Le comportement insolent, méprisant et irrévérencieux d’un subordonné peut-il être constitutif de harcèlement moral à l’égard du supérieur dénigré ?
En avril 2007, un fonctionnaire territorial chef d’un service d’action sociale territoriale d’un département, se suicide à son domicile. Quinze jours plus tard, un syndicaliste adresse un courrier au procureur de la République, imputant le décès du cadre territorial à de mauvaises conditions de travail et au harcèlement moral dont il aurait été victime.
Une enquête est diligentée. Les auditions conduisent à la mise en cause d’un éducateur, ancien responsable syndical, qui travaillait sous la responsabilité de la victime. Plusieurs fonctionnaires du service dénoncent son attitude revendicatrice et son comportement de dénigrement et de dévalorisation de la victime. L’ambiance au sein du service, composé de 40 personnes, était devenue détestable, le chef de service n’ayant plus aucune autorité sur son équipe : toutes ses décisions étaient systématiquement remises en cause « par un noyau dur » constitué autour de l’éducateur, décrit par certains des ses collègues comme un véritable pervers exerçant une aura sur l’équipe.
Dénigrement permanent et comportement irrévérencieux et méprisant
L’éducateur est poursuivi pour harcèlement moral. Il lui est reproché plus particulièrement :
– d’avoir, au retour d’un voyage de son supérieur hiérarchique, alerté l’équipe sur une possible contamination par le SRAS (grippe H1N1) et provoqué ainsi une véritable mise en quarantaine (sur 40 personnes travaillant de le service, 37 avaient déserté pour s’installer dans d’autres locaux !). Ayant avisé sa hiérarchie de cette situation, il lui a été conseillé de prendre un arrêt maladie de 10 jours ;
– d’avoir expliqué dans une lettre ouverte les raisons pour lesquelles il n’apportait pas son soutien à son supérieur, ce qui avait conduit la victime à être publiquement désavouée par sa hiérarchie devant tous les membres du service ;
– d’avoir adressé à son supérieur hiérarchique un courriel particulièrement obscène représentant une femme nue, assise sur la tête d’un condamné à mort.
– d’être venu au service un été en short et d’avoir, à la fin d’une réunion de service, chanté « l’internationale ».
– d’avoir déclaré, une semaine avant le suicide, que son supérieur « n’allait pas tenir longtemps et qu’il allait se foutre en l’air ».
En juin 2009, le tribunal correctionnel de Bressuire déclare l’éducateur coupable des faits qui lui sont reprochés et le condamne à six mois d’emprisonnement avec sursis.
Relaxe en appel
La Cour d’appel de Poitiers [1], infirme le jugement et relaxe le prévenu :
1° le prévenu « n’avait pas la qualité ni les moyens de porter atteinte, ni de compromettre l’avenir de son supérieur hiérarchique » ;
2° La victime, à trois ans de la retraite, était très bien notée et très appréciée de ses supérieurs hiérarchiques et assumait pleinement son rôle de cadre intermédiaire ;
3° Si la transmission d’un courriel obscène et le fait de venir au travail en short discréditent leur auteur, ils ne sont pas pour autant de nature à porter atteinte à la dignité de la victime qui avait consciencieusement fait remonter ces manquements à sa hiérarchie ;
4° Aucun élément de la procédure ne permet d’établir que les agissements du prévenu sont à l’origine d’une dégradation physique ou mentale de la victime. En effet aucune pièce médicale, ni aucun arrêt de travail en lien avec les faits reprochés au prévenu ne figure au dossier.
Et la Cour d’appel d’en conclure que si le comportement du prévenu :
Ce d’autant plus, poursuit la Cour, que la victime ne s’est jamais plaint d’un quelconque harcèlement mais a surtout ressenti un manque de soutien de sa hiérarchie « face à une équipe de travailleurs sociaux de plus en plus revendicatrice et (…) qui avait perdu toute mesure ». Sur ces bases, le Conseil général a d’ailleurs décidé de reconnaître le décès comme un accident du travail.
Annulation de la relaxe par la Cour de cassation
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt et et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel d’Angers pour être jugée conformément au droit :
– d’une part les juges d’appel ne pouvaient pas retenir "que les conséquences de la dégradation des conditions de travail devaient être avérées, alors que la simple possibilité de cette dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral" ;
– d’autre part "en subordonnant le délit à l’existence d’un pouvoir hiérarchique, alors que le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l’infraction", la cour d’appel a ajouté une condition non prévue par l’article 222-33-2 du code pénal.
Confirmation de la relaxe par la Cour d’appel de renvoi
La cour d’appel de renvoi (Cour d’appel d’Angers, 11 octobre 2012) n’en confirme pas moins la relaxe, estimant que les faits d’avoir envoyé, par inadvertance, un mail obscène à son supérieur hiérarchique, d’être venu travailler en bermuda au cours de l’été et d’avoir chanté ou sifflé le chant de l’Internationale au cours d’une réunion ne suffisent pas à caractériser l’infraction. Ce qui ne remet nullement en cause la position de la Cour de cassation et sa position de principe qui reste valable : le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l’infraction de harcèlement moral.
Refus de la protection fonctionnelle invalidé par le juge administratif
Le département avait refusé à l’agent poursuivi le bénéfice de la protection fonctionnelle estimant que celui-ci avait commis une faute personnelle. La cour administrative d’appel de Bordeaux [2] invalide ce refus : si les faits reprochés à l’agent, qui n’ont pas été reconnus comme constitutifs d’une infraction pénale, constituaient bien des fautes personnelles [3] ils n’avaient pas la gravité suffisante pour justifier le refus d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.