Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative
Image générée par l’IA

Un défaut d’entretien délibéré d’un cours d’eau n’est pas fautif s’il contribue à la prévention des inondations

Conseil d’État 18 décembre 2024 : n°491092

Image générée par l’IA

Une autorité gémapienne peut-elle délibérément décider de ne pas curer un cours d’eau pour prévenir des inondations ?

 
Oui tranche le Conseil d’État. N’est pas ainsi fautif le syndicat mixte, responsable de l’entretien et l’aménagement du cours d’eau dans le cadre de sa compétence GEMAPI, qui décide délibérement de pas procéder au curage d’un cours d’eau afin de limiter les risques d’inondation des communes riveraines en aménageant des zones d’expansion des crues sur l’aval. Et ce même si ce choix conduit par ricochet à inonder des parcelles agricoles en cas de fortes précipitations. En effet ce choix de gestion ne méconnaît pas les objectifs fixés au titre de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (article L.211-7 du Code de l’environnement). 
 
 
Les terres d’une exploitation agricole, en bordure d’un cours d’eau, sont régulièrement inondées en cas de fortes pluies. L’exploitante reproche au syndicat mixte, en charge de l’entretien et l’aménagement du cours d’eau au titre de sa compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations), de ne pas entretenir cet affluent d’un étang d’une superficie de près de 600 ha [1] ayant inondé plusieurs de ses parcelles  [2].
 
Elle demande au juge administratif de condamner le syndicat à lui verser 220 000 euros avec injonction de réaliser des travaux de réfection des berges et de curage du lit du cours d’eau afin de remédier aux désordres.
 
Le syndicat mixte ne conteste pas le défaut de curage mais explique que ce choix est délibéré pour ne pas inonder des communes riveraines. 
 
La requérante est déboutée en première instance. Mais en appel la cour administrative condamne l’autorité gémapienne à verser à la propriétaire la somme de 7 895,42 euros et lui enjoint de réaliser les travaux dans un délai de douze mois à compter de la notification de l’arrêt.
 
Sur pourvoi du syndicat mixte, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel.
 

Des élus ont été condamnés pénalement pour avoir curé sans autorisation préalable ce qu’ils pensaient être des fossés (pour un exemple, lire notre article "Attention : un fossé peut cacher un cours d’eau dont le curage est soumis à autorisation préalable").
 

La notion de cours d’eau a été définie par la loi du 8 août 2016 (Biodiversité) et actée à l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement, selon lequel « constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales ».

 
La compétence GEMAPI est composée des missions visées aux 1°,2°, 5° et 8 de l’article L.211-7 du Code de l’environnement. Elle comprend notamment l’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau. Pour la cour administrative d’appel le syndicat mixte a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne procédant pas au curage du cours d’eau.
 
Suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’État juge au contraire que le choix du syndicat de ne pas avoir procédé au curage du cours d’eau n’est pas fautif.

Certes selon le rapport d’expertise il existait bien « un lien de causalité entre l’absence de curage et les inondations subies par Mme D. » avait souligné le rapporteur public. 
 
Toutefois, l’absence de curage de l’affluent résulte d’un choix délibéré du syndicat mixte afin de restaurer le delta du Réart à son embouchure avec l’étang. Le contrat de bassin [3] prévoyait ainsi de ne pas curer ce cours d’eau afin « de lutter contre la dynamique de comblement de l’étang et de réduire les risques d’inondation des communes riveraines ». En effet, par le passé les centres-villes riverains de l’étang avaient été affectés par des inondations. Et des zones d’expansion des crues sur l’aval du cours d’eau avaient alors été aménagées.
 
Le Conseil d’État en conclut que les objectifs poursuivis par le syndicat sont conformes à ceux fixés notamment par l’article L.211-7 du Code de l’environnement pour l’exercice de la compétence GEMAPI.
Le choix de ne pas curer le cours d’eau ne méconnaît pas les objectifs de prévention des inondations. Et, «  il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ce choix de gestion du Réart ne serait pas de nature à permettre l’atteinte de ces objectifs ».

Le Conseil d’État annule l’arrêt et renvoie l’affaire devant la cour administrative d’appel de Toulouse.
 

Un cahier et une FAQ

Le partage des responsabilités et obligations entre les collectivités et les propriétaires riverains des cours d’eau - Les cahiers de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) – Version actualisée en 2023 (PDF Etude réalisée par le Cabinet Landot & Associés pour le compte de la Fédération). 
Ce cahier a pour objet d’expliquer « les articulations entre, d’une part, la mise en œuvre des obligations d’entretien régulier des propriétaires riverains des cours d’eau non-domaniaux et, d’autre part, l’exercice de la compétence GEMAPI  »

Questions-Réponses sur la compétence Gemapi – Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (version du 1er mars 2024) - PDF
« Ce document vise à apporter des réponses les plus complètes possibles à des questions fréquemment posées autour de la compétence GEMAPI et de sa mise en œuvre. Ce travail a été réalisé conjointement par les directions de l’eau et de la biodiversité (DEB), de la prévention des risques (DGPR) et des collectivités locales (DGCL) des ministères de la Transition écologique et solidaire (MTES) et de la Cohésion des territoires (MCTRCT) et des relations avec les collectivités territoriales, avec le soutien du Cerema. »

 

Les autres missions GEMAPI fixées à l’article L.2117 du Code de l’environnement concernent :
  • l’aménagement des bassins versants ou d’une fraction de bassin hydrographique ;
  •  la défense contre les inondations et contre la mer ; l
  • a protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraine.
Toute responsabilité de l’autorité gémapienne n’est cependant pas à exclure en pareilles circonstances. En l’espèce la responsabilité sans faute du syndicat mixte aurait pu être recherchée pour rupture d’égalité devant les charges publiques comme l’avait souligné le rapporteur public. Le dommage collatéral causé aux parcelles agricoles riveraines par ce choix délibéré aurait donc pu être réparé mais sans qu’aucune faute ne puisse être retenue contre le syndicat qui a correctement rempli ses missions. 
 
 
 
 

[1Source : pole-lagunes.org

[2Il s’agit du cours d’eau Le Réart dans les Pyrénées-Orientales. A sec la plupart du temps, il peut connaître de fortes crues dévastatrices lors de fortes pluies. Le Réart se jette dans l’étang du Canet Saint-Nazaire - Source : reart66.fr

[3Ce contrat a été élaboré par le syndicat mixte pour définir l’ensemble des actions nécessaires pour atteindre le bon état des eaux et des milieux aquatiques pour la période de 2017 à 2022