Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Montée des eaux et érosion côtière : décryptage de l’ordonnance relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés

Dernière mise à jour le 17/08/2023

 [1]

La loi Climat et résilience a autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance en matière d’urbanisme sur le sujet de l’adaptation au recul du trait de côte. C’est l’objet de l’ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022. Ce qu’il faut en retenir.

Objet de l’ordonnance

La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance en matière d’urbanisme sur le sujet de l’adaptation au recul du trait de côte.
Ce recul du trait de côte impose la recomposition des territoires concernés (20 000 km du littoral français sont impactés) et notamment la relocalisation progressive de l’habitat et des activités affectés par l’érosion.

L’article 248 de la loi Climat et résilience autorise ainsi le Gouvernement notamment à :
 créer par ordonnance un nouveau régime de contrat de bail réel immobilier de longue durée, par lequel un bailleur consent à un preneur des droits réels en contrepartie d’une redevance foncière, en vue d’occuper ou de louer, d’exploiter, d’aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages et bâtiments situés dans des zones exposées au recul du trait de côte ou à des risques naturels aggravés par le changement climatique ;
 définir ou à adapter les outils d’aménagement foncier et de maîtrise foncière nécessaires à l’adaptation des territoires exposés au recul du trait de côte, notamment en ajustant les missions des gestionnaires de foncier public et en définissant les modalités d’évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, tout en prenant en compte l’état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, ainsi que, le cas échéant, les modalités de calcul des indemnités d’expropriation et les mesures d’accompagnement.

💥Le décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 établit une liste de communes en application de l’article L. 321-15 du code de l’environnement. Ces communes ont été identifiées en tenant compte de la particulière vulnérabilité de leur territoire au recul du trait de côte. La vulnérabilité des territoires a été déterminée en fonction de l’état des connaissances scientifiques résultant notamment de l’indicateur national de l’érosion littorale mentionné à l’article L. 321-13 du code de l’environnement et de la connaissance des biens et activités exposés à ce phénomène. Le décret n° 2023-698 du 31 juillet 2023. a révisé la liste de communes établie par le décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 en application de l’article L. 321-15 du code de l’environnement.
Les communes peuvent apprécier leur vulnérabilité en fonction de l’état des connaissances scientifiques résultant notamment de l’indicateur national de l’érosion littorale mentionné à l’article L. 321-13 du code de l’environnement, des observatoires du recul du trait de côte et de la connaissance des biens et activités exposés à ce phénomène. Le tableau annexé au décret comporte les communes volontaires qui ont délibéré favorablement pour leur inscription dans la liste.

Méthode d’évaluation des biens les plus exposés

L’ordonnance définit une méthode d’évaluation des biens les plus exposés, à horizon de trente ans. Cette méthode s’appliquera dans le cadre de la procédure du nouveau droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte (article 1er) mais également à l’occasion de la détermination des indemnités en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique (article 2).

Le rapport présentant l’ordonnance souligne que « la valeur d’un bien immobilier sera en priorité déterminée par comparaison, au regard des références locales entre biens de même qualification et situés dans la même zone d’exposition à l’érosion (zéro à trente ans). A défaut de pouvoir disposer de telles références, une décote proportionnelle à la durée de vie résiduelle estimée pourra être appliquée à la valeur du bien estimée hors zone d’exposition au recul du trait de côte ».

Ainsi en principe le prix d’un bien immobilier situé dans une zone exposée au recul du trait de côte est fixé en priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification et avec un niveau d’exposition similaire situés dans cette même zone.

Si ces références ne sont pas suffisantes, le prix du bien est fixé en priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification situés hors de la zone exposée au recul du trait de côte dans laquelle il se situe. Dans ce cas, pour tenir compte de la durée limitée restant à courir avant la disparition du bien, un abattement est pratiqué sur la valeur de ces références. Cet abattement peut, notamment, être déterminé par application d’une décote calculée en fonction du temps écoulé depuis la première délimitation, en application de l’article L. 121-22-2, de la zone dans laquelle se situe le bien, rapporté à la durée totale prévisionnelle avant la disparition du bien à compter de cette première délimitation.

