Une société endommage une canalisation d’eau potable lors de travaux publics. Peut-elle contester la créance émise par la collectivité au motif que le plan annexé à la déclaration de travaux était imprécis ?
Oui, tranche la cour administrative d’appel de Nancy car le plan transmis par la communauté d’agglomération ne permettait pas d’apprécier la localisation exacte de la canalisation d’eau potable et n’était accompagné d’aucune recommandation technique. De plus, la collectivité n’avait préconisé aucun repérage préalable en commun dans sa réponse à la déclaration d’intention de commencement des travaux (DICT). Ces imprécisions et absences sont constitutives d’une faute de la communauté d’agglomération de nature à exonérer l’entreprise de sa responsabilité. Mais cette exonération ne peut être que partielle. En effet, la cour administrative d’appel retient également une faute de l’entreprise en charge des travaux : en tant que professionnelle elle aurait dû entreprendre des démarches afin d’obtenir un complément d’information avant de débuter les travaux.
Le juge opère donc un partage de responsabilité et laisse à la charge de la communauté d’agglomération 50 % des conséquences dommageables de l’accident.
Le juge opère donc un partage de responsabilité et laisse à la charge de la communauté d’agglomération 50 % des conséquences dommageables de l’accident.
Lors de travaux d’implantation de poteaux destinés à l’installation de la fibre optique dans une commune, une entreprise spécialisée dans la construction de réseaux électriques et de télécommunications endommage accidentellement une canalisation d’eau potable.
Le service des eaux de la communauté d’agglomération en charge de l’exploitation de la canalisation émet un titre exécutoire réclamant à la société le paiement d’une somme de 1486,80 euros pour réparer les dégâts.
Après un recours gracieux infructueux, la société conteste le titre exécutoire émis à son encontre devant le tribunal administratif. Le tribunal rejette la requête, la jugeant tardive.
Tel n’est pas l’avis de la cour administrative qui estime le recours recevable. Le juge d’appel prononce un partage de responsabilité à hauteur de 50 % entre la communauté d’agglomération et la société ayant exécuté les travaux. Compte tenu de ce partage, le juge d’appel tranche le litige en considérant que l’entreprise est fondée à demander l’annulation du titre de recettes en ce qu’il excède la somme de 743,40 euros.
Attention aux mentions des délais et voies de recours dans les titres exécutoires
Contrairement au tribunal administratif la cour administrative d’appel accueille la requête de la société.
Le débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale dispose d’un délai de deux mois pour contester le titre exécutoire :
« l’action (…) se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d’un acte de poursuite » (article L.1617-5 du Code général des collectivités territoriales dans sa version applicable au litige).
Cependant, aux termes de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative :
« les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».
En l’espèce, la cour administrative d’appel pointe l’imprécision du titre exécutoire s’agissant des voies de recours.
Certes l’acte mentionne bien les délais de recours contentieux mais il ne précise pas de manière suffisamment claire la juridiction compétente devant laquelle le débiteur doit exercer son recours.
Il se contente d’indiquer : « Vous pouvez contester la somme mentionnée en saisissant directement le tribunal administratif ou le tribunal judiciaire compétent selon la nature de la créance ».
Et, les deux exemples de créances fournis ainsi que l’indication de la juridiction compétente pour chacune ne permettent pas d’éclairer utilement le débiteur. En effet, « les demandes de remboursement de frais de réparation d’urgence, en cause dans le présent litige, ne figurent (...) pas dans cette liste d’exemples » constate le juge.
La mention des voies et délais de recours ne répond donc pas aux exigences de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative conclut le juge. Par suite, compte tenu de cette imprécision, le titre exécutoire n’a pas pu faire courir le délai de recours contentieux.
Le titre exécutoire a été émis le 29 avril 2021 et la requête introduite le 17 février 2022. La demande n’était pas tardive car elle a été introduite dans un « délai raisonnable » juge la cour administrative d’appel.
