Hôtel endommagé lors d’une opération de travaux publics : la commune peut-elle appeler en garantie le groupement chargé des travaux bien que ceux-ci aient déjà été réceptionnés ?
Oui si les travaux ont été réceptionnés avec une réserve concernant précisément ces désordres. Les rapports contractuels qui lient la commune au groupement titulaire du marché n’ont donc pas pris fin tant que cette réserve n’a pas été levée. Le groupement est donc condamné à garantir intégralement la commune des condamnations prononcées à son encontre pour réparer les dommages.
Lors d’une opération de travaux publics [1] réalisés à proximité d’un établissement hôtelier, des projections de lait de ciment par un camion toupie atteignent la façade de l’hôtel ainsi que la toile couvrant la terrasse
La société exploitant l’hôtel-restaurant demande en vain à la commune, maître d’ouvrage des travaux, l’indemnisation des préjudices subis.
L’établissement saisit alors le tribunal administratif de Toulon d’une demande tendant à la condamnation de la ville à lui verser une indemnité d’un montant total de 32 944 euros. La SARL est déboutée par le tribunal. Mais, en appel la société obtient gain de cause. La commune appelle alors en garantie le groupement chargé des travaux et le maître d’œuvre.
Responsabilité de la commune en tant que maître d’ouvrage
Même en l’absence de faute, le maître de l’ouvrage et, le cas échéant, l’entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l’exécution d’un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
La commune soutient que la société exploitant l’hôtel-restaurant a la qualité d’usager de la voie publique et non de tiers, et qu’en conséquence elle ne peut bénéficier du régime de responsabilité sans faute.
Tel n’est pas l’avis du juge.
- S’agissant de la façade de l’immeuble, la société exploitant l’immeuble a la qualité de riverain de la voie publique et est considérée comme un tiers par rapport aux travaux publics.
- En ce qui concerne la terrasse couverte, la société dispose d’une autorisation d’occupation du domaine public. La société titulaire d’une permission de voirie peut-elle demander une indemnisation pour les dommages causés par les projections sur la toile de sa terrasse ?
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, tout en rappelant les conditions d’indemnisation du préjudice subi par l’occupant à titre privatif du domaine public lors de la réalisation de travaux sur ce domaine.
Le titulaire d’une permission de voirie ne peut être astreint à supporter sans indemnité le dommage subi dans les ouvrages qui font l’objet de la permission, que lorsque le dommage est la conséquence de travaux exécutés dans l’intérêt de la conservation du domaine ou de son utilisation en conformité de sa destination et dans des conditions normales, ou la conséquence nécessaire du fonctionnement d’un ouvrage public édifié dans l’intérêt du domaine pour lequel l’autorisation d’occupation est accordée. »
En principe, lorsque les travaux sont entrepris dans l’intérêt de la conservation du domaine public l’occupant est tenu de supporter sans indemnité le dommage subi dans les ouvrages qui font l’objet de la permission [2]. Toutefois, ces travaux doivent avoir été exécutés dans des conditions normales.
Ce qui n’est pas le cas en l’espèce :
Ce qui n’est pas le cas en l’espèce :
Les dommages invoqués par la SARL (...) ne sont pas la conséquence nécessaire des travaux effectués sur le domaine public mais bien des conditions anormales d’exécution de ces travaux".
Et dans cette situation, la responsabilité de la commune, en sa qualité de maître d’ouvrage, peut être recherchée même en l’absence de faute. De plus, s’agissant de dommages accidentels, il n’est pas nécessaire de démontrer le caractère grave et spécial des préjudices subis.
La société « est bien fondée à rechercher la responsabilité sans faute de la commune (...), en sa qualité de maître d’ouvrage, à raison de ces dommages accidentels, y compris en ce qu’ils concernent la terrasse, pour l’installation de laquelle elle bénéficiait d’une permission de voirie ».
La commune est condamnée à verser une somme de 22 680 euros à la société exploitant l’hôtel-restaurant (réfection de la peinture de la façade et remplacement de la toile).
Le groupement titulaire du marché condamné à garantir la commune
De l’importance des réserves
Le maître d’ouvrage peut bien appeler en garantie le constructeur car les travaux ont été réceptionnés avec une réserve concernant précisément le sinistre en cause. Et cette réserve n’a pas été levée. Il n’a donc pas été mis fin aux rapports contractuels qui lient la commune au groupement titulaire du marché et au maître d’œuvre.
La réception sans réserve a pour effet de mettre fin, en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage, aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs, y compris pour les dommages causés aux tiers à l’occasion de la réalisation de travaux.
« La fin des rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d’un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l’entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d’ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n’étaient ni apparents ni connus à la date de la réception ».
Le Conseil d’Etat a précisé qu’il n’en va autrement [3] que si la réception a été acquise à la suite de manœuvres frauduleuses [4] Marchés publics de travaux : attention aux effets de la réception sans réserves
« La fin des rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d’un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l’entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d’ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n’étaient ni apparents ni connus à la date de la réception ».
Le Conseil d’Etat a précisé qu’il n’en va autrement [3] que si la réception a été acquise à la suite de manœuvres frauduleuses [4] Marchés publics de travaux : attention aux effets de la réception sans réserves
Responsabilité du groupement titulaire du marché
Les manquements ayant causé les désordres sont imputables au prestataire du fournisseur de béton du sous-traitant du groupement. C’est en effet au cours de la livraison et du déchargement du béton par un camion toupie que les projections de laitance sont survenues.
Le juge rappelle les termes de l’article 113 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable au présent litige : « en cas de sous-traitance, le titulaire demeure personnellement responsable de l’exécution de toutes les obligations résultant du marché ».
L’article 2193-3 du Code de la commande publique dispose que « Le titulaire d’un marché peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l’exécution d’une partie des prestations de son marché (…) ». Pour aller plus loin : Fiche La sous-traitance – Direction des affaires juridiques - www.economie.gouv
Le juge accueille ainsi l’appel en garantie de la commune à l’encontre du groupement chargé des travaux.
Le groupement devra relever et garantir intégralement la commune.
L’appel en garantie à l’encontre du maître d’œuvre est écarté
En revanche, l’appel en garantie à l’encontre du maître d’œuvre est écarté. Les projections de laitance ont été accidentelles, le maître d’œuvre n’a pas manqué à ses missions. Et « le devoir de conseil du maître d’œuvre ne s’étend, en tout état de cause, pas aux désordres causés à des tiers par l’exécution du marché » rappelle la cour administrative d’appel [5].
En 2023, le Conseil d’État a précisé l’étendue du devoir de conseil du maître d’œuvre.
Le devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage CE, 22 décembre 2023 : n° 472699. La Haute juridiction a jugé en 2020 que ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage CE, 10 décembre 2020 : n°432783.
Le devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage CE, 22 décembre 2023 : n° 472699. La Haute juridiction a jugé en 2020 que ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage CE, 10 décembre 2020 : n°432783.
[1] Travaux publics portant sur la réalisation d’ouvrages de traitement d’eau pluviale, de voirie et réseaux divers et d’extension des quais du port d’une commune du sud de la France.
[2] CE, 2 juin 1995 : n°14513
[3] Réserve étant faite par ailleurs de l’hypothèse où le dommage subi par le tiers trouverait directement son origine dans des désordres affectant l’ouvrage objet du marché et qui seraient de nature à entraîner la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs envers le maître d’ouvrage sur le fondement des principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil.
[4] CE 15 juill. 2004, n° 235053
[5] CE, sect. 6 avril 2007 : n°264490