💥La date de référence prévue à l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à laquelle est pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers en vue de leur estimation, est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d’urbanisme ou la carte communale et délimitant, en application de l’article L. 121-22-2 du code, la zone exposée au recul du trait de côte dans laquelle il est situé.

Droit de préemption

La loi Climat et résilience a créé (article 244), au bénéfice de certaines communes (communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral sont identifiées dans une liste fixée par décret) ou de l’EPCI dont elles sont membres lorsque celui-ci est compétent en matière d’urbanisme, un « droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte ». Ce droit de préemption s’applique d’office dans les zones exposées au recul du trait de côte à l’horizon de 30 ans. Au-delà ( horizon compris entre 30 et 100 ans), le droit de préemption n’est plus automatique mais peut être mis en œuvre sur délibération de la commune ou de l’EPCI.

L’ordonnance apporte des précisions consolidant le cadre de ce droit de préemption notamment pour les conséquences éventuelles en cas d’annulation de la décision de préemption : lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l’acquisition du bien en priorité.
Le prix proposé doit viser à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle. A défaut d’accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation.

Réserves foncières

L’ordonnance complète le dispositif des réserves foncières prévu au code de l’urbanisme, en indiquant explicitement qu’il peut être mobilisé pour prévenir les conséquences du recul du trait de côte (article 4).

« Des réserves foncières peuvent également être constituées par l’Etat, les collectivités locales ou leurs groupements, ou les établissements publics y ayant vocation en vue de prévenir les conséquences du recul du trait de côte sur les biens situés dans les zones exposées au recul du trait de côte définies en application de l’article L. 121-22-2 du code de l’urbanisme. »

Bail réel d’adaptation à l’érosion cotière

🔹 Définition

L’ordonnance crée un nouveau bail réel de longue durée, adapté à l’érosion du littoral. Est ainsi inséré un nouvel article L321-18 dans le code de l’environnement :

« Est dénommé “ bail réel d’adaptation à l’érosion côtière ” le contrat de bail par lequel l’Etat, une commune ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation ou le concessionnaire d’une opération d’aménagement, consent à un preneur pour une durée comprise entre douze ans et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels immobiliers en vue d’occuper lui-même ou de louer, exploiter, réaliser des installations, des constructions ou des aménagements, dans les zones exposées au recul du trait de côte délimitées dans les conditions prévues par l’article L. 121-22-2 du code de l’urbanisme.

Toute intention de proposer la conclusion d’un bail réel d’adaptation à l’érosion côtière fait l’objet d’une publicité préalable.

A l’échéance du bail, le terrain d’assiette du bien fait l’objet d’une renaturation comprenant, le cas échéant, la démolition de l’ensemble des installations, des constructions ou des aménagements, y compris ceux réalisés par le preneur, et les actions ou opérations de dépollution nécessaires. »

🔹 Résiliation du bail (article L. 321-20 du code de l’environnement)

Le bail est résilié de plein droit à la date de l’arrêté par lequel le maire de la commune, en application des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, ou le préfet, en application de l’article L. 2215-1 du même code, prescrit les mesures nécessaires lorsque l’état du recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne peut plus être assurée. Dans ce cas, le bailleur en informe sans délai le preneur.
Toute résiliation anticipée du bail pour ce motif doit nécessairement faire l’objet d’une indemnisation. En effet réputée non écrite, quelle qu’en soit la forme, toute clause contraire.

🔹 Droits et obligations du preneur (articles L. 321-21 et suivants du code de l’environnement)

▪ Le preneur s’acquitte d’un prix à la signature du bail pour les droits réels consentis et, le cas échéant, du paiement pendant la durée du bail d’une redevance. La somme de ce prix et des redevances perçues tient notamment compte des conditions d’acquisition du bien par le bailleur et des coûts prévisionnels pour assurer la réalisation de l’ensemble des actions ou opérations permettant la renaturation du terrain d’assiette du bien à l’expiration du bail.

