L’eau, révélateur du dérèglement climatique
Marie-Christine Huau (Directrice Stratégie Eau & Climat Veolia Eau France ) a ouvert le débat en soulignant que
Si la France bénéficie d’une situation hydrique privilégiée, elle n’est pas à l’abri des extrêmes :
Désormais, certains territoires du sud connaissent des régimes climatiques proches de ceux de l’Espagne, imposant une adaptation rapide des politiques locales.
Séverine Bourserie (directrice du syndicat intercommunal Les eaux de Beaufort) a illustré cette accélération par un exemple concret :
Elle insiste sur la nécessité d’anticiper et de préparer la population à ces risques.
L’eau, enjeu transversal et politique
Régis Taisne ( chef du Département Cycle de l’eau à la FNCCR) a rappelé que la gestion de l’eau ne peut plus être cantonnée à une dimension technique :
L’eau interagit avec toutes les politiques publiques : aménagement, urbanisme, agriculture, industrie, tourisme, et même culture. Cette transversalité impose de décloisonner les approches et de renforcer la coopération entre acteurs.
Territorialisation et contextualisation des réponses
La gestion de l’eau en France ne peut se concevoir de façon uniforme. Comme l’a souligné Marie-Christine Huau, « la France n’est pas une entité homogène mais représente trente territoires distincts », chacun caractérisé par son taux de pluviométrie, son altitude et sa température moyenne. Elle précise :
Elle a partagé des exemples concrets de bonnes pratiques territoriales :
- Bordeaux Métropole a su décloisonner l’approche contractuelle entre petit et grand cycle de l’eau, permettant une gestion intégrée du pluvial, de l’assainissement et de l’eau potable, tout
en associant la Gemapi pour l’atténuation des risques d’inondation.
- La station du Cap-Sicié à Toulon se distingue par son intégration environnementale : invisible depuis la mer, elle est ultra performante pour traiter les micropolluants et microplastiques.
- Bonifacio en Corse a mis en place une station d’épuration sous la citadelle, parfaitement intégrée au paysage, qui favorise la réutilisation des eaux usées pour des usages urbains et environnementaux.
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La station de Saint-Cyprien de la communauté de communes Sud Roussillon qui a été équipée d’une usine d’ultrafiltration et qui réutilise les eaux usées traitées pour l’arrosage d’espaces verts, de terrains de sports et pour le carainage des bateaux dans un contexte de sécheresse prolongée.
Madame Huau rappelle que « la récupération et l’infiltration à la parcelle doivent être organisées dans une analyse territoriale à la bonne échelle pour définir une trajectoire de résilience face au dérèglement du cycle de l’eau — trop d’eau ou pas assez. Les solutions existent, mais la difficulté est qu’elles soient appropriées par tous, y compris les autorités, les maîtres d’ouvrage et leurs assistants, pour faire évoluer les cahiers des charges dans ce processus juridico-contractuel. »
La solution du bassin de récupération à Bordeaux Métropole
Comme l’explique Marie-Christine Huau : « À Bordeaux Métropole, nous avons travaillé avec tous les acteurs locaux pour utiliser efficacement la nappe phréatique affleurante. Les bassins de plan d’eau qui servent habituellement de tampons ont été transformés avec une solution fondée sur la nature : l’eau de pluie est réinfiltrée dans la nappe et peut être récupérée pour des usages de proximité (arrosage d’espaces verts, hydro-curage, nettoyage de réseau). »
Cette démarche permet :
✔ De limiter les risques d’inondation en favorisant l’infiltration naturelle de l’eau,
✔ D’associer les acteurs locaux dans une gestion intégrée et durable du cycle de l’eau.
Bordeaux Métropole illustre ainsi la capacité des collectivités à adapter leurs infrastructures et à innover pour répondre aux défis climatiques et environnementaux.
Sensibiliser et impliquer les usagers : l’expérience du syndicat Les eaux de Beaufort
Séverine Bourserie a partagé une démarche exemplaire de sensibilisation et d’accompagnement des usagers vers une gestion plus responsable de la ressource. Sur son territoire, la priorité est d’anticiper les crises et de préparer la population à des épisodes de pénurie ou de pollution, tout en maintenant la confiance et l’adhésion.
