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Mur effondré, entreprise exonérée, collectivité condamnée

Cour administrative d’appel de Douai, 18 janvier 2022 : N°20DA00045

Effondrement d’un mur d’enceinte provoqué par un glissement de terrain : la commune peut-elle être responsable des dommages causés par une entreprise de travaux publics sollicitée en urgence par le maire pour réaliser des travaux de sécurisation du site ?

Oui tranche la cour administrative d’appel de Douai en reconnaissant à l’entreprise de travaux publics la qualité de collaborateur occasionnel du service public. En effet, l’intervention de la société fait suite à une réquisition du maire sur le fondement de son pouvoir de police qu’il tient de l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales pour assurer d’urgence la sécurité des personnes et des biens du site sinistré. La commune est responsable des dommages causés aux bénéficiaires des travaux de sécurisation mal réalisés par son collaborateur occasionnel. Peu importe que l’entreprise ait commis une faute dans l’exécution de la mission, la prestation confiée par le maire à la société pour sécuriser la zone ne s’inscrivant pas dans le cadre d’une relation contractuelle. En dépit de la faute commise par l’entreprise, c’est bien à la commune d’assumer la responsabilité des dommages causés par le collaborateur du fait de l’exécution des travaux publics de sécurisation.

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Un glissement de terrain provoque l’effondrement partiel du mur d’enceinte d’une propriété privée.

Le maire ordonne la pose de barrières de sécurité et définit un périmètre de sécurité sur le site. Afin d’évacuer les gravats de l’éboulement et purger le mur effondré, il sollicite dans l’urgence une entreprise spécialisée dans les travaux publics. Au cours de son intervention l’entreprise provoque un... second éboulement du mur de soutènement et la démolition partielle du mur mitoyen avec la propriété voisine.

Les propriétaires demandent au tribunal administratif d’Amiens de condamner la commