Les collectivités locales, qui disposent des principaux outils de planification, n’ont pas encore pris la pleine mesure des conséquences de l’exposition de leurs territoires, d’une part aux risques liés à la mer et aux inondations, imprévisibles, d’autre part à la mobilité prévisible du trait de côte, phénomènes amplifiés par les effets du changement climatique. En tout état de cause, les plus engagées d’entre elles se heurtent rapidement à une insuffisance des moyens à disposition permettant de répondre à ces enjeux.
De fait la Cour des comptes rappelle quelques chiffres qui donnent le vertige :
La valeur des biens exposés à la seule montée des eaux d’ici à 2100 sur le seul littoral méditerranéen pourrait s’élever à 11,5 Md€, si l’on retient l’hypothèse probable d’un effacement des ouvrages de protection lié à ce relèvement. À brève échéance et à cadre constant, le système assurantiel et indemnitaire ne pourra supporter la couverture de la réalisation et de l’intensification des risques. À horizon de trente ans, le coût cumulé des indemnisations à ce titre s’élèverait à 54 Md€, selon une projection effectuée par les assureurs portant sur tous les biens indemnisés pour ces dommages sur le territoire national.
La Cour des comptes insiste sur l’importance d’une approche globale des risques littoraux méditerranéens en envisageant tant les conséquences prévisibles du retrait de côte, que celui des inondations, ces deux phénomènes interagissant entre eux et nécessitant la mise en œuvre d’actions cohérentes. La lecture du rapport est fortement recommandée, non seulement pour les collectivités concernées, mais également par tous les acteurs de la prévention des risques.
4 constats
1. "Un mode de développement menacé par l’ensemble des risques liés à la mer et aux inondations"
Le développement du littoral méditerranéen a conduit à une forte artificialisation des sols avec pour conséquence une concentration des aménagements, et donc des enjeux économiques et humains (la façade méditerranéenne est la plus densément peuplée du territoire français), sur des zones exposées aux risques littoraux et aux inondations.
Le dérèglement climatique accentue la vulnérabilité de ces territoires par l’aggravation des risques de submersion et d’inondations résultant de de l’augmentation de fréquence et de l’intensité des phénomènes climatiques. L’aménagement du littoral ne peut s’affranchir plus longtemps de la prise en compte de ces paramètres.
2. "Une connaissance de la vulnérabilité du littoral et des coûts associés encore insuffisante"
La prise de conscience de la vulnérabilité de ces territoires est insuffisante, y compris parfois parmi les élus, et l’évaluation du coût des impacts est défaillante :
Le sentiment d’exposition à la menace des habitants du littoral,comme parfois celui des élus, reste insuffisant. De même, l’évaluation du coût de l’impact de ces périls sur les bâtiments, réseaux, infrastructures, populations et de ses répercussions économiques demeure imprécise.
C’est pourtant le point de départ indispensable pour la construction d’une politique d’aménagement résiliente pour des territoires vulnérables et particulièrement exposés :
De fait, sur la période 1995-2019, la sinistralité a été importante.Six des neuf départements méditerranéens sont parmi les plus concernés par les dommages indemnisés au titre d’inondations ayant fait l’objet d’une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, avec des indemnisations annuelles moyennes qui dépassent 12 millions d’euros (M€)10. Sur les 35 territoires à risque important d’inondation (TRI) recensés sur le territoire métropolitain, présentant à la fois des enjeux d’inondation par submersion marine et par débordement de cours d’eau, plus d’un tiers se trouve sur la côte méditerranéenne. Ces risques se conjuguent aux phénomènes d’érosion côtière et de mobilité du trait de côte, accélérés ces dernières années par le changement climatique et la montée des eaux.
