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© Jean Duverdier pour SMACL Assurances

Justice sous le chêne : quand les glands tombent, les recours pleuvent

Cour administrative d’appel de Nantes, 6 Juin 2025, n° 24NT02758

© Jean Duverdier pour SMACL Assurances

Dans une petite cité de caractère bretonne, des propriétaires ont décidé de partir en croisade contre un ennemi de taille : un chêne centenaire. Oui, centenaire. Un arbre qui a résisté jusqu’ici aux tempêtes, aux champignons pathogènes... et désormais, aux procédures administratives.

 

Tout commence par une plainte étayée par constat d’huissier : un chêne, propriété de la commune, aurait l’audace de laisser tomber ses feuilles, ses glands et même quelques petites branches sur le garage des requérants...

 

Un comportement jugé hautement subversif par les intéressés, qui réclament l’élagage immédiat de l’arbre et une indemnisation de 6 000 euros pour préjudices divers, dont une toiture un peu mousseuse et une fuite d’eau mystérieuse.

 
Et tant pis si le chêne centenaire, était là bien avant la construction du garage. 
 

La commune, elle, ne se laisse pas démonter et brandit une facture d’élagage de 2020, preuve qu’elle a déjà taillé dans le vif du sujet en suivant les recommandations d’un expert. 

 

Car un diagnostic du chêne a révélé que si l’état physiologique de l’arbre était bon, il comportait toutefois une altération importante d’une charpentière centrale susceptible d’entraîner la chute de la branche sur le garage des intéressés. Il a alors été préconisé une taille d’allègement, sans toutefois enlever plus d’un tiers de la branche et un examen visuel de l’arbre dans les 3 ans. 

 
 

Et puis, le chêne est classé comme «  espace boisé isolé  » dans le plan local d’urbanisme. Autrement dit, c’est un VIP du paysage bucolique.

 

Le tribunal administratif de Rennes rejette en conséquence la demande du couple : pas de responsabilité sans faute, pas de carence du maire, pas de 6 000 euros. 

 
Sur appel des propriétaires, la cour administrative d’appel confirme que les désagréments subis ne dépassent pas les inconvénients normaux du voisinage :
 
 Il ne résulte pas des photos prises par les intéressés au cours de l’année 2024, seuls justificatifs postérieurs à ces travaux, que la présence de feuilles mortes, de glands et de branches mortes sur leur toiture ou dans leur jardin, excéderait les inconvénients de voisinage auxquels doivent s’attendre les propriétaires d’une habitation en zone rurale. De même, si les époux A... se prévalent de deux devis de démoussage et de nettoyage de leur toiture en date des 5 décembre 2017 et 13 janvier 2022, ces seuls justificatifs ne suffisent pas établir que la dégradation entraînée par la chute de feuilles ou petites branches mortes aurait nécessité la réalisation de travaux excédant le simple entretien de leur propriété. En outre, la commune précise que le chêne qui préexistait à la construction de la maison des époux A... est protégé dans le plan local d’urbanisme en tant qu’" espace boisé classé - arbre isolé " et que l’habitation se situe dans un cadre bucolique, à proximité immédiate d’un vaste plan d’eau, susceptible de favoriser le développement de mousses. Enfin, si les requérants invoquent une fuite d’eau qui se serait produite au cours du mois de février 2024 sous le porche d’entrée de leur maison, ils ne justifient ni de la déclaration de ce sinistre auprès de leur assureur, ni de l’origine de ce désordre. Il résulte de tout ce qui précède que les époux A... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité sans faute de la commune de Saint-Aubin-du-Cormier à raison des nuisances que leur occasionneraient les arbres (...) et notamment le chêne centenaire.

Le chêne restera debout, majestueux, et les glands poursuivront leur chute libre. Mais ses branches, elles, continuent d’offrir une ombre bienvenue quand le thermomètre s’emballe. Car à l’heure où les épisodes caniculaires s’enchaînent aussi vite que les recours en justice, vivre à l’ombre d’un chêne centenaire, ce n’est pas un désagrément… c’est un privilège. Même en Bretagne, où l’on sait que la pluie ne tombe que pour mieux faire pousser les arbres.

 

© Jean Duverdier