En 2016, le Conseil d’Etat a fixé une nouvelle règle issue du principe de sécurité juridique pour éviter qu’une décision administrative individuelle puisse être contestée sans délai en cas de notification incomplète de la décision. Ainsi, la Haute juridiction a enfermé « l’exercice du recours contentieux dans un délai raisonnable fixé, en principe, à un an, à compter de la notification de la décision ou de la prise de connaissance réelle de celle-ci » (CE, Ass., 13 juillet 2016 : n°387763). Et le Conseil d’Etat a jugé que cette obligation d’exercer un recours dans un délai raisonnable s’applique en matière de contestation des titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018 : n°401386).
La communauté d’agglomération était fondée à émettre un titre exécutoire
La société requérante soutenait que la communauté d’agglomération n’était pas fondée à émettre un titre exécutoire, estimant qu’elle aurait dû saisir le juge compétent pour obtenir une indemnité.
Mais, le juge rappelle qu’« une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l’encontre de leurs débiteurs, ne peuvent pas, en principe, saisir directement le juge administratif d’une demande tendant au recouvrement de leur créance ».
Ainsi, la communauté d’agglomération, tiers par rapport aux travaux, pouvait légalement émettre un titre exécutoire à l’encontre de l’entreprise.
Travaux à proximité des réseaux : des règles à respecter scrupuleusement
Les travaux publics engagent la responsabilité de la collectivité maîtresse de l’ouvrage ainsi que le cas échéant celle de l’entreprise exécutante et ce même en l’absence de faute dès lors que la victime est tiers à l’ouvrage public rappelle le juge.
Le responsable de projet est en principe le maître d’ouvrage : il s’agit de la personne physique ou morale, de droit public ou de droit privé, pour le compte de laquelle les travaux sont exécutés, ou son représentant ayant reçu délégation (article R.554-1 du Code de l’environnement).
Le juge rappelle les obligations auxquelles sont soumis le responsable de projet et l’exploitant du réseau souterrain :
- Le responsable de projet qui envisage la réalisation de travaux doit vérifier au préalable s’il existe dans ou à proximité de l’emprise des travaux un ou plusieurs ouvrages souterrains en service, en consultant le guichet unique afin d’obtenir la liste et les coordonnées des exploitants de chacun de ces ouvrages ainsi que les plans détaillés des ouvrages en arrêt définitif d’exploitation (article R.554-20 du Code de l’environnement). La consultation de ce guichet unique permet d’effectuer les déclarations préalables de travaux (DT) et d’intention de commencement de travaux (DICT). Ce téléservice est obligatoire pour les maîtres d’ouvrage et les exécutants des travaux. Les recommandations techniques générales figurent dans le guide technique élaboré par les professions concernées.
- Le responsable de projet doit adresser une déclaration de projet de travaux (DT) à chacun des exploitants des ouvrages de cette nature dont la zone d’implantation est touchée par l’emprise des travaux (article R.554-21 du même code, cet article dresse également une liste d’exceptions à l’obligation d’effectuer une DT ; liste complétée par un arrêté du 15 février 2012).
Formulaire Cerfa 14434*03 et formulaire dématérialisé disponibles sur le site du guichet unique. Le responsable de projet doit décrire le plus précisément possible l’emprise des travaux ainsi que la nature des opérations susceptibles d’avoir un impact sur les ouvrages situés dans ou à proximité de cette emprise. « A cette occasion, il précise, lorsqu’il en a connaissance, si des éléments fixes de la voirie et de l’espace public, tels que trottoirs, bordurettes, clôtures, murs, façades et affleurants de réseau, sont susceptibles d’être modifiés durablement du fait de la réalisation du projet ». (article R.554-21 II).
- L’exécutant des travaux consulte également le guichet unique et adresse une déclaration d’intention de commencement de travaux DICT à chacun des exploitants d’ouvrages en service dont la zone d’implantation est touchée par l’emprise des travaux (R.554-25 I). La DICT comporte l’indication aussi précise que possible de la localisation et du périmètre de l’emprise des travaux et de la nature des travaux et techniques opératoires prévus (R.554-25 II).
Les mesures à prendre préalablement à l’exécution des travaux sont fixées aux articles R.554-24 et s. du Code de l’environnement.