3. "Une action publique qui n’est pas à la hauteur des enjeux"
Si les plans de prévention des risques inondations (PPRI) sont des outils pertinents, ils ne couvrent pas l’intégralité du littoral et ne prennent pas suffisamment en compte les risques de submersion et d’érosion côtière déplore la Cour des comptes. Par ailleurs il est parfois dérogé aux prescriptions des PPRI pour permettre la réalisation, d’aménagements alors que le risque d’inondation est bien identifié. La Cour des comptes souligne également un certain attentisme des documents de planification régionaux qui restent encore imprécis et la réponse "hésitante et dispersée" du bloc communal, avec une prise en compte insuffisante des risques dans les SCOT et parfois même un facteur aggravant dans les documents d’urbanisme :
La réponse du bloc communal reste également hésitante et dispersée et peine à proposer des solutions à l’échelle géographique pertinente que serait a minima l’intercommunalité. Les schémas de cohérence territoriale témoignent d’une prise en compte insuffisante des risques et n’ont d’ailleurs pas été adoptés partout. Le refus d’un grand nombre de communes de transférer aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)la compétence « urbanisme » ne favorise pas une vision des enjeux au niveau adéquat. De fait, les documents d’urbanisme continuent souvent d’ignorer les risques – quand ils ne les aggravent pas.
La Cour des comptes pointe également un manque de rigueur par les collectivités dans le respect des obligations des plans communaux de sauvegarde (PCS) et du document d’information communal sur les risques majeurs (DICRIM) :
Certaines collectivités procèdent aux mises à jour des DICRIM et des PCS,tandis que d’autres s’en abstiennent ou en sont dépourvues. Certains documents sont incomplets ou inaccessibles sur les sites institutionnels.
Le risque de submersion marine reste sous-estimé comme l’atteste une analyse des plan de prévention des risques littoraux (PPRL). Nombre de documents sont anciens et ne sont plus à jour des dernières évolutions législatives et réglementaires :
Sur les trois régions, 32 PPRL datent d’avant 2014 et deux communes disposent même de plans de surfaces submersibles datant de 1964.
Le rapport souligne par ailleurs que les plans de prévention des risques ne sont pas toujours suivis d’effets : le respect des documents de prévention se heurte de plus en plus fréquemment aux nécessités de développement et d’aménagement des territoires et les moyens de l’Etat se concentrent sur la révision des documents et non sur le suivi des prescriptions. Ainsi le rapport cite le cas d’une commune de l’Hérault où une quarantaine de permis de construire a été accordée dans une zone classée en fort aléa de submersion marine.
La Cour des comptes juge indispensable un meilleur accompagnement des communes pour une approche complète du recul du trait de côte :
Dans les faits, les dispositions de la loi climat et résilience tardent à s’appliquer. C’est en effet sur la base du volontariat que les communes ou leurs établissement publics de coopération intercommunale (EPCI) intègrent la liste du décret du 29 avril 2022 modifié, qui oblige à l’élaboration de ces diagnostics. Or, les collectivités réclament, pour ce faire, davantage de précisions quant aux cofinancements possibles et à leurs éventuelles responsabilités juridiques. En conséquence, début 2024, seules 19 communes de la façade méditerranéenne s’étaient engagées dans la démarche (cinq en Corse, huit en Occitanie, six en Provence-Alpes-Côte d’Azur). Parmi les 28 communes des trois régions méditerranéennes les plus exposées aux conséquences de l’élévation du niveau marin, 21 ne disposaient pas de PPRL et ne figuraient pas sur le décret précité. Pour ces collectivités, il n’existe donc aucun document ou carte déterminant leur exposition au recul du trait de côte. Elles étaient encore 16 dans ce cas après le décret du 10 juin 2024 qui complète le décret-liste.
La Cour des comptes regrette également que l’effort des collectivités se soit concentré sur le renforcement des ouvrages de défense pour un rapport qualité/prix qui n’est pas à la hauteur des enjeux et alors que ces actions défensives ne peuvent être que transitoires dans l’attente d’une solution de repli :
Bon nombre des actions locales restent par ailleurs fondées sur la confiance absolue en la protection par les digues. Or, leur efficacité est d’ores et déjà remise en cause. Elle le sera de plus en plus sous l’effet du changement climatique compte tenu des assauts répétés de la mer et de son élévation, surtout que certains des ouvrages aggravent l’érosion côtière.
