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Mission sur la gestion et l’assurabilité des biens des collectivités territoriales : diagnostic, enjeux et recommandations

Aperçu rapide par Fabrice Ribet et Héloïse Crépel

Partenaire fidèle de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale, la Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales nous a aimablement autorisés à reproduire l’analyse du rapport Dagès / Chrétien par Fabrice Ribet [1] et Héloïse Crépel  [2] publiée dans le numéro 40 du 7 octobre 2024. Ce sujet de la gestion des risques et de l’assurabilité des collectivités est au coeur du 23è colloque de l’Observatoire qui se tient le 6 novembre 2024 à Paris. 

Par lettre du 1er décembre 2023, les ministres des Finances, de la Transition écologique et des Collectivités territoriales ont confié à Alain Chrétien, maire de Vesoul, et Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama et conseiller économique du Conseil économique, social et environnemental (CESE), une mission sur la gestion et l’assurabilité des biens des collectivités territoriales. Assistés par les Inspections Générales des Finances et de l’Administration, les travaux ont été menés de janvier à mars 2024, incluant 43 entretiens avec diverses parties prenantes et experts. La mission a également réalisé un parangonnage avec 12 pays et bénéficié de l’apport de données et d’enquêtes, notamment auprès de 400 collectivités et des représentants de l’État dans les territoires d’outre-mer ; Tour d’horizon des principaux écueils mis en évidence par le rapport et des recommandations qui en découlent, enrichi du retour d’expérience d’une juriste territoriale, permettant d’illustrer les difficultés concrètes rencontrées par les collectivités. L’occasion d’inviter nos lecteurs à participer au colloque, sur ce sujet, organisé par l’Observatoire de la SMACL, et qui aura lieu mercredi 6 novembre 2024 à Paris (JCP A 2024, act. 494).

 

Cette initiative a été prise en réponse aux difficultés croissantes rencontrées par les collectivités locales pour obtenir des assurances adéquates. Les relations entre les collectivités et les assureurs se sont détériorées, marquées par des résiliations brutales, des hausses importantes des primes et des franchises, et des réponses insuffisantes aux appels d’offres. Cette situation a conduit à des tensions et à des incompréhensions, affectant la capacité des collectivités à assurer leurs biens et à remplir leurs missions de service public.

 

La mission visait donc à identifier les causes de ces dysfonctionnements et à proposer des pistes d’amélioration pour garantir une meilleure assurabilité des biens des collectivités locales.

 

1. Dysfonctionnements assurantiels des biens des collectivités territoriales
 

A. – Des difficultés croissantes pour s’assurer
 

En premier lieu, le rapport rappelle que l’assurance de dommages aux biens des collectivités est facultative, contrairement à certaines assurances de responsabilité civile imposées par la loi, telles que celles relatives aux véhicules terrestres à moteur, aux épreuves sportives ou aux activités de loisirs et des centres de vacances. Les collectivités peuvent toutefois choisir de s’auto-assurer, ou encore de souscrire un contrat couvrant leurs biens matériels contre divers risques. Ces contrats incluent généralement une prime, une couverture de risque, des limites d’indemnisation et des franchises. Bien que non obligatoire, l’assurance de dommages aux biens est essentielle pour accéder à certains régimes d’indemnisation, notamment en cas de catastrophes naturelles, dont le périmètre est restreint aux seuls biens disposant d’un contrat d’assurance de dommages aux biens.

 

La mission examine ensuite la quantification et l’évolution des dépenses d’assurance des collectivités territoriales. Ce sujet est complexe à suivre en raison de la disponibilité limitée et du manque de détail des données. La majeure partie des dépenses d’assurance, soit environ 90 %, est supportée par le bloc communal. Ces dépenses sont enregistrées dans les comptes de gestion des collectivités, principalement sous le compte 616 – « primes d’assurances », conformément à l’instruction comptable M57.

 

Cependant, plusieurs limites rendent difficile une analyse fine de ces dépenses. Les catégories comptables utilisées ne permettent pas toujours de suivre précisément les différents types de contrats, notamment les assurances multirisques et les assurances dommages. En outre, les données comptables ne distinguent pas clairement l’évolution des types de contrats, comme les primes ou les franchises, ce qui empêche d’avoir une vision précise de la dynamique du marché.

Malgré une augmentation nominale des dépenses d’assurance des communes entre 2015 et 2023 (+7,6 %, soit une croissance annuelle moyenne de +1,1 %), ces dépenses n’ont pas suivi le rythme de l’inflation, entraînant une baisse réelle en volume de –4 %.

