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La convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale : kézako ?

Dernière mise à jour le 2 juillet 2025

Dans le cadre du suivi du contentieux pénal des collectivités territoriales, nous constatons qu’une procédure commence, sans bruit, à rencontrer un certain succès auprès de quelques parquets : la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). De quoi s’agit-il et quelles sont les obligations qui peuvent être mises à la charge des collectivités ?

La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II » a introduit à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale un mécanisme procédural innovant, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).
 
C’est un dispositif transactionnel permettant un traitement rapide des procédures ouvertes contre des personnes morales. Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux personnes morales mises en cause pour des faits de corruption et trafic d’influence, actifs et passifs, fraude fiscale, blanchiment et toute infraction connexe. 
 
Ce mécanisme a depuis été entendu aux infractions environnementales. En effet, la loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a créé un mécanisme similaire à l’article 41-1-3 du code de procédure pénale pour les délits prévus par le code de l’environnement et infractions connexes. Certains parquets sont plus propices que d’autres à initier cette procédure, y compris lorsque la personne mise en cause est une collectivité territoriale. 
 

Plusieurs obligations peuvent cumulativement être mises à la charge de la collectivité

 
Tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à la personne morale (y compris une collectivité territoriale), une ou plusieurs obligations suivantes :
 

1° Verser une amende d’intérêt public au Trésor public

 
Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention ;

2° Régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans ;

3° Se dessaisir au profit de l’Etat de tout ou partie des biens saisis dans le cadre de la procédure ;

4° Assurer, dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle des mêmes services, la réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises.
 
 
Au départ ce sont les entreprises qui étaient concernées par ce dispositif. D’où la référence au chiffre d’affaire pour la détermination du montant de l’amende. Il reste que le texte est général, le code procédure pénale évoquant les "personnes morales" sans restriction (entreprise, association, collectivités, SDIS...). De fait, en pratique, certains parquets se saisissent de cette procédure s’agissant des infractions environnementales imputées à des collectivités territoriales. Avec une restriction juridique qui semble éludée puisque l’on se situe en amont du déclenchement de l’action publique selon un mode alternatif aux poursuites. En effet en principe, en vertu de l’article 121-2 du Code pénal, "les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public". De fait, si la collectivité refusait, comme c’est son droit, ce mode alternatif aux poursuites, l’action publique pourrait alors être mise en mouvement et le tribunal correctionnel devrait vérifier que les conditions posées par l’article 121-2 du code pénal sont bien remplies. 
 
5° Prise en charge (dans la limite d’un plafond fixé par la convention) des frais d’expertise techniques engagés par les autorités (services compétents du ministère chargé de l’environnement ou les services de l’Office français de la biodiversité) pour l’exercice de leur mission de contrôle.
 
6° Lorsque la victime est identifiée et que la personne morale responsable ne l’a pas encore indemnisée, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an.
 

Accord nécessaire de la collectivité et droit de rétractation

 
Il s’agit d’un processus transactionnel qui suppose l’accord de la personne morale poursuivie. Celle-ci doit donner son accord à la proposition de convention, autorisant alors le procureur de la République à saisir président du tribunal judiciaire pour validation. 
 
Une audience publique est prévue au cours de laquelle le représentant de la personne morale mise en cause et les éventuelles victimes sont entendus. 
 

Si le président du tribunal rend une ordonnance de validation, la personne morale mise en cause dispose, à compter du jour de la validation, d’un délai de dix jours pour exercer son droit de rétractation. La rétractation est notifiée au procureur de la République par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Si la personne morale mise en cause n’exerce pas ce droit de rétractation, les obligations que la convention comporte sont mises à exécution. Dans le cas contraire, la proposition devient caduque.

 
A la différence d’une procédure de plaider-coupable (CRPC), l’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.
La convention judiciaire d’intérêt public n’est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire. Elle fait néanmoins l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République. En outre L’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère chargé de l’environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise ou, à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient.

Quelques illustrations

  •  Tribunal correctionnel de Fort-de-France, ordonnance de validation de CJIP, 31 juillet 2024

Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et un syndicat mixte chargé du traitement et de la valorisation des déchets, pour des infractions environnementales commises sur plusieurs sites de traitement entre 2019 et 2023.