En décembre 2024, la presse (voir notammnent : "Dans le Finistère, des maisons menacées par la montée des eaux rachetées pour être déconstruites - Maël Prévost Ici Breizh Izel - 26 décembre 2024) s’est fait l’écho d’une Communauté de communes du Finistère qui a racheté des maisons menacées par l’érosion côtière pour être démolies. La collectivité avait tenté à plusieurs reprises de freiner cette érosion en engageant une série de travaux coûteux avant de se rendre à l’évidence : la mer est plus forte.
4. "Une politique d’aménagement du littoral et son financement à revoir"
Rappelant la valeur des biens exposés à la montée des eaux, la Cour des comptes invite les collectivités à "combler le retard pris dans la mise en œuvre de stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte". Une politique d’adaptation doit être menée qui peut conduire à une "relocalisation ou un déplacement des équipements publics", ce qui suppose une évaluation et un chiffrage des coûts.
La Cour des comptes préconise un changement de logique en matière de solidarité nationale en cas d’événements exceptionnels pour la réorienter vers réponses de long-terme :
Pour éviter aux acteurs publics, dont l’État, de se voir confronté à une absence de soutenabilité des coûts lors d’évènements exceptionnels, une logique d’accompagnement à la prévention et au relogement pourrait se substituer à la logique indemnitaire réparatrice du préjudice subi. Elle permettrait de limiter la solidarité nationale en la réorientant vers des réponses de long-terme, privilégiant les mesures de relocalisation des résidences principales.
Le système français de réparation des catastrophes naturelles est jugé déresponsabilisant car il n’est pas incitatif à réduire les vulnérabilités des territoires. La Cour des comptes se demande par ailleurs si le régime est soutenable à long terme :
En outre, le dispositif construit selon un mécanisme d’ajustement par la prime ne pourra que difficilement résister à l’intensité et à la fréquence des périls à venir. Déjà, en 2019, la CCR rappelait qu’une augmentation de l’ordre de 30 à 50 % de l’intensité, de la fréquence des éléments naturels et de la concentration des personnes et activités économiques dans les zones exposées, obligerait à passer d’un taux de surprime de 12 à 18 %, sauf à développer les mesures de prévention nécessaires pour réduire la vulnérabilité des personnes et des entreprises. Six ans plus tard, le taux de cotisation applicable au 1er janvier 2025 connaît une évolution supérieure pour s’établir à 20 % pour l’assurance
habitation.
Pour que le coût reste supportable, la Cour des comptes préconise de sortir d’une logique indemnitaire de réparation du préjudice pour entrer dans une logique d’accompagnement à la prévention et au relogement.
La Cour des comptes insiste sur l’urgence de la situation et sur la nécessité d’une réaction énergique et rapide des pouvoirs publics.
7 recommandations
1. Renforcer l’information préalable obligatoire à l’attention de l’acquéreur d’un bien immobilier par l’indication que celui-ci est susceptible, en raison du risque naturel auquel il est exposé, d’une diminution voire d’une perte totale de valeur
2. Compléter la connaissance cartographique de la vulnérabilité physique d’un territoire par une dimension financière projetant les coûts de destruction, d’interruption, de retour à la normale des activités et de reconstruction
3. Supprimer la possibilité pour les communes-membres des établissements publics de coopération intercommunale des zones littorales préalablement identifiées comme menacées de s’opposer au transfert à l’intercommunalité de la compétence en matière de plan local d’urbanisme
4. Rendre obligatoire l’élaboration d’une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte dans les zones littorales les plus menacées
5. Généraliser les projets partenariaux d’aménagement associant les communes littorales et leur arrière-pays
6. Mobiliser le produit de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations en fonction des besoins réels en matière d’inondation et de protection contre la mer
7. Constituer au sein des établissements publics fonciers de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie de nouvelles filiales foncières dotées de ressources consacrées à l’aménagement et à la recomposition du littoral