▪ S’il est stipulé au contrat le paiement d’une redevance pendant la durée du bail, celle-ci peut être révisée à la demande de l’une ou l’autre des parties, notamment lorsque cette révision est rendue nécessaire en raison d’un changement de destination ou de nouveaux travaux postérieurs à la signature de ce bail et entraînant une modification significative du bien, de nature à accroître le coût des actions et opérations de renaturation pris en compte lors de la fixation du montant du prix et de la redevance.

En fonction du prix acquitté à la signature du bail, et en particulier en l’absence de redevance fixée au contrat, le versement d’un complément de prix peut être rendu nécessaire dans les mêmes conditions.

🔎 Renaturation (définition du Larousse) : « opération permettant à un milieu modifié et dénaturé par l’homme de retrouver un état proche de son état naturel initial ».

▪ Le preneur est tenu de réaliser les travaux d’entretien et de réparation nécessaires à la conservation du bien objet du bail en bon état pendant toute la durée de celui-ci. Il n’est pas obligé de les reconstruire s’il prouve qu’ils ont été détruits par cas fortuit, force majeure, ou qu’ils ont péri par un vice antérieur au bail.

▪ Le bail doit préciser la nature, la consistance et l’étendue des travaux que le preneur peut réaliser. Il peut limiter ou interdire l’extension des installations, des constructions ou des aménagements mis à bail au regard de l’évolution du recul du trait de côte.

▪ Les constructions et améliorations réalisées par le preneur doivent être conformes à la destination des lieux autorisée par le bail. Elles demeurent la propriété du preneur en cours de bail et deviennent celle du bailleur au terme du bail.

▪ Le preneur peut jouir librement des droits réels immobiliers et des installations, des constructions ou des aménagements qu’il occupe, exploite, ou réalise.

▪ Tout changement de destination des lieux ou des activités est subordonné à l’accord préalable du bailleur.

▪ Le preneur peut librement consentir des baux et titres d’occupation de toute nature ne conférant pas de droits réels sur les installations, les constructions ou les aménagements qui font l’objet du bail. Le bail peut prévoir l’obligation pour le preneur d’en informer le bailleur.

🔹 Obligations du bailleur et donc potentiellement de la commune (article L. 321-25 du code de l’environnement)

A l’échéance du bail, le bailleur, sauf stipulations contraires, procède à la renaturation du terrain, comprenant, le cas échéant, la démolition de l’ensemble des installations, des constructions ou des aménagements, y compris ceux réalisés par le preneur, et les actions ou opérations de dépollution nécessaires.

💥 Les représentants des élus lors de l’examen du texte devant le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) ont déploré cette disposition qui met à la charge des communes les frais de démolition et de dépollution du site.

Dérogations à la loi Littoral

Dans l’objectif de lever certains obstacles liés à l’application de la loi Littoral et pour faciliter la mise en œuvre des opérations de relocalisation des installations et constructions menacées par le phénomène d’érosion, l’article 7 de l’ordonnance ouvre la possibilité aux communes incluses dans le régime spécifique au recul du trait de côte créé par la loi climat et résilience et engagées dans une démarche de projet partenarial d’aménagement (PPA) de déroger à titre subsidiaire à certaines règles, notamment à l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante, lorsque ces dispositions empêchent la mise en œuvre d’une opération de relocalisation de biens ou d’activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage, moins soumis à l’aléa du recul du trait de côte.

De nouvelles dispositions sont introduites en ce sens dans le code de l’urbanisme
 
« Section 3
« Opération de recomposition des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte
 
« Art. L. 312-8.-Lorsqu’un contrat de projet partenarial d’aménagement prévoit une opération d’aménagement ayant pour objet de mettre en œuvre la recomposition spatiale du territoire d’une ou plusieurs communes figurant sur la liste mentionnée à l’article L. 121-22-1, il peut délimiter sur le territoire qu’il couvre des secteurs de relocalisation de constructions, d’ouvrages ou d’installations menacés par l’évolution du trait de côte.
« La délimitation de ces secteurs fait l’objet d’une délibération motivée du conseil municipal de chaque commune concernée ou de l’organe délibérant de l’établissement public cocontractant mentionné à l’article L. 312-1 compétent en matière de plan local d’urbanisme, de document d’urbanisme en tenant lieu ou de carte communale.
« Le cas échéant, les secteurs de relocalisation mentionnés au premier alinéa peuvent être délimités au sein du périmètre d’une grande opération d’urbanisme, par l’acte qualifiant cette opération dans les conditions prévues à l’article L. 312-4.
 
« Art. L. 312-9.-A l’intérieur des secteurs mentionnés à l’article L. 312-8, il peut, dans la mesure nécessaire à la relocalisation de constructions, d’ouvrages ou d’installations menacés par l’évolution du trait de côte, être dérogé, sous réserve de l’accord de l’autorité administrative compétente de l’Etat et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites :
« 1° Aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 121-8, dès lors que les biens sont relocalisés en dehors des espaces proches du rivage, des espaces et milieux à préserver mentionnés à l’article L. 121-23 et d’une bande d’une largeur d’un kilomètre à compter de la limite haute du rivage ;
« 2° Aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 121-8, pour permettre d’étendre le périmètre bâti existant des secteurs déjà urbanisés identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, dès lors que les biens sont relocalisés en dehors des espaces proches du rivage et des espaces et milieux à préserver mentionnés à l’article L. 121-23, et que cette extension aboutit au plus à la création d’un village, au sens de l’article L. 121-8, compte tenu, le cas échéant, des précisions apportées par le schéma de cohérence territoriale en vertu du second alinéa de l’article L. 121-3 ;
« 3° A l’obligation fixée à l’article L. 121-22 de prévoir des coupures d’urbanisation dans les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme, sauf en ce qui concerne les espaces proches du rivage et les espaces et milieux à préserver mentionnés à l’article L. 121-23.
« Sous réserve de l’autorisation du ministre chargé de l’urbanisme et de l’avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 121-8 et les dérogations mentionnées aux 2° et 3° du présent article peuvent être appliquées, à titre exceptionnel, dans les espaces proches du rivage autres que la bande littorale mentionnée aux articles L. 121-16, L. 121-19 et L. 121-45, les zones délimitées en application de l’article L. 121-22-2 et les espaces et milieux à préserver mentionnés à l’article L. 121-23.
« L’accord mentionné au premier alinéa et l’autorisation mentionnée au précédent alinéa sont refusés lorsque ces constructions, ouvrages et installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages.
 
« Art. L. 312-10.-En vue de la réalisation d’une opération d’aménagement mentionnée à l’article L. 312-8, des secteurs déjà urbanisés peuvent être identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme dans les espaces proches du rivage. »

Dispositions particulières d’adaptation en outre-mer pour la zone littorale dite « des cinquante pas géométriques » (articles 8 à 9)

S’agissant de l’articulation du régime spécifique au recul du trait de côte avec la zone des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer, il est prévu une mesure pour la méthode d’évaluation des biens dans le cadre du processus de régularisation des occupations sans titre en Guadeloupe, en Martinique et à Mayotte (article 8) et une disposition permettant de rendre plus clair et explicite le régime juridique applicable dans les espaces non urbanisés de la zone 0-30 ans des communes d’outre-mer exposées au recul du trait de côte (article 9).

📌 Pour aller plus loin :
 Loi Climat et résilience : quels outils pour les communes littorales confrontées au risque d’érosion côtière ?, Nelly SUDRES, AJCT, n°1, 21 janvier 2022, p.16
 Emission "Entendez-vous l’éco ?" diffusée le 3 mai 2022 sur France Culture Peur sur le le littoral

Ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte

[1Photo : Conor Luddy sur Unsplash