Face au risque de manque d’eau, le syndicat a mis en place des dispositifs de gestion de crise très concrets :
- Réduction de la pression dans les réseaux, quartier par quartier, pour maîtriser les consommations tout en garantissant une alimentation minimale dans chaque centre-bourg.
- Information proactive : les habitants sont prévenus deux semaines à l’avance, avec du porte-à-porte et des courriers personnalisés.
- Installation de points d’eau à proximité lors des coupures, pour les logements privés d’eau.
Séverine Bourserie insiste sur la nécessité de rendre l’usager acteur de sa consommation :
« Je donne la possibilité à l’usager d’être acteur : il peut consulter ses consommations d’eau sur smartphone et bientôt, à partir de l’année prochaine, les visualiser heure par heure pour cibler ses usages. »
Des référentiels clairs sont communiqués à la population :
- Une douche = 15 litres
- Volume essentiel = 40 litres par jour et par personne
- En collectivité (travail, école) = 10 litres, soit les 50 litres recommandés par l’OMS
Le syndicat ne porte pas de jugement sur les usages, mais pose des repères pour aider chacun à mieux comprendre et maîtriser sa consommation.
La communication est adaptée : au début, les réglages de pression suscitaient de fortes réactions et de nombreux appels. En affinant la méthodologie de rencontre, le syndicat a constaté une évolution positive :
« Au bout d’un an et demi, les gens commencent à intégrer nos messages et se sentent rassurés. »
La maintenance du réseau est très structurée :
- 35 communes divisées en 134 secteurs de suivi
- Surveillance quotidienne des volumes nocturnes pour détecter les fuites
- Entretien systématique des vannes, purges et ventouses
Séverine Bourserie souligne que la réussite de cette démarche repose sur le soutien des élus locaux, qui relaient les messages dans les bulletins communaux et intègrent la problématique de l’eau dans les documents d’urbanisme (SCoT, inter-SCoT, SAGE).
Le syndicat souhaite désormais renforcer la sensibilisation sur la répartition des volumes dans le temps et élargir la démarche aux professionnels (plombiers, magasins de bricolage).
« Aujourd’hui, je cherche encore à améliorer la prise de conscience de l’importance du temps — la répartition du volume dans les temps — auprès du public. »
Injonctions contradictoires : le témoignage de David Naël, maire de Carentoir dans le Morbihan
si nous allons la garder. Nous sommes déjà à la fin de l’année. Le PPRI varie selon les bassins-versants des différentes rivières du Morbihan (Vilaine, Oust ou Aff). Je trouve que nous avons des intérêts et des injonctions contradictoires entre ces différentes plateformes. En janvier, nous avons subi de grosses inondations au niveau du pays de Redon, et en 2022, de gros incendies. Sur notre commune, nous avons deux grands étangs touristiques qu’on nous encourage à supprimer au titre de la renaturation des cours d’eau. Mais quand la forêt de Brocéliande brûlait il y a trois ans, les SDIS étaient bien contents de venir pomper dans nos étangs. Récemment, nous devions émettre un avis sur le projet de SAGE Vilaine, un dossier de 400-500 pages envoyé à tous les élus et conseils municipaux. Tous devaient délibérer, avec un avis réputé favorable par défaut. Je doute que tous les élus soient au courant des enjeux de l’eau. Même en Bretagne, pays de l’eau, il est très compliqué pour nous de s’y retrouver.
Décloisonner, coordonner et sécuriser juridiquement la gestion de l’eau
Me Eric Landot a mis en lumière la fragmentation du système français de gestion de l’eau, caractérisé par « d’énormes décalages en termes d’investissement » et une dispersion des compétences entre de nombreux réseaux ruraux, collectivités et syndicats. Ce morcellement historique rend la coordination difficile, surtout face à l’ampleur des défis actuels.
