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Collectivités locales et sportifs de haut niveau : un cocktail explosif ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 13 octobre 2009, N° de pourvoi : 09-80369

13 ans de contentieux ! Tout un roman. Ou du moins un beau marathon judiciaire pour cette sportive de haut niveau en conflit avec son maire : détachement, mutation, réintégration, plainte du maire pour emploi fictif, refus de protection fonctionnelle, plainte de l’agent pour dénonciation calomnieuse... Tout y passe. Avec au final une question presque anecdotique tranchée par la Cour de cassation : lorsqu’une décision de relaxe est annulée sur le seul pourvoi de la partie civile, la juridiction de renvoi peut-elle prononcer une peine ?

Acte 1/Scène 1 : Le recrutement

Tout commence en 1989. Une sportive de haut niveau est recrutée par une commune du Nord (25 000 habitants) en qualité de maître-nageur auxiliaire, avant d’être titularisée comme maître-nageur sauveteur. Elle intervient en milieu scolaire, comme animatrice sportive, tout en poursuivant un entraînement sportif de haut niveau, dans la perspective de sa participation à des compétitions nationales et internationales de triathlon.


Acte 1/Scène 2 : Le détachement

En cours de mandat, elle est appelée à siéger au conseil municipal par suite de défections ou décès de plusieurs conseillers. Elle s’était en effet présentée sur la liste conduite par le maire. En raison de l’incompatibilité existant entre ce mandat électif et ses fonctions au sein du personnel municipal, le maire prend un arrêté la détachant auprès de la communauté urbaine pour une durée de cinq ans.

En fait la sportive est remise à la disposition de sa collectivité d’origine, et poursuit son activité professionnelle au sein de la commune, tout en étant rémunérée par la communauté urbaine... Elle peut ainsi continuer à siéger au sein du conseil municipal.


Acte 1/Scène 3 : La fin de détachement et la mutation

A l’issue de son détachement, en 1996, elle sollicite du maire la régularisation de sa situation administrative, à la faveur de sa réintégration dans les services municipaux.

Le maire prend un arrêté la mutant dans les services de la communauté urbaine et la promouvant au grade d’éducateur sportif hors classe de la commune avec effet rétroactif. Sauf que cette mutation n’a pas fait l’objet d’une demande préalable de l’intéressée. Celle-ci d’ailleurs n’y consent pas, la collectivité d’accueil, pour laquelle elle n’a jamais travaillé effectivement, ne comportant aucune filière sportive correspondant à sa qualification.

En tout état de cause, aucune des deux collectivités concernées ne lui offre de poste effectif d’éducateur sportif hors classe. Trois ans plus tard, après avoir démissionné de son mandat de conseillère municipale, elle sollicite à nouveau sa réintégration dans les services de la commune. Nous sommes alors en 1999.


Acte 1/ Scène 4 : La réintégration

Sans réponse du maire, elle saisit le tribunal administratif de Lille lequel annule la décision implicite du maire ayant rejeté sa demande de réintégration ainsi que la délibération du conseil municipal supprimant un poste d’éducateur territorial sportif hors classe. Il est enjoint à la commune de réintégrer la requérante sur un emploi d’éducateur territorial hors classe dans un délai de deux mois. Après plusieurs relances et l’intervention de l’autorité préfectorale le maire prend, en février 2002, un arrêté de réintégration dans l’emploi d’éducateur hors classe.

Le contentieux ne fait que commencer... Car l’arrêté pris par le maire n’est pas conforme aux dispositifs du jugement ordonnant la réintégration. Le maire reste insensible aux invitations de la préfecture à prendre un nouvel arrêté conforme au jugement, et maintient son arrêté.


Acte 2/ Scène 1 : La plainte au pénal du maire pour détournement de fonds publics

Les faits prennent alors une nouvelle tournure. Le maire porte en effet plainte au pénal pour des faits de détournement de fonds publics, emploi fictif et tentative d’escroquerie contre les finances communales. Il invite, par ailleurs, le président de la communauté urbaine à en faire de même.

A l’appui de sa plainte, il expose que la fonctionnaire, détachée auprès de la communauté urbaine suite à son élection en qualité de conseillère municipale d’octobre 1991 à janvier 2002, n’y a jamais réellement travaillé, tout en ayant été rémunérée pendant toute cette période. Il allègue que cette situation a été rendue possible par les appuis syndicaux qu’elle a reçus par l’intermédiaire de son mari, agent communautaire et élu syndical.

Affirmant n’avoir eu aucun moyen de contrôler le travail réel de la sportive, le maire déclare avoir été abusé sur son travail et ses capacités. Il soutient également que la saisine du tribunal administratif de Lille s’analyse en une tentative d’escroquerie aux finances communales, la requérante ne pouvant prétendre à être payée cumulativement d’un traitement d’éducateur territorial, d’une indemnité de conseillère municipale et d’un traitement d’agent communautaire.


Acte 2 /Scène 2 : Le non lieu

Après avoir entendu la fonctionnaire sous le statut de témoin assisté, le juge d’instruction rend, en octobre 2003, une ordonnance de non lieu motivée par la prescription de l’action publique s’agissant des faits de détournement de fonds publics. Non lieu que confirme la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Douai le 18 mai 2004.