Il est reproché à la personne morale d’avoir exploité irrégulièrement plusieurs installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en violation d’arrêtés préfectoraux et de mises en demeure. Les manquements constatés concernent notamment l’absence de respect des prescriptions de sécurité, la gestion défaillante des incendies, l’absence de confinement des eaux d’extinction, la poursuite d’activités malgré des interdictions, et des atteintes graves à l’environnement et à la santé publique. Plusieurs incendies prolongés ont entraîné des nuisances importantes pour les riverains et des pollutions diffuses.

Le tribunal valide la convention par laquelle le syndicat s’engage à :

  • verser une amende d’intérêt public de 150 000 €, en quatre échéances sur douze mois ;
  • mettre en œuvre un programme de conformité environnementale sur trois ans ;
  • réparer les préjudices causés à 78 victimes, dont plusieurs associations environnementales et habitants riverains, pour un montant total de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

La validation de la CJIP éteindra l’action publique si les engagements sont respectés dans les délais impartis.

  • Tribunal correctionnel de Saint-Pierre, ordonnance de validation de CJIP, 12 juillet 2024

    Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et une communauté de communes pour des manquements constatés par les inspecteurs de l’environnement sur des captages d’eau. Le tribunal souligne que "ces règles existent en raison des enjeux environnementaux que présentent de tels ouvrages, et notamment leur fort impact sur le milieu aquatique. En effet, les prélèvements réalisés sur les cours d’eau aux fins de distribution d’eau potable sont des prélèvements définitifs, le cours d’eau étant privé de son débit sur tout son linéaire en aval du captage. Afin de préserver le fonctionnement du cours d’eau et permettre aux espèces aquatiques qu’il abrite d’effectuer leur cycle biologique, un débit réservé réglementaire à restituer à l’aval de l’ouvrage de pré­lèvement est ainsi fixé par arrêté préfectoral. 

    Dans le cas présent, l’absence totale de débit réservé ou minimum biologique, pourrait entraîner la disparition totale des zones vitales de la faune aquatique locale (zones de reproduction, zones de nu­trition, zones de repos) avec toute la perte de productivité biologique que cela comporterait."

     
    Le tribunal rappelle qu’aux "termes de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau, l’institution de périmètres de protection immédiate et rapprochée est obligatoire pour tous les points de captages déclarés d’utilité publique, l’absence de périmètres de protection pouvant engager la responsabilité du service de distribution d’eau potable, du représentant de la collectivité locale d’implantation du captage, ou de l’État. "
     
    Le périmètre de protection immédiate (PPI) est un site de captage clôturé (sauf dérogation) appartenant à une collectivité publique, dans la majorité des cas. Toutes les activités y sont interdites hormis celles relatives à l’exploitation et à l’entretien de l’ouvrage de prélèvement de l’eau et au périmètre lui-même. 
    Son objectif est d’empêcher la détérioration des ouvrages et d’éviter le déversement de substances polluantes à proximité immédiate du captage, de s’assurer que la qualité de l’eau destinée à la consom­mation humaine présente des garanties suffisantes et durables, d’interdire et/ou de réglementer les activités les plus à risque vis-à-vis de l’utilisation des eaux, de sensibiliser les usagers concernés par les zones de protection. "
     

    Or plusieurs manquements ont été constatés notamment : 

    • l’absence de matérialisa­tion du PPI des zones de captage sur les quatre ouvrages (absence de panneau d’information sur la présence du captage/ab­sence de fermeture à clé ou de restriction d’accès au site pour les piétons) ;
    •  une exploitation de la prise d’eau ouverte sans restriction ni dispositif de restitution de débit réservé en aval (prélèvement de tout le débit du cours d’eau, sans restitution d’une partie règlementaire en aval, ou restitution très en deçà des seuils imposés). 
    Après des rappels à la loi avec régularisation restés sans effet, le tribunal valide la convention de la CJIP par laquelle l’EPCI s’engage à :
    • verser une amende de 60 000 € dans un délai de 6 mois ;
    • à se soumettre aux vérifications de la DREAL pendant 30 mois pour régulariser la situation conformément à la législation.
 