La gestion de l’eau et de l’assainissement a été progressivement intercommunalisée, notamment dans les métropoles et communautés urbaines. Cependant, la loi du printemps dernier a introduit une approche « à la carte » qui offre une certaine souplesse, tout en maintenant des blocages politiques. Me Landot insiste sur la nécessité de décloisonner les cycles de l’eau (eau potable, assainissement, Gemapi) et d’impliquer tous les acteurs concernés, y compris les services d’urbanisme et le monde agricole. Il recommande aux élus :
Il met également en garde contre la multiplication des coordinateurs, qui peut nuire à l’efficacité de l’action publique :
« Quand j’ai quinze coordinateurs, je n’ai plus de coordination. »
Les intervenants ont souligné l’importance de sortir des logiques de silos administratifs et de privilégier une approche territoriale adaptée, en impliquant tous les acteurs concernés. Sur le plan des responsabilités, Me Landot rappelle que les collectivités doivent anticiper les contentieux et travailler en amont avec les juristes pour trouver des solutions adaptées, notamment via des conventions et des syndicats mixtes. Après avoir évoqué les différents régimes juridiques de responsabilité applicables, il rappelle que la gestion de l’eau doit s’accompagner d’un travail de terrain porté par les élus, capables de fédérer les acteurs et de faciliter le dialogue, notamment dans les situations de conflit d’usage ou de crise.
Préparation, résilience et communication
Régis Taisne a insisté sur la nécessité de préparer les territoires :
gère dans l’urgence, la panique, l’émotion, et les choix ne sont pas optimaux. Des outils existent : plans de continuité d’activité pour les entreprises, plans communaux de sauvegarde, Orsec... »
La sensibilisation, la planification et la communication intelligente sont essentielles pour rassurer la population et faciliter l’acceptation des mesures.
Depuis la salle, Anne Madelenat (SMACL Assurances) abonde en ce sens :
La préparation est indispensable et passe par la sensibilisation des administrés, le changement de pratiques — pas uniquement des ménages mais de l’ensemble des parties prenantes, la planification du territoire avec des PPRN, des PLU, des PCS, et les DICRIM qui permettent de sensibiliser les individus.
La gestion des infrastructures est également cruciale : l’entretien de la voirie et des canalisations est essentiel. Si vous n’avez pas fait le nécessaire auprès de vos avaloirs et canalisations avant une pluie diluvienne suivant une période de sécheresse, vous risquez un phénomène de ruissellement intensifié. Il faut maintenir un bon entretien régulier des ouvrages publics et réfléchir aux solutions fondées sur la nature, indispensables dans l’aménagement des infrastructures. Il s’agit vraiment d’une question de communication et de sensibilisation à l’échelle du territoire. »
Axes opérationnels pour les collectivités
✔ Anticiper et préparer la gestion de crise
Actualiser régulièrement les documents d’identification des risques et de gestion de crise (notamment les Plans Communaux de Sauvegarde), veiller à leur caractère opérationnel, mettre en place des dispositifs d’alerte, informer la population en amont et organiser des exercices pour tester la réactivité des équipes.
✔ Décloisonner les compétences et les services
Encourager la coopération entre les différents services (eau, assainissement, urbanisme, Gemapi…) ainsi qu’entre collectivités, afin de favoriser une approche globale et cohérente de la gestion de l’eau.
✔Impliquer les usagers
Sensibiliser les citoyens, leur donner accès à leurs données de consommation, et promouvoir les économies d’eau ainsi que les comportements responsables au quotidien.
✔Adapter les solutions au contexte local
Prendre en compte les spécificités climatiques, géographiques et sociales de chaque territoire, et privilégier les solutions fondées sur la nature pour une gestion durable et résiliente de la ressource.
✔Intégrer la gestion de l’eau dans l’urbanisme
Coordonner les actions entre les différents niveaux de collectivités et veiller à ce que la gestion de l’eau soit pleinement intégrée dans les documents d’urbanisme et les projets d’aménagement.
✔ Assurer l’entretien régulier de la voirie et des canalisations
Veiller à un entretien rigoureux des ouvrages publics, notamment des avaloirs et des réseaux d’assainissement. Un défaut d’entretien, notamment avant une pluie diluvienne suivant une période de sécheresse, peut entraîner un ruissellement intensifié et aggraver les risques d’inondation. La maintenance préventive est donc essentielle pour limiter les impacts des événements extrêmes.
Conclusion
La gestion des extrêmes hydriques impose aux collectivités de repenser leur organisation, d’innover et de renforcer la coopération entre acteurs. Les solutions existent, mais leur réussite dépend de la capacité à anticiper, à contextualiser et à impliquer l’ensemble des parties prenantes. Comme le résume Séverine Bourserie :











