Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Urbanisme : usage discriminatoire du droit de préemption ?

Cour d’appel de Grenoble 8 novembre 2006 n°06/00053

L’adjoint à l’urbanisme et le maire se sont-ils rendus coupables de discrimination en exerçant le droit de préemption de la commune sur une maison convoitée par un couple d’origine maghrébine ?


Un couple signe un compromis de vente pour l’achat de leur résidence principale. Le notaire leur conseille de se présenter en mairie, craignant que, compte-tenu de leur origine, le maire "ne complique le dossier et le fasse traîner". De fait, dès réception en mairie de la déclaration d’intention d’aliéner, les acheteurs sont informés que la commune exerce son droit de préemption pour la création d’un "local social favorisant la vie du quartier du lotissement". Le prix proposé par la commune, de 20 % inférieur au prix fixé dans le compromis de vente, est jugé inacceptable par les vendeurs. La commune ne poursuit pas la procédure, laisse passer la date pour la saisine du juge de l’expropriation et s’abstient de renouveler l’exercice de son droit de préemption lorsqu’une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner avec un autre acheteur lui est présentée.

Le 3 novembre 2000, le couple qui avait signé le premier compromis de vente porte plainte avec constitution de partie civile pour discrimination. Cinq ans plus tard le tribunal correctionnel de Vienne (TGI Vienne 29 novembre 2005) relaxe l’adjoint mais condamne le maire à 1500 euros d’amende et à 3 ans de privation des droits civiques, ce que confirme la Cour d’appel de Grenoble dans un arrêt en date du 8 novembre 2006.

Pour relaxer l’adjoint à l’urbanisme, les magistrats relèvent qu’il n’est pas démontré que l’élu, qui avait réceptionné la déclaration d’intention d’aliéner et avait reçu le couple en entretien, "ait eu un rôle spécifique dans la décision de préempter ce bien". Il résulte en effet des pièces du dossier, et notamment d’un courrier adressé au notaire du vendeur, que la décision de la préemption est revenue au seul maire de la commune qui s’est prévalue d’une délégation en ce sens du conseil municipal. Le fait pour l’adjoint d’avoir fait évaluer le bien et d’avoir présenté le projet aux adjoints est jugé insuffisant pour établir un rôle actif dans la prise de décision.

Pour confirmer la condamnation du maire, les magistrats de la Cour d’appel relèvent que les arguments avancés pour exercer le droit de préemption (urgente nécessité d’un local social) puis pour l’abandonner (difficultés financières subites) apparaissent peu crédibles. Le détournement de pouvoirs est jugé d’autant plus flagrant que le prix proposé au vendeur était manifestement trop bas et que le maire s’était montré publiquement réticent à l’accueil dans la commune des "populations étrangères notamment des membres de la communauté musulmane".

Et les magistrats de conclure que si "le droit d’acquérir un bien immobilier peut être limité par le droit de préemption dont sont notamment titulaires certaines personnes publiques [c’est] sous la condition cependant que celui-ci soit exercé dans les conditions et buts fixés par la loi". Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le maire a usé de son pouvoir de préemption dans le seul but d’empêcher le couple, "en raison de son appartenance à la communauté maghrébine de se porter acquéreur d’un bien immobilier, élément du droit de propriété accordé par la loi au sens de l’article 432-7-1° du code pénal". Au civil l’élu est condamné à verser 7000 euros de dommages-intérêts au couple plaignant et 4000 euros (au total) aux trois associations de lutte contre le racisme qui s’étaient jointes à la l’action.