  • Tribunal correctionnel de Besançon, ordonnance de validation de CJIP, 1er février 2024

Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et une communauté de communes poursuivie pour pollution (déversement par une personne morale de substances nuisibles dans les eaux, rejet en eau douce par personne morale de substances nuisibles aux poissons). L’obsolescence de la station d’épuration, construite en 1984, avait engendré des déversements polluants chroniques dans un cours d’eau, le rendant ainsi abiotique. La chronicité de la pollution explique qu’aucune mortalité piscicole n’a été constatée.
La convention prévoit la construction d’une nouvelle station de traitement des eaux usées ainsi que le nettoyage régulier du ruisseau. L’enquête a déterminé que la pollution provenait également des exutoires d’eau d’une commune (moins de 1000 habitants), les eaux usées de certaines habitations étant mal raccordées ou reliées au réseau d’eaux pluviales, s’écoulant ainsi directement dans le ruisseau. La CJIP constate cependant que l’essentiel de la pollution provient bien de la station d’épuration. La communauté de communes devra s’acquitter de 50 000 € d’amende et de 100 000 € de dommages-intérêts aux parties civiles au titre du préjudice écologique, dont 90 000 € à la fédération de pêche. La collectivité a jusqu’au 31 octobre 2024 pour se mettre en conformité avec la mise en fonction effective de la nouvelle station d’épuration, sous peine de poursuites pénales.
 
  • Tribunal correctionnel du Puy-en-Velay, ordonnance d’homologation CJIP, 10 juillet 2023

Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et une communauté d’agglomération après une pollution. L’EPCI s’engage : 
 à verser au Trésor Public, dans un délai de 6 mois, un amende de 5000 euros ;
– à s’astreindre à un programme de mise en conformité d’une durée de 30 mois ; 
- à mettre en place un suivi scientifique à réaliser par un prestataire extérieur ;
 à réparer le préjudice environnemental résultant de la pollution dans un délai de 36 mois ;
– à verser 11 000 euros aux associations de pêche.
 
  • Tribunal correctionnel du Puy-en-Velay, ordonnance d’homologation CJIP, 12 septembre 2022

Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et un syndicat mixte du chef de déversement par personne morale de substances nuisibles dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer. Le syndicat s’engage : 
– à verser au Trésor Public, dans un délai de 12 mois, une amende d’intérêt public d’un montant de
50 000 € ; 
– à s’astreindre à un programme de mise en conformité d’une durée de 36 mois, sous le contrôle de la DREAL ; 
– à réparer le préjudice environnemental résultant de la pollution ;
– à verser 37 000 euros à des associations de pêche. 
 
  • Tribunal correctionnel de Besançon, ordonnance d’homologation CJIP, 16 mars 2023

Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et une commune pour des infractions au droit de la protection animale en ayant détenu en chambre froide des espèces animales protégées pour une exposition publique. La ville s’engage : 
– à verser au Trésor Public, dans un délai de 10 jours, deux amendes d’intérêt public d’un montant de
7500 € et de 1000 euros ;
– à s’astreindre à un programme de mise en conformité d’une durée de 18 mois ; 
– à régulariser la situation en détruisant l’intégralité des spécimens morts détenus en faisant appel aux services d’un équarisseur. 
 
  • Tribunal correctionnel du Puy-en-Velay, ordonnance d’homologation CJIP, 16 décembre 2021

Validation d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le parquet et un syndicat mixte du chef de déversement par personne morale de substances nuisibles dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer. Le syndicat s’engage : 
– à verser au Trésor Public, dans un délai de 6 mois, une amende d’intérêt public d’un montant de
5.000 € ;
– à s’astreindre à un programme de mise en conformité d’une durée de 30 mois, sous le contrôle des
services compétents du ministère de l’environnement, avec la pose dans un délai de 6 mois d’un
portillon d’accès à la vanne du bassin de décantation, permettant l’intervention à toutes heures des
services de secours ; 
– à réparer le préjudice environnemental et piscicole évalué à hauteur de 2.159 € au bénéfice de la
Fédération Départementale de Pêche de la Haute-Loire et de 2.159 € au bénéfice de l’Association
Agréée de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique (AAPMA), dans un délai de 6 mois.