 

Si depuis 2016, la part des dépenses d’assurance dans les dépenses de fonctionnement des communes a diminué, passant de 0,81 % en 2016 à 0,72 % en 2022, cette tendance s’est toutefois inversée en 2023, avec une augmentation à 0,82 %. Cette inversion a conduit à l’exclusion de certaines collectivités, affectant les communes indépendamment de leur taille. L’analyse de 1 345 communes ayant subi une hausse des dépenses d’assurance de plus de 100 % en 2023 n’a pas révélé de variables spécifiques expliquant cette hausse, qui semble indépendante de la taille et de la structure de population des communes concernées.

 

Le marché de l’assurance des collectivités est structurellement moins rentable que celui des entreprises. La mission a observé que ce marché, notamment en ce qui concerne l’assurance des biens, n’est ni documenté ni objectivé par les différents acteurs (État, collectivités locales, assureurs, réassureurs). Face à ce manque de données, il est difficile de dresser une évaluation claire de l’évolution du marché. La mission recommande en conséquence la création d’un observatoire de l’assurance dans le secteur public, similaire à l’Observatoire des tarifs bancaires. Celui-ci serait chargé de suivre et d’évaluer l’évolution des tarifs et des dépenses liées aux assurances des collectivités territoriales.

 

Comme le rapport Husson le mentionnait longuement en janvier dernier (F. Ribet, Quelles solutions d’assurance aux collectivités territoriales ? JCP A 2024, act. 188), ce marché est essentiellement dominé par deux acteurs mutualistes, Groupama et SMACL. La concentration des acteurs sur ce segment de marché soulève des interrogations quant à sa viabilité. En conséquence, la mission recommande de confier à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) une mission de surveillance renforcée sur l’équilibre économique du marché de l’assurance des collectivités territoriales, avec un mandat d’alerte en cas de risque de contraction de ce marché. Enfin, le ratio sinistre sur prime du marché des collectivités, inférieur de 11 points à celui des entreprises, démontre une rentabilité moindre.

 

Dans une troisième partie, qui constitue le centre de gravité du travail de la mission, celle-ci souligne le dilemme auquel sont confrontés les décideurs locaux. Ils doivent assumer la responsabilité politique de la situation, prendre des décisions d’investissement potentiellement coûteuses pour prévenir des crises futures aux risques et impacts incertains, avec des solutions d’adaptation complexes et des annonces potentiellement anxiogènes.

B. – L’augmentation des risques, complexifiant l’assurabilité des collectivités

Les notions de risque et d’aléa jouent un rôle clé dans l’approche assurantielle.
 

1) Cartographie des risques

Le concept de risque comprend sa connaissance, sa gestion et sa prévention/protection. Il se décline en trois étapes : identification et connaissance des risques pour évaluer leur probabilité et leurs conséquences, traitement des risques identifiés pour les supprimer ou réduire leur impact, et évaluation continue de l’évolution des risques et de l’efficacité des mesures prises. Le risque zéro étant inatteignable, il s’agit de gérer l’exposition en réduisant la vulnérabilité et en assurant une coordination étatique. La mission s’est concentrée sur la réparation des dommages, tout en tenant compte des actions de prévention et de protection. Bien que la gestion du risque soit bien organisée par l’État, la coordination de la prévention pourrait être améliorée.

 

La caractérisation de l’« aléa » et du risque dans l’approche assurantielle repose sur sa nature, sa fréquence et son impact. L’aléa, et par extension le risque, peut être naturel (géologique, hydrologique, météorologique), accidentel (technologique), sanitaire (alimentaire, médicamenteux, épidémique) ou lié à la défense et à la sécurité (sécurité intérieure, approvisionnement essentiel). La mission s’est concentrée sur les risques naturels, météorologiques et sociaux. L’analyse de ces risques s’est principalement basée sur des statistiques et des modélisations d’événements historiques, avec une dimension prospective limitée. La mesure du risque résulte de la combinaison de l’aléa et de sa criticité, ainsi que de la vulnérabilité des personnes ou des biens exposés, en fonction de leur situation géographique et des mesures de prévention et de protection mises en place.

 

Un même niveau de risque peut résulter d’une fréquence d’aléa élevée associée à une faible vulnérabilité, ou d’une vulnérabilité élevée associée à un aléa moins fréquent. Un risque est qualifié de majeur lorsque la combinaison d’aléa et de vulnérabilité conduit à un niveau de risque anormalement élevé, et de chronique lorsque l’aléa est élevé. La maîtrise du risque repose sur la capacité à anticiper (prévision) et à réduire la vulnérabilité (protection), définissant ainsi les mesures de prévention. La notion de « risque certain » est étrangère à la qualification d’un risque mais intervient dans la définition de son assurabilité, une assurance n’étant envisageable que si le risque n’est pas avéré. L’incertitude quant à la réalisation du risque permet son assurabilité, tandis que la certitude de sa réalisation le rend « inassurable ».

 

Actuellement, 20 % du littoral français est soumis à l’érosion côtière, phénomène aggravé par le changement climatique. Ce retrait progressif du trait de côte engendre des risques d’envahissement maritime et de débordement estuarien, créant des enjeux d’aménagement. Le cadre juridique distingue l’érosion, non assurable, de la submersion, assurable au titre des catastrophes naturelles. L’État a alloué 20 millions d’euros pour des aménagements et la création d’un comité national du littoral. D’ici 2050, 760 hectares urbanisés et 8 500 locaux sont menacés, atteignant 50 000 logements d’ici 2100. La loi Climat et Résilience permet aux communes de moduler leur urbanisme, et l’article L. 321-15 du Code de l’environnement impose des cartes locales de recul du trait de côte. Il est crucial de développer des stratégies locales et inter-risques pour une gestion intégrée, avec un soutien régional et des plans d’aménagement partenariaux.

Les risques les plus prégnants pour les biens des collectivités se divisent en deux catégories principales : les risques naturels et météorologiques, et les risques sociaux.

 

Les inondations et la montée du niveau de la mer sont considérées comme des aléas majeurs en France, tandis que le retrait-gonflement des sols argileux (RGA) est un aléa chronique secondaire. Le changement climatique aggrave les risques d’ici 2050, avec une augmentation des sécheresses, inondations, submersions marines et aléas cycloniques, affectant particulièrement l’outre-mer. Ces territoires sont exposés aux cyclones, montée des eaux, précipitations extrêmes, stress hydrique et thermique. L’Agence française de développement a noté une augmentation de l’exposition aux risques climatiques, sans toutefois impacter le profil de risque des clients. Malgré l’existence de plateformes comme « Géorisques », une approche multirisque est encore nécessaire. Les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle augmentent chaque année, avec près de 12 000 en 2023. La mission recommande de centraliser les données relatives aux risques sur une plateforme unique en open data.

 

Retour d’expérience d’Eloïse Crépel

Le réchauffement climatique que la France connaît depuis quelques années a conduit à faire apparaître dans nombre de territoires des épisodes de fortes sécheresses. Les administrés ont, tous les ans, et pour les dégâts de l’année N-1, la possibilité de déclarer leurs sinistres « sécheresse » apparus sur leurs habitations à la mairie de leur lieu d’habitation. L’année N, les services préfectoraux travaillent sur le recensement de toutes les communes du département afin de les déclarer, ou non, en état de catastrophe naturelle. De ce travail, nait ensuite un arrêté préfectoral de déclaration « CAT NAT ». Étant précisé que cet état peut être déclaré sur une période bien précise et peut ne pas impacter l’année entière.Le nombre de déclarations sécheresse augmente drastiquement d’années en années. Pour autant, les services de l’État peinent de plus en plus à déclarer certaines villes en état de catastrophe naturelle. Cette situation conduit les communes à ne pas pouvoir répondre favorablement aux demandes de prise en charge des administrés via leurs assureurs. Pour y remédier, il faudrait revoir le régime d’indemnisation qui est, pour certains territoires, quasiment bloqué.
 

Le risque social se divise quant à lui en « risque chronique », incluant le vandalisme et la délinquance, et en « risque majeur », se rapportant aux violences urbaines. En 2019, des pics de destructions ont été observés lors des mouvements sociaux, comme ceux des « gilets jaunes ». En 2023, les destructions volontaires ont augmenté de 3 %, impactées par des violences urbaines, avec 750 bâtiments publics endommagés et un coût estimé à 650 millions d’euros pour les assureurs. Le rapport préconise de clarifier la responsabilité de l’État pour les dégradations liées aux manifestations et de définir précisément le terme « violences urbaines » pour éviter toute ambiguïté.

 

Retour d’expérience d’Eloïse Crépel

Le risque social se divise quant à lui en « risque chronique », incluant le vandalisme et la délinquance, et en « risque majeur », se rapportant aux violences urbaines. En 2019, des pics de destructions ont été observés lors des mouvements sociaux, comme ceux des « gilets jaunes ». En 2023, les destructions volontaires ont augmenté de 3 %, impactées par des violences urbaines, avec 750 bâtiments publics endommagés et un coût estimé à 650 millions d’euros pour les assureurs. Le rapport préconise de clarifier la responsabilité de l’État pour les dégradations liées aux manifestations et de définir précisément le terme « violences urbaines » pour éviter toute ambiguïté. Sauf qu’à ce jour, ni les assureurs des collectivités ni l’État n’ont honoré cet engagement. Cette situation perdurant, certaines communes se doivent de continuer à assurer leurs missions de service public. Or, l’image de la collectivité est quelque peu dégradée (exemple de la vitrine d’une médiathèque saccagée lors des émeutes, et non réparée à ce jour). Il faudrait que cette proposition de prise en charge soit suivie d’actes significatifs.
 

