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Agriculteurs en colère, maires responsables ?

Dernière mise à jour, le 5 décembre 2024

Les enlèvements des panneaux d’entrée d’agglomération peuvent-ils engager la responsabilité des collectivités ?

Lors du mouvement de colère des agriculteurs, les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération de nombreuses communes de France ont été mis à l’envers. Dernièrement, ils ont parfois été enlevés ou cachés.

 

Cette situation inquiète plusieurs maires : leur responsabilité peut-elle être engagée en cas d’accident ?

 

L’hypothèse serait celle d’un accident de la circulation causé par un automobiliste roulant à une vitesse excédant les 50 km/h, pensant évoluer sur une route hors agglomération. Une telle méprise ne peut avoir lieu en centre-bourg où la configuration des lieux, en principe, ne laisse place à aucun doute. Mais en entrée d’agglomération, la question peut se poser. En effet, les habitations y sont parfois très clairsemées, ce qui peut induire en erreur un conducteur qui peut, de bonne foi, penser être hors agglomération et donc ne pas réduire sa vitesse.

 

Responsabilité administrative 

Sur le plan de la responsabilité administrative, il ne peut être exclu que la commune engage sa responsabilité pour défaillance dans l’exercice du pouvoir de police du maire. Rappelons à cet égard que le maire est titulaire du pouvoir de police en agglomération, quelle que soit la nature de la voie, y compris pour les routes départementales. Ce sont les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération qui délimitent son champ de compétence et donc ses responsabilités. Si le panneau a été enlevé, la responsabilité du maire demeure. Les actes de vandalisme ne constituent pas en effet des causes d’exonération pour l’autorité de police. Tout dépendra dans les faits si la commune a eu un temps suffisant pour réagir.

A l’impossible nul n’est tenu

Si le panneau vient d’être enlevé, alors la responsabilité de la commune sera écartée au nom de la théorie de l’impossible ("à l’impossible nul n’est tenu").

 

Le tribunal administratif de Montpellier (TA Montpellier 6 octobre 2006, n°0403404) a par exemple écarté la responsabilité d’une commune après un accident de la circulation consécutif à des actes de malveillance commis pendant la nuit, la commune n’ayant pas eu un temps de réaction suffisant (accident survenu à 3H00 du matin causé par la présence de sacs poubelles sur la chaussée).

 

Le même tribunal (TA Montpellier 9 juin 2006 n°0301658) avait également écarté la responsabilité d’une commune dans l’accident de la circulation survenu à une automobiliste sur une voie en cours de réfection. Celle-ci reprochait à la commune de ne pas avoir informé les usagers de la zone de travaux. L’enquête a permis d’établir qu’un panneau avait bien été installé mais qu’il venait d’être renversé par un véhicule qui précédait la victime. Ainsi, "il ne ressort pas de l’instruction que les services techniques de la commune (...) aient été informés dans un délai suffisant pour remettre le panneau en place".

 
Le tribunal administratif de Rennes (Tribunal administratif de Rennes, 22 septembre 2022 : n°2104110) en a jugé de même pour l’accident survenu à un joggeur qui avait chuté sur le socle d’un panneau de signalisation vandalisé. La responsabilité de la commune est écartée, la commune "qui n’avait pas été alertée suffisamment tôt de la dégradation du panneau, n’a pas disposé, avant l’accident (...) du temps nécessaire pour procéder à la signalisation".

Un acte de vandalisme ne constitue pas en soi une cause d’exonération

Par contre, si cela fait plusieurs jours que le panneau a été enlevé ou dégradé, un juge pourrait reprocher à la commune, sinon de ne pas avoir remis le panneau en place (compte tenu des délais et des moyens de la commune), mais à tout le moins, de ne pas avoir mis en place une signalisation provisoire informant les usagers de la route qu’ils se trouvent sur une section à vitesse limitée à 50 km/h. La responsabilité d’une commune a par exemple été retenue par la cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille 15 octobre 2007 N° 04MA02076) pour un accident mortel de la circulation à un croisement où le panneau stop avait été vandalisé, un automobiliste n’ayant pas marqué l’arrêt. Bilan : deux morts. L’enquête a établi que la collision était due à l’absence de panneau stop à l’intersection. Le moyen invoqué par la commune d’un acte de vandalisme sur le panneau stop a été jugé inopérant.
 

Responsabilité pénale

Sur le plan de la responsabilité pénale, en cas d’accident corporel, des poursuites pour blessures ou homicide involontaire peuvent également être envisagées.

Une faute caractérisée

Le maire n’étant pas l’auteur direct du dommage, sa responsabilité pourrait être recherchée uniquement sur le fondement d’une faute qualifiée. Dans ce type de circonstances, pourrait lui être reprochée une faute caractérisée qui exposait les usagers de la route à un danger qu’il ne pouvait ignorer.

 

La cour d’appel de Toulouse (CA Toulouse, 19 juillet 2000 - Sécurité routière et responsabilité des élus - Intervention de Luc Brunet pour le CEREMA PDF) ) a ainsi confirmé la condamnation pénale d’un directeur des services techniques (DST) d’une commune après un accident sur une zone de chantier. Un motard s’était blessé, l’entreprise chargée des travaux ayant prématurément enlevé les panneaux de signalisation. La responsabilité du DST a néanmoins été retenue : en sa qualité de maître d’œuvre, il aurait dû s’assurer que la signalisation était en place pendant toute la durée du chantier. Le même raisonnement pourrait être suivi par le juge en cas d’accident de la circulation causé par un enlèvement du panneau d’entrée d’agglomération, la mise en place, l’entretien et le remplacement des panneaux relevant de l’autorité de police.

Un précédent en Belgique

La Voix du Nord (Un chauffard belge voit sa condamnation allégée car un panneau de signalisation était… à l’envers ) s’est fait l’écho d’un jugement d’un tribunal de police en Belgique concernant un automobiliste flashé à 86 km/h en agglomération alors que la vitesse était limitée à 50 km/h.

 

Le contrevenant a pu, photos à l’appui, démontrer que le panneau d’entrée d’agglomération n’était pas conforme car il avait été retourné lors du mouvement de colère des agriculteurs. C’était donc, selon lui, la vitesse hors agglomération (en l’espèce 70 km/h) qui devait s’appliquer. Le tribunal lui a donné raison considérant que le panneau n’était effectivement pas conforme.

 

L’enjeu était ici simplement le montant de l’amende. En cas d’accident mortel (enfant renversé par exemple), la question de la responsabilité du maire aurait pu se poser. Surtout si le panneau d’entrée en agglomération avait été purement et simplement enlevé.

 

De fait, conscients de leurs responsabilités et des risques pour la sécurité routière, des maires ont décidé de porter plainte après avoir constaté que les panneaux d’agglomération de leur commune avaient été enlevés (Plaintes déposées après la disparition de leurs panneaux : le coup de gueule de ces maires face à la colère des agriculteurs -Hugo COURVILLE 29/11/2024).

 

Ces dépôts de plainte n’ont pas toujours été bien perçus. Pourtant, ils s’expliquent par les enjeux de sécurité routière et de responsabilités des collectivités, comme des élus.