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Annulation partielle et permis de construire modificatif : précisions du Conseil d’Etat sur le caractère divisible des éléments composant le projet litigieux

Conseil d’État, 1 octobre 2015, N° 374338

Le juge administratif peut-il ne prononcer qu’une annulation partielle d’un permis de construire bien que le vice invoqué affecte un élément indissociable du projet de construction ?

Oui en application des dispositions L. 600-5 du code de l’urbanisme issues de l’ordonnance du 18 juillet 2013 : lorsque les éléments d’un projet de construction ou d’aménagement auraient pu faire l’objet d’autorisations distinctes, le juge de l’excès de pouvoir peut prononcer l’annulation partielle de l’arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux. L’application de ces dispositions n’est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par ce vice soit matériellement détachable du reste de ce projet. Il suffit que la régularisation porte sur des éléments du projet pouvant faire l’objet d’un permis modificatif. Pour qu’une annulation partielle puisse être prononcée encore faut-il que :

1° les travaux ne soient pas déjà achevés ;

2° les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne remettent pas en cause, par leur nature ou leur ampleur, sa conception générale.

Mais la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu’elles fassent l’objet d’un permis modificatif. Ainsi une cour administrative d’appel ne peut refuser de faire application de ces dispositions au motif que le vice affecte une partie (en l’espèce des balcons) jugée indissociable de la construction.

Un maire délivre un permis de construire à une SCI pour la construction de trois bâtiments destinés à la création de soixante-dix logements. Des voisins du projet attaquent le permis en invoquant une violation des dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune relatives à l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives.

Des distances séparatives non respectées à cause des balcons

Le tribunal administratif de Toulouse leur donne raison et annule le permis : les balcons dépassaient en effet en surplomb de 44 centimètres la bande de 17 mètres à l’intérieur de laquelle les bâtiments devaient être implantés en vertu de l’article 7 (UB1) du règlement du plan local d’urbanisme. Or ce dépassement entraînait, selon le même article, l’application de la règle selon laquelle la distance minimale d’implantation par rapport aux limites séparatives doit être égale à la hauteur de la construction. Distance qui n’était pas respectée en l’espèce.

Pour la Cour administrative d’appel, pas de régularisation possible car les balcons constituent un éléments indissociable du projet

La cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013 qui vise notamment à privilégier les annulations partielles chaque fois qu’une régularisation est possible via un permis modificatif. La cour administrative d’appel de Bordeaux est sans doute l’une des premières à se prononcer sur l’interprétation à donner à ces nouvelles dispositions et sur leurs implications concrètes.

Or les magistrats bordelais confirment l’annulation totale du permis de construire prononcée estimant que l’illégalité viciant le permis n’était pas régularisable :

"les balcons que comportent les bâtiments faisant l’objet du permis de construire attaqué constituent, au regard de leur caractéristiques architecturales, de leur inclusion dans les immeubles et de la composition de ces derniers, des éléments indissociables de la construction".

Bref les nouvelles dispositions ne sont, en l’espèce, d’aucun secours pour sauver le projet de construction, les balcons formant un élément indissociable de l’ensemble.

Censure du Conseil d’Etat : l’application de ces nouvelles dispositions n’est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par ce vice soit matériellement détachable du reste de ce projet

Le Conseil d’Etat censure cette position reprochant aux juges d’appel d’avoir refusé l’application des dispositions de L. 600-5 du code de l’urbanisme au cas d’espèce. L’occasion pour le Conseil d’Etat d’apporter des précisions sur la portée de ce dispositif récent. Un arrêt d’autant plus important que la jurisprudence est encore rare sur le sujet :


 "lorsque les éléments d’un projet de construction ou d’aménagement auraient pu faire l’objet d’autorisations distinctes, le juge de l’excès de pouvoir peut prononcer l’annulation partielle de l’arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux" ;


 "les dispositions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme lui permettent en outre de procéder à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme qui n’aurait pas cette caractéristique, dans le cas où l’illégalité affectant une partie identifiable d’un projet de construction ou d’aménagement est susceptible d’être régularisée par un permis modificatif" ;


 "il en résulte que, si l’application de ces dispositions n’est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par ce vice soit matériellement détachable du reste de ce projet, elle n’est possible que si la régularisation porte sur des éléments du projet pouvant faire l’objet d’un permis modificatif" ;


 "un tel permis ne peut être délivré que si, d’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés - sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l’absence d’achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d’instruction en ce sens - et si, d’autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale" ;


 "à ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu’elles fassent l’objet d’un permis modificatif ".

Peu importe ainsi que la partie du projet affectée par le vice ne soit pas matériellement détachable du reste de ce projet dès lors que la régularisation porte sur des éléments du projet pouvant faire l’objet d’un permis modificatif.

Conseil d’État, 1 octobre 2015, N° 374338