En avril 2005, le juge d’instruction rend une seconde ordonnance de non-lieu concernant les faits dénoncés sous la qualification de tentative d’escroquerie : la reconstitution de carrière et le rappel de traitement à compter du 1er octobre 1996 demandée par la requérante à la commune ne sont que " la suite logique d’une démarche conflictuelle d’une légèreté blâmable dans la gestion d’une situation impliquant de l’argent public ", indépendamment d’une démarche éventuelle de la communauté urbaine aux fins de " la répétition des traitements indûment perçus à compter de la fin du détachement ".


Acte 2 /Scène 3 : La demande de protection fonctionnelle

Forte de ces décisions de non lieu, la fonctionnaire demande à la commune le bénéfice de la protection fonctionnelle pour la prise en charge de ses frais d’avocat.

Face au refus de la commune, la triathlète saisit les juridictions administratives. Dans un premier temps le tribunal administratif enjoint à la commune d’accorder sa protection à l’agent, mais le Conseil d’Etat [1] donne finalement raison à la commune en rappelant qu’une collectivité peut, pour décliner la demande de protection d’un agent au vu des éléments dont elle dispose à la date de sa décision [2], exciper du caractère personnel de la ou des fautes qui sont à l’origine de l’action au titre de laquelle la protection est demandée (sur ce point voir Protection fonctionnelle : quel que soit le motif de mise en cause ?) .

1 partout, balle au centre...


Acte 3/ Scène 1 : La plainte contre le maire pour dénonciation calomnieuse

Parallèlement, le 10 août 2005, la fonctionnaire porte plainte pour dénonciation calomnieuse. Dans un arrêt du 7 avril 2006 le tribunal correctionnel de Dunkerque condamne le maire :

1° Concernant la plainte pour escroquerie aux finances communales, la fausseté des faits dénoncés résultait nécessairement de l’ordonnance de non-lieu motivée par l’insuffisance des charges ;

2° Concernant la plainte pour détournement de fonds publics, la plainte du maire repose sur des faits inexacts, non fondés et inexistants, dès lors que la fonctionnaire n’était pas titulaire de pouvoirs municipaux en relation avec les détournements de fonds publics dénoncés, ni ne lui conférant une maîtrise ou un contrôle sur les fonds publics.

Le maire est ainsi condamné à une mesure d’interdiction des droits civiques, civils et de famille pendant une durée de dix-huit mois et à payer un euro de dommages-intérêts à la partie civile

Mais en appel le maire est relaxé. Sur le seul pourvoi de la partie civile, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel d’Amiens.


Acte 3 /Scène 2 : La condamnation du maire devant la cour d’appel de renvoi

La Cour d’appel de renvoi condamne le maire à 2000 euros d’amende relevant :

 que la situation administrative de la plaignante, ayant donné lieu au versement des traitements litigieux n’a pas été le fait de cette dernière, mais a bien résulté d’initiatives successives prises par le maire pour s’attacher la personne d’une sportive de haut niveau, à la fois comme animatrice sportive au sein de la commune, et comme membre du conseil municipal ;

 « que cette présence participait d’une bonne image de marque de sa commune et tendait à valoriser l’action du prévenu, en tant que maire » ;

 que l’élu « a mis à profit ses fonctions de vice-président de la communauté urbaine (...) , pour obtenir de " replacer " dans les effectifs communautaires, [la fonctionnaire] sans que cette dernière ait été exactement informée des conséquences administratives et personnelles de sa mise en position de détachement ». Ainsi, à l’issue de sa première période de détachement, il ne saurait être fait grief à la plaignante, « d’avoir voulu conserver son statut de personnel de la fonction publique territoriale » ;

 qu’en sa qualité d’éducatrice sportive hors classe, l’agent n’avait pas vocation, ni la faculté de manier des fonds publics, de sorte qu’il ne pouvait lui être imputé des faits de détournements de fonds publics ;

 qu’élu local de longue date, titulaire de plusieurs mandats électifs, le maire « ne pouvait ignorer le caractère pour le moins précaire aux plans administratif et budgétaire de " l’arrangement " mis en oeuvre par ses soins pour maintenir [la triathlète], dans ses fonctions d’agent territorial, une fois devenue conseillère municipale ».


Acte 3 /Scène 3 : L’arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 2009

La Cour de cassation [3] au final censure l’arrêt de la Cour d’appel de renvoi.

En effet : « lorsqu’une décision de relaxe est annulée sur le seul pourvoi de la partie civile, la juridiction de renvoi ne peut prononcer une peine, la décision ayant acquis force de chose jugée en ce qui concerne l’action publique ». La Cour d’appel ne pouvait statuer à nouveau sur l’action publique dès lors que la relaxe de l’élu était définitive.

[1Conseil d’Etat 14 novembre 2007 N° 296698

[2Et donc non obstant le principe de présomption d’innocence.

[3Cour de cassation, chambre criminelle, 13 octobre 2009, N° de pourvoi : 09-80369