La prévention des risques naturels et climatiques repose principalement sur les normes et décisions en matière de construction et d’urbanisme. Les collectivités territoriales ont la compétence de prévenir les risques naturels prévisibles, miniers, technologiques, ainsi que les pollutions et nuisances de toutes natures. Elles contribuent également à la lutte contre le changement climatique et à l’adaptation à ce changement.

 

Le Plan Local d’Urbanisme (PLU), outil central de la prévention des risques, est élaboré et mis à jour par les communes. Il définit les règles d’aménagement du territoire, en tenant compte des risques naturels et technologiques. Si le PLU est généralement établi à l’échelle communale, l’échelle intercommunale (PLUi) peut être plus adaptée pour une gestion cohérente des risques sur un territoire plus vaste. Le PLU doit être compatible avec les documents d’urbanisme de plus grande échelle (SCOT, PLH, etc.) et intègre des règles spécifiques en fonction des risques identifiés (zones inondables, zones sismiques, etc.). Le maire, en tant qu’autorité de police, est chargé de veiller à l’application du PLU et de prendre les mesures nécessaires en cas de menace grave et imminente.

 

Les politiques de cohésion sociale et territoriale sont essentielles pour prévenir les risques sociaux. Ces politiques, en complément des mesures de prévention des risques naturels et climatiques, permettent d’anticiper et de limiter les conséquences des crises sociales. La prévention de la délinquance, l’accompagnement des populations en difficulté et le développement des services publics sont autant d’exemples d’actions mises en œuvre dans ce cadre.

 

Pour renforcer l’efficacité de ces politiques, la mission préconise un renforcement de la collaboration entre les acteurs publics et privés. Les assureurs, en tant que professionnels de la gestion des risques, disposent d’outils et de compétences qui peuvent être mis au service de la prévention des risques sociaux. Leur participation à des instances de gouvernance telles que le comité d’orientation de l’Observatoire national de la politique de la ville permettrait de renforcer les synergies entre les différents acteurs et d’améliorer la prise en compte des risques sociaux dans les politiques publiques. Une meilleure connaissance des risques sociaux par les assureurs favoriserait également le développement de produits d’assurance adaptés aux besoins des collectivités et des populations les plus vulnérables.

 

La prévention des risques naturels et météorologiques en France s’appuie sur un dispositif réglementaire et opérationnel robuste, coordonné par l’État. Le Plan de Prévention des Risques Naturels (PPRN) est un outil central de cette politique. Il délimite les zones exposées à des risques spécifiques et définit les règles d’urbanisme et d’aménagement à respecter. Ces plans sont élaborés après concertation et enquête publique, et sont régulièrement mis à jour pour tenir compte de l’évolution des connaissances et des enjeux.

 

Le ministère de l’Écologie, en collaboration avec les acteurs concernés, notamment les assureurs et réassureurs, met en œuvre une politique de prévention ambitieuse. Des dispositifs d’alerte, de formation et de sensibilisation du public sont déployés. Les PPRN couvrent une part importante du territoire national, mais des efforts restent à faire pour améliorer leur mise en œuvre et leur efficacité.

 

L’évolution des connaissances scientifiques et les enjeux liés au changement climatique nécessitent une adaptation constante des outils de prévention. L’introduction de la modélisation prédictive dans l’élaboration des PPRN est une avancée majeure qui permettra d’anticiper les futurs risques et d’adapter les stratégies de prévention en conséquence. Par ailleurs, la sensibilisation des acteurs locaux et du grand public reste un enjeu primordial pour réduire la vulnérabilité des territoires face aux risques naturels.

 

L’accompagnement des collectivités sinistrées par l’État repose sur le principe que la couverture des risques, y compris pour les biens des collectivités locales, relève avant tout de l’assurance ou de l’auto-assurance. L’État n’a pas vocation à se substituer au secteur assurantiel, même dans les territoires à risque où la rentabilité de l’assurance est limitée. Toutefois, en raison des spécificités des biens des collectivités et de l’importance de la continuité des services publics, l’État intervient pour soutenir financièrement la reconstruction de biens non assurés ou inassurables, et pour renforcer la maîtrise et la prévention des risques.

 

2) L’intervention des acteurs publics face aux risques

En cas d’événements d’une exceptionnelle gravité, un certain nombre de fonds peuvent être mobilisés pour soutenir l’indemnisation et la reconstruction des biens publics endommagés lorsque ceux-ci ne sont pas « assurables ».

 

Depuis 2002, le Fonds de Solidarité Européenne (FSUE) soutient les États membres face aux catastrophes majeures, complétant leurs efforts nationaux. Il a mobilisé 8,2 Mds € dans 25 États membres et trois pays voisins, dont la France. La dotation de solidarité pour les équipements des collectivités (DSEC) finance jusqu’à 80 % des dépenses éligibles pour la reconstruction des biens endommagés. En 2023, malgré peu de demandes, 40 M € ont été prévus en autorisations d’engagement pour 2024. Un fonds de 100 M € a été créé pour reconstruire les biens publics endommagés par les émeutes urbaines. Fin 2023, 224 dossiers avaient été déposés pour 31,7 M €.

Au-delà de la prévention, le changement climatique appelle à l’intégration de logiques d’adaptation dans la gestion des risques et de l’assurance des biens qui y sont exposés.

L’État mobilise divers instruments financiers pour soutenir les projets d’adaptation de l’aménagement des territoires, notamment le « fonds de prévention des risques naturels majeurs » (FPRNM), abondé par le budget de l’État depuis 2021. Ce fonds finance des projets de prévention et d’adaptation aux risques naturels, couvrant jusqu’à 100 % des coûts pour les collectivités locales. En complément, le « fonds vert » créé en 2023 vise à accélérer la transition écologique dans les territoires. Pour renforcer la cohésion sociale, le FIPDR finance des actions de prévention de la délinquance et de sécurisation, avec une priorité marquée pour la vidéo protection en 2023.

 

L’État vise à changer le paradigme de réparation des sinistres en passant de la reconstruction à l’adaptation aux risques. Des dispositifs comme le « Programme d’action de prévention des inondations » (PAPI) et les projets partenariaux d’aménagement (PPA) encouragent une gestion globale et équilibrée des risques d’inondation. L’expérimentation MIRAPI, soutenue par le ministère de la Transition écologique, incite les propriétaires sinistrés à réduire la vulnérabilité de leurs habitations aux inondations, avec un financement supplémentaire de l’État. L’appel à manifestation d’intérêt AMITER vise à faire émerger des approches innovantes pour le renouvellement urbain des sites exposés, en intégrant la réduction de la vulnérabilité comme levier de projet.

 

La mission préconise de conforter le principe assurantiel en envisageant l’intervention de l’État uniquement en subsidiarité ou en complément.

 

Le régime de reconnaissance de catastrophe naturelle est unique mais nécessite des ajustements pour mieux protéger les collectivités locales. Il ne couvre que les biens assurables endommagés par des phénomènes naturels d’intensité anormale, ce qui peut poser des difficultés aux communes fortement exposées aux risques naturels. La récente évolution du régime exclut certaines communes de la suppression des franchises, ce qui pourrait être réévalué. Pour lutter contre les risques climatiques et sociaux croissants, le régime Cat Nat devrait être adapté pour garantir des marges techniques positives dans les zones à risque. Une modulation décroissante de la surprime selon l’exposition au risque est recommandée pour inciter les assureurs à couvrir ces zones.

 

Pour gérer le risque social, il est recommandé d’appliquer les mêmes dispositifs que pour les risques climatiques, notamment la mutualisation du risque exceptionnel. Le recours au marché de l’assurance doit être conforté pour couvrir les dommages résultant de la délinquance et des manifestations non circonscrites. Un dialogue entre France Assureurs, l’État et les collectivités locales est nécessaire pour construire un dispositif de mutualisation du risque social exceptionnel, sur le modèle du régime Cat Nat.

 

3) Focus sur le patrimoine des collectivités

Le rapport s’attache en partie 4 à examiner la situation du patrimoine des collectivités territoriales, particulièrement exposé aux risques en raison de sa nature. L’insuffisance des inventaires patrimoniaux constitue un obstacle majeur à la formulation d’expressions de besoins claires et précises, notamment dans le cadre de la souscription de contrats d’assurance.

Le patrimoine des collectivités territoriales est mal inventorié dans leurs données comptables, malgré l’obligation constitutionnelle de sincérité (Cons. const., art. 47-2). Les collectivités doivent respecter des règles comptables alignées sur celles des entreprises, mais l’inventaire de leurs immobilisations présente souvent des lacunes, notamment dans le suivi et l’ajustement avec la comptabilité générale. L’expérimentation de la certification des comptes, menée par la Cour des comptes, a révélé des défaillances majeures, en particulier concernant le suivi des immobilisations. Un nombre important de collectivités font l’objet de réserves liées à l’absence d’inventaires physiques à jour et à des incohérences entre ces inventaires et la comptabilité générale. Ces lacunes ont des répercussions directes sur la capacité des collectivités à contracter des assurances, car l’absence d’un inventaire précis des biens ne permet pas de formuler une demande d’assurance adaptée.

