Mur d’enceinte d’une propriété privée menaçant de s’effondrer : les frais engagés par une commune pour signaler le danger sur la voie publique adjacente peuvent-ils être mis à la charge du propriétaire ?
Non tranche la cour administrative d’appel de Bordeaux, les frais exposés pour des mesures de sécurisation de la voie publique réalisées en majeure partie avant l’arrêté de péril imminent relèvent du pouvoir de police générale du maire. Ils ne peuvent donc donner lieu à recouvrement sur le fondement des dispositions relatives au pouvoir de police spéciale des immeubles menaçant ruine.
Suite à des intempéries, certaines sections du mur d’enceinte d’un château privé ont été fragilisées, créant un risque d’effondrement sur la voie publique. L’expert désigné par le tribunal administratif conclut que cette construction présente un danger grave et imminent pour la sécurité publique.
Le maire prend aussitôt un arrêté de péril imminent et fait installer une signalisation sur la voie publique pour alerter les usagers du danger.
Quelques mois plus tard, le maire adresse à la propriétaire du château un titre exécutoire d’un montant de 7684 euros correspondant aux frais engagés par la commune pour la signalisation mise en place pendant plusieurs mois.
La propriétaire du château conteste cette créance et soutient que la mise en place de la signalétique se rapporte au pouvoir de police générale du maire prévue par l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et non au pouvoir de police spéciale prévu aux articles L. 511-3 et L. 511-4 du Code de la construction et de l’habitation alors en vigueur.
Le tribunal administratif de Poitiers rejette la demande d’annulation du titre exécutoire.
Mais, en appel, la propriétaire obtient gain de cause, la cour administrative d’appel de Bordeaux annulant la créance que la commune pensait détenir.
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Réforme de la police de l’habitat
Depuis le 1er janvier 2021, une nouvelle police spéciale a été créée pour la sécurité et la salubrité des immeubles, résultant de la fusion entre la police des édifices menaçant ruine et celle des immeubles insalubres. (Ordonnance du 16 septembre 2020). Cette police est codifiée aux articles L.511-1 à L.511-22 et R.511-1 à R.511-13 du Code de la construction et de l’habitation. Le maire dispose de nouvelles prérogatives en cas de risques pour la sécurité des occupants des logements.
Tour d’horizon du nouveau cadre juridique.
Tour d’horizon du nouveau cadre juridique.
Au préalable, le juge rappelle le cadre juridique encore en vigueur au moment des faits ainsi que le processus de recouvrement des frais lorsque la commune prend la place du propriétaire qui n’a pas réalisé les travaux exigés par l’arrêté de péril.
Deux dispositions font ainsi référence au mode de recouvrement et au contenu de la créance :
- L’article L. 511-4 dans sa version applicable prévoit que :
"Les frais de toute nature, avancés par la commune lorsqu’elle s’est substituée aux propriétaires ou copropriétaires défaillants, en application des dispositions des articles L. 511-2 et L. 511-3, sont recouvrés comme en matière de contributions directes. (...)".
- L’article R. 511-5 dans sa version applicable au litige, dispose que :
"La créance de la commune sur les propriétaires ou exploitants née de l’exécution d’office des travaux prescrits en application des articles L. 511-2 et L. 511-3 comprend le coût de l’ensemble des mesures que cette exécution a rendu nécessaires, notamment celui des travaux destinés à assurer la sécurité de l’ouvrage ou celle des bâtiments mitoyens, les frais exposés par la commune agissant en qualité de maître d’ouvrage public et, le cas échéant, la rémunération de l’expert nommé par le juge administratif. "
Ce sont désormais les articles L.511-17 et R.511-9 du code de la construction et de l’habitation qui détaillent le contenu de la créance.
Autrement dit, lorsque la commune remplace le propriétaire défaillant pour effectuer à sa place et à ses frais les travaux, la créance que détient la commune inclut notamment :
- le coût des travaux destinés à assurer la sécurité de l’ouvrage ou celle des bâtiments mitoyens ;
- les frais exposés par la commune agissant en qualité de maître d’ouvrage public ;
- le cas échéant, la rémunération de l’expert nommé par le juge administratif.
Dans l’affaire jugée par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le titre exécutoire délivré par la commune à l’encontre de la propriétaire ne concerne pas des travaux ordonnés au titre de l’arrêté de péril que la châtelaine n’aurait pas exécuté dans le délai de trois mois imparti. La propriétaire du château a bien fait réaliser, en 2021, les travaux prescrits par l’arrêté de péril.
La créance contestée vise des frais exposés par la commune pour des mesures de sécurisation de la voie publique de janvier à avril 2020. Certes, l’arrêté de péril prévoyait « la mise en place, par la commune, d’une signalétique et des barrières de protection ». Il s’agit de mesures provisoires prises avant que les propriétaires ne réalisent les travaux.
Ces mesures relèvent donc des pouvoirs de police généraux du maire en matière de circulation publique rappelle le juge qui relève également que ces mesures ont été réalisées en majeure partie avant même l’édiction de l’arrêté de péril.
Par conséquent, de tels frais n’entrent pas dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 511-4 du Code de la construction et de l’habitation et ne peuvent donc donner lieu à recouvrement sur le fondement de ces dispositions.
Il a déjà été jugé que ne sont pas recouvrables les frais de signalisation d’un danger sur la voie publique consécutif à un immeuble menaçant ruine (CAA Nantes, 29 décembre 2000 : n° 97NT01854).
Rappel : Lorsque la cause du danger est extérieure à l’immeuble (inondation, éboulement de terrain...), alors le maire ne peut faire usage que de son pouvoir de police générale (article L.2212-2 du CGCT).