Une réponse imprécise à la DICT constitutive d’une faute de la collectivité
Les exploitants sont tenus de répondre sous forme d’un récépissé adressé au déclarant responsable de projet et à l’exécutant des travaux (Formulaire de récépissé).
La cour administrative souligne que pèse « sur l’exploitant du réseau souterrain une obligation d’information précise sur ses réseaux à destination des entrepreneurs qui l’ont informé de leur intention de commencer des travaux publics ».
Au cas présent, la société intervenant en qualité de sous-traitante, a bien adressé une DICT au service des eaux de la communauté d’agglomération. Et dans le plan annexé à cette déclaration elle a précisé l’emplacement exact des travaux envisagés.
La communauté d’agglomération a retourné le récépissé de la DICT dans les délais impartis [1] Un plan était également joint à cette réponse.
Le juge estime cette réponse est imprécise. Il relève :
- l’impossibilité de déterminer la localisation exacte de l’ouvrage souterrain (l’ouvrage se situe-t-il sous la voie proprement dite ou sous ses accotements...) ;
- l’absence de recommandation technique ;
- l’absence de préconisation de repérage préalable en commun.
Les imprécisions relevées dans la réponse à la DICT ainsi que l’absence de recommandation et de préconisation sont constitutives d’une faute de la victime.
L’inertie de la société exécutante des travaux sanctionnée
Certes le récépissé et le plan transmis comportaient des imprécisions. Mais, la société n’a entrepris aucune démarche complémentaire alors qu’il lui appartenait, en tant qu’exécutant des travaux, de solliciter des informations supplémentaires si elle estimait la réponse à sa déclaration insuffisamment précise pour identifier le réseau.
Le juge sanctionne donc l’inertie de la société ayant exécuté les travaux qui en sa qualité de professionnelle aurait dû effectuer des démarches auprès de la communauté d’agglomération afin d’obtenir des informations complémentaires avant de débuter les travaux.
Par conséquent la faute commise par la communauté d’agglomération n’exonère que partiellement la société requérante de sa responsabilité. Le juge met à la charge de la communauté d’agglomération 50 % des conséquences dommageables de l’accident.
La communauté de communes réclamait le paiement d’une somme de 1486,80 euros.
Compte tenu de ce partage de responsabilité, la somme est ramenée à 743,40 euros. Le juge annule donc le titre de recettes émis par la communauté d’agglomération en tant qu’il excède la somme de 743,40 euros.
Compte tenu de ce partage de responsabilité, la somme est ramenée à 743,40 euros. Le juge annule donc le titre de recettes émis par la communauté d’agglomération en tant qu’il excède la somme de 743,40 euros.
Dans des circonstances proches, la cour administrative d’appel de Bordeaux a également retenue une responsabilité partagée suite à l’endommagement de câbles de fibre optique causé par des travaux de pose de glissière de sécurité. Le juge retient une faute de la victime : les plans joints au récépissé de la DICT par la Société Orange ne permettaient pas de localiser avec précision l’ouvrage souterrain, les plans de repérage étaient pour l’un fait à la main et non côté, illisible et pour l’autre d’une échelle en inadéquation avec le secteur d’intervention. Ces plans n’étaient accompagnés d’aucune recommandation technique. De plus aucun fourreau de couleur verte réservée aux câbles de télécommunication selon la norme en vigueur lors des travaux n’était présent. Mais, l’entreprise en sa qualité de professionnelle aurait dû effectuer des démarches auprès de la société Orange afin d’obtenir des informations complémentaires avant de débuter les travaux. La société Orange doit prendre à sa charge 50% des conséquences dommageables de l’accident (CAA Bordeaux, 28 août 2018 : n°16BX02167).
[1] Les exploitants sont tenus de répondre dans un délai de 7 jours, jours fériés non compris, après la date de réception de la déclaration d’intention de commencement de travaux dûment remplie. Ce délai est porté à 9 jours, jours fériés non compris, lorsque la déclaration est adressée sous forme non dématérialisée, article R.554-26) en indiquant qu’au moins un ouvrage était situé dans la zone des travaux.