjoint à la voirie d’une commune de 5000 habitants d’avoir :

 participé à la délibération du conseil municipal relative à la révision du plan local d’urbanisme (PLU) prévoyant, notamment, le reclassement partiel d’une parcelle appartenant à son épouse située initialement en zone agricole, dans une zone constructible ;

 exigé et obtenu de la société en charge des travaux d’aménagement commandés par la commune, l’installation de deux bateaux et d’un fourreau au droit de la parcelle concernée.

Pour sa défense, le maire faisait notamment valoir qu’il n’avait pris dans l’opération aucun intérêt personnel. Peu importe lui répond la Cour de cassation "dès lors que le délit de complicité de prise illégale d’intérêts n’exige pas la caractérisation d’un tel intérêt pour le complice". En revanche la Cour de cassation annule la peine prononcée à l’encontre de l’élu (un mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende), les juges d’appel ayant motivé cette peine en prenant appui sur des éléments de personnalité ne résultant pas du dossier de la procédure en violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’adjoint au maire d’une commune de 5000 habitants, délégué à la voirie, est poursuivi pour prise illégale d’intérêts. Il lui est reproché d’avoir :

 d’une part, participé à la délibération du conseil municipal relative à la révision du plan local d’urbanisme (PLU) prévoyant, notamment, le reclassement partiel d’une parcelle appartenant à son épouse située initialement en zone agricole, dans une zone constructible ;

 d’autre part, exigé et obtenu de la société en charge des travaux d’aménagement commandés par la commune, l’installation de deux bateaux et d’un fourreau au droit de la parcelle concernée.

Dispensé de peine en première instance, il est condamné en appel à 6 000 euros d’amende.

L’adjoint accepte sa condamnation et ne forme pas de pourvoi. A la différence du maire qui est lui condamné pour complicité de prise illégale d’intérêts à un mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende, soit une peine plus sévère que celle de l’adjoint qui a tiré profit de l’infraction.

Pour la cour d’appel le maire n’a pu, sans relation avec son adjoint, exclu de la commission en charge de l’élaboration du projet de PLU, inclure dans celui-ci le reclassement d’une parcelle qui n’avait pas été envisagé initialement. Ce d’autant que le maire, poursuivent les magistrats, partageait avec son adjoint une proximité politique (sic !) caractérisée notamment par le ralliement de celui-ci à sa majorité et.... des attributions en matière d’urbanisme comprenant notamment les décisions relatives aux aménagements litigieux.

Condamnation d’autant moins acceptée par le maire qu’il avait bénéficié d’une relaxe en première instance. D’où son pourvoi, à l’appui duquel il relève notamment :

 qu’il a agi sans conscience de la violation des règles de droit applicables dès lors qu’il pensait, en toute bonne foi, qu’il suffisait à son adjoint de ne pas prendre part au vote de la délibération du conseil municipal relative à l’acquisition d’un terrain lui appartenant pour que cette délibération soit conforme à la loi ;

 qu’il n’a pris dans l’opération aucun intérêt personnel.

La Cour de cassation n’en confirme pas moins la culpabilité du maire. Si elle ne répond pas au premier moyen qui, compte tenu d’une jurisprudence bien établie, n’avait aucune chance de prospérer [1], elle écarte expressément le second moyen "dès lors que le délit de complicité de prise illégale d’intérêt n’exige pas la caractérisation d’un tel intérêt pour le complice".

Nul besoin donc de prouver que le maire ait poursuivi un intérêt personnel, même indirect, pour qu’il puisse engager sa responsabilité comme complice de l’infraction commise par son adjoint.

Par contre la Cour de cassation annule la peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis et de 20 000 euros d’amende prononcée par les juges d’appel.

Non pas que le complice d’une infraction ne puisse être puni plus sévèrement que l’auteur principal mais que les juges d’appel ne pouvaient motiver une telle peine en s’appuyant sur des éléments de personnalité ne résultant pas du dossier de la procédure en violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Les juges d’appel avaient en effet relevé que dans une autre affaire impliquant l’élu, jugée le même jour et ayant fait l’objet d’une relaxe, le prévenu a manifesté la même inclination "à s’affranchir des règles administratives applicables aux indemnités des élus et de la responsabilité qui lui incombait, en sa qualité de maire, de respecter le principe fondamental de la République d’égalité de traitement des élus".

La Cour de cassation rappelle aux juges du fond que les dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme s’appliquent même lorsque la loi ne fait pas obligation aux juges de motiver leur décision compte tenu de la nature de la peine prononcée. Ainsi en se fondant sur des éléments extérieurs à la procédure, la cour d’appel a violé le texte susvisé. Il appartiendra dès lors à la cour d’appel de renvoi de statuer sur la peine conformément à ce principe.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 juin 2016, N° 15-81124

[1La seule abstention au moment du vote ne suffit pas à écarter une prise illégale d’intérêts dès lors que l’élu intéressé a participé aux débats ou à l’instruction du dossier, ou a donné des consignes.