 

Pour améliorer la gestion du patrimoine, les données cadastrales, initialement conçues pour le calcul des impôts locaux, peuvent servir à inventorier les biens des collectivités et à formuler leurs besoins en assurance. Le cadastre fournit des informations telles que la nature, la surface et la localisation des biens, essentielles pour évaluer les risques et déterminer les contrats d’assurance. Cependant, des limites existent, notamment en ce qui concerne la valorisation des actifs (immobilier historique, espaces naturels, etc.), souvent sous-évalués ou non pris en compte dans les calculs actuels.

 

Les données cadastrales peuvent aider les collectivités à dresser un premier inventaire de biens à assurer, mais doivent être complétées pour fournir une information harmonisée aux assureurs. Pour améliorer la caractérisation du patrimoine des collectivités territoriales et formuler leur expression de besoin, la mission a recensé d’autres données administratives. Le cadastre constitue une première source de données riche, identifiant la nature, le type et la fonction des parcelles, ainsi que leur surface et localisation géographique. La mission recommande de mettre à disposition les données cadastrales sous un format Excel harmonisé pour faciliter l’expression de besoin.

 

2. Quelles pistes pour faciliter la contractualisation en matière assurantielle des collectivités territoriales ?

Afin d’améliorer la contractualisation en matière d’assurance, le rapport propose en dernière partie de sensibiliser les collectivités aux enjeux liés à la gestion des risques et de les accompagner dans la mise en œuvre des procédures prévues par le CMP.

A. – Mieux appréhender les marchés d’assurances

Les contrats d’assurance des entités publiques sont désormais soumis aux règles de passation des marchés publics, conformément à la directive européenne du 18 juin 1992. Historiquement, ces contrats étaient exemptés de ces règles, comme confirmé par le Conseil d’État en 1984. Cependant, la directive de 1992 a inclus les produits d’assurance parmi les services régis par les marchés publics. Depuis les directives européennes de 2014, transposées dans le code de la commande publique, les marchés publics d’assurance doivent respecter les règles de publicité et de mise en concurrence, avec des seuils spécifiques applicables depuis le 1er janvier 2024 : une procédure formalisée à partir de 143 000 € pour l’État et 221 000 € pour les collectivités territoriales, et une procédure adaptée pour les montants compris entre 40 000 € et ces seuils.

Le nombre de marchés publics d’assurance déclarés à l’administration est en croissance. En 2022, environ 2 600 marchés publics d’assurance ont été conclus par les collectivités territoriales et leurs groupements, pour un montant global de près de 877 M €.

 

L’analyse des contrats passés en 2022 révèle une prédominance des appels d’offres ouverts, tant en termes de montant total que de nombre de contrats. Ces derniers concentrent 74,5 % du montant global, indiquant une utilisation privilégiée pour les marchés de plus grande envergure. Les marchés à procédure adaptée, bien que plus nombreux, représentent une part moins importante du montant total, suggérant leur utilisation pour des contrats de moindre valeur. Les procédures négociées, quant à elles, sont réservées aux marchés particulièrement importants ou complexes, comme en témoigne le montant moyen par contrat, le plus élevé des trois procédures.

 

Le droit des marchés publics est généralement perçu comme inadapté aux services d’assurance.

Les contrats d’assurance traditionnels, conçus pour des risques homogènes, diffèrent des marchés publics d’assurance qui requièrent une adaptation précise aux besoins spécifiques de chaque collectivité. Cette différence de nature juridique engendre des tensions lors de la négociation et de la signature des contrats. De plus, la possibilité pour l’assureur de résilier unilatéralement le contrat, bien qu’encadrée par la loi, peut créer des situations de blocage, comme l’illustre l’exemple du Grand Port Maritime de Marseille (CE, 12 juill. 2023, n° 469319 : Lebon T. ; JCP A 2023, act. 497 ; JC A 2023, 2318, note F. Allaire). Le Conseil d’État a rappelé dans cette affaire l’importance de garantir la continuité du service public et a imposé à l’assureur de maintenir la couverture jusqu’à la signature d’un nouveau contrat.

 

Les difficultés rencontrées par les collectivités locales ne sont pas uniquement liées au cadre juridique, mais aussi aux pratiques. Le manque d’expertise des collectivités en matière d’assurance, associé à une mauvaise compréhension des mécanismes assurantiels, complique la définition des besoins et la rédaction des cahiers des charges. De plus, la priorité accordée au critère du prix dans les appels d’offres peut conduire à des choix sous-optimaux en termes de garanties et de services.

 

Le contexte actuel du marché de l’assurance aggrave ces difficultés. L’augmentation des risques climatiques et la réduction du nombre d’assureurs intéressés par le marché des collectivités locales rendent les conditions d’assurance plus contraignantes. Les assureurs sont de plus en plus réticents à prendre des risques et exigent des conditions tarifaires et contractuelles plus rigoureuses.

 

Le cadre juridique de la commande publique offre de nouvelles opportunités pour améliorer les relations contractuelles entre les collectivités locales et les assureurs.

La directive 2014/24/UE a assoupli de manière significative les conditions de recours à la procédure négociée pour la passation des marchés publics, par rapport aux régimes précédents. Tandis que les textes antérieurs privilégiaient la mise en concurrence par appel d’offres, la nouvelle directive autorise désormais les acheteurs publics, notamment les collectivités locales, à recourir à la négociation dans certains cas bien précis. Cette évolution est particulièrement pertinente dans le domaine des assurances, où les besoins spécifiques et la complexité des contrats justifient souvent une adaptation des solutions standards. En effet, la négociation permet de prendre en compte les particularités de chaque situation et de garantir une meilleure adéquation entre l’offre et la demande, notamment dans le cadre de groupements de commande.

 

De même, l’acceptation des réserves formulées par les assureurs offre une plus grande flexibilité dans la passation des marchés. Ces réserves, modifications apportées par les candidats aux cahiers des charges des marchés publics d’assurance, ne sont pas juridiquement encadrées. Bien qu’elles soient en principe considérées comme des irrégularités, la pratique a montré qu’elles étaient souvent nécessaires pour faciliter la passation de ces marchés spécifiques. En effet, les besoins des collectivités ne correspondent pas toujours parfaitement aux offres des assureurs. La circulaire du 24 décembre 2007 (Cir., 24 déc. 2007, relative à la passation des marchés publics d’assurances : JO 10 avr. 2008, p. 85) souligne l’importance d’évaluer l’adéquation du dossier de consultation aux réalités du marché de l’assurance et d’apprécier l’impact des réserves sur l’offre globale. La jurisprudence a confirmé cette approche pragmatique, admettant la possibilité d’engagements avec réserves et interdisant de pénaliser systématiquement les offres qui en contiennent. Il est toutefois essentiel de s’assurer que les réserves ne compromettent pas l’intérêt général et ne déséquilibrent pas la concurrence.

 

Conformément au droit européen et au Code de la commande publique, les délais impartis aux candidats pour déposer leurs offres lors d’une consultation des marchés publics sont fixés à un niveau minimum. Ces délais, bien que pouvant être allongés par l’acheteur, doivent en tout état de cause être suffisants pour permettre aux candidats de préparer des offres de qualité, notamment lorsqu’une visite des lieux est requise. Afin de faciliter la participation des assureurs aux consultations lancées par les collectivités, il est recommandé d’inciter ces dernières à allonger les délais minimaux de réponse. Cette mesure, qui pourrait être mise en œuvre par le biais de campagnes de communication à destination des collectivités et de leurs représentants, permettrait d’assurer une plus grande concurrence et une meilleure adéquation des offres aux besoins des acheteurs publics.

 

Enfin, si le Code de la commande publique, en application de la directive européenne 2014/24, encadre strictement les modifications apportées aux marchés publics, elles sont autorisées sous certaines conditions, notamment lorsqu’elles ne sont pas substantielles, qu’elles n’augmentent pas significativement la valeur du marché ou qu’elles sont rendues nécessaires par des circonstances imprévisibles. Le Conseil d’État a précisé que les modifications peuvent porter sur les prix et les tarifs, même si les prestations restent identiques. Néanmoins, les collectivités conservent un droit de veto sur toute modification et peuvent invoquer la théorie de l’imprévision en cas de refus de renégocier les tarifs, sous réserve de remplir les conditions légales.

 

En matière d’assurance, la possibilité de modifier les contrats est particulièrement utile pour faire face à l’évolution des risques. Par exemple, l’apparition d’un nouveau risque soudain et imprévisible peut justifier une modification du contrat, dans la limite des seuils prévus par la réglementation. Il est important de noter que ces modifications doivent toujours être justifiées et respecter les principes de la commande publique, notamment en matière de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Les collectivités doivent ainsi veiller à ce que les modifications apportées aux contrats d’assurance ne portent pas atteinte à l’intérêt général et ne favorisent pas indûment certains opérateurs économiques.

 

Retour d’expérience d’Eloïse Crépel

Depuis quelque temps, certaines communes reçoivent, au moment de l’avis d’échéance des cotisations, une notification indiquant que ces dernières ont augmenté ou augmenteront, à compter d’une date précise, le prix des cotisations et des franchises. Pour rappel, le marché d’assurances est un marché public de services qui a la particularité de devoir composer avec les dispositions du Code de la commande publique et celles du Code des assurances (qui fait d’ailleurs l’objet de nombreuses dispositions d’ordre public). Les compagnies d’assurance avancent une modification unilatérale du contrat, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2194-1 5°. Cette articulation entre les deux codes demande à être éclaircie pour permettre aux collectivités territoriales d’être suffisamment formées et à l’aise avec la réglementation.

B. – Mieux gérer les risques
 

La culture du risque au sein des collectivités locales demeure insuffisante, entraînant une sous-optimisation de leurs contrats d’assurance. Malgré une récente extension des compétences du médiateur de l’assurance, les collectivités recourent peu à ce dispositif pour défendre leurs intérêts. Cette situation s’explique par un manque de connaissance des mécanismes assurantiels et une faible intégration de la gestion des risques dans les politiques locales. Les collectivités ont tendance à renouveler leurs contrats sans véritablement les analyser et à ne pas comparer les offres du marché.

 

Pour remédier à cette situation, il est essentiel de renforcer la culture du risque au sein des collectivités locales. Cela passe par une meilleure information sur leurs droits et leurs obligations en matière d’assurance, ainsi que par un accompagnement dans la définition de leurs besoins et la négociation de leurs contrats. Les collectivités doivent également développer une approche plus stratégique de la gestion de leurs risques, en intégrant une part d’auto-assurance pour les risques les moins importants et en souscrivant des contrats d’assurance adaptés aux risques majeurs. Pour y parvenir, elles peuvent s’inspirer des pratiques des entreprises et mobiliser les compétences d’experts en gestion des risques.

 

Retour d’expérience d’Eloïse Crépel

Il est aujourd’hui devenu difficile d’analyser plusieurs offres à un marché d’assurances. Les besoins des collectivités territoriales ont évolué et ce type de contrat manque d’attractivité et de rentabilité pour les candidats assureurs. En effet, la crise économique oblige les territoires à optimiser leurs ressources financières et ils ne peuvent plus se permettre d’anticiper sur le budget communal des sinistres éventuels. Il est donc demandé à la collectivité souhaitant s’assurer d’adapter une réelle stratégie d’assurance et de choisir ce qu’elle juge utile d’assurer ou non. Prenons l’exemple de la flotte automobile de certains services tels que la Police municipale : avec l’augmentation des cotisations et des franchises, de nombreuses collectivités se désengagent d’une partie de leur couverture automobile. Se pose alors de plus en plus la question de l’auto-assurance des collectivités, qui peut paraître dangereuse pour certaines d’entre elles qui peinent encore à avoir un inventaire de leur patrimoine mobilier et immobilier. Aussi, l’auto-assurance ne semble pas aller dans le sens de la programmation budgétaire actuelle dans la mesure où elle obligerait les collectivités à anticiper des potentiels sinistres futurs. Ce qui, comme nous l’avons souligné plus haut, est difficilement tenable en pleine crise économique.
 

La gestion des risques et des assurances au sein des collectivités locales nécessite une expertise spécifique.

 

Pour mieux maîtriser leurs risques, les collectivités devraient intégrer la fonction de « manager des risques ». Ce professionnel serait chargé d’identifier les risques encourus, d’évaluer leur importance et de définir les mesures de prévention adaptées. Il jouerait également un rôle clé dans la négociation des contrats d’assurance en collaboration avec les assureurs. Pour soutenir les collectivités dans cette démarche, la mission propose de promouvoir la formation des agents territoriaux et de diffuser des référentiels de maîtrise des risques.

 

Par ailleurs, les collectivités doivent renforcer leurs capacités d’ingénierie en matière d’assurance. La mise en place d’un service dédié ou le recours systématique à une AMO permettrait aux collectivités de mieux comprendre leurs besoins en matière d’assurance, de négocier des contrats plus adaptés et de réduire leurs coûts. Il est également essentiel de disposer d’outils d’évaluation des risques précis et fiables, tels que des fiches de valeur par bien. L’État pourrait, à cet égard, élaborer un référentiel national des coûts moyens de construction et de reconstruction, afin d’aider les collectivités à évaluer le coût de leurs risques et à négocier avec les assureurs.

 
 

[1Administrateur territorial, magistrat financier à la chambre régionale des comptes Occitanie

[2Attachée territoriale, responsable du pôle des gestions déléguées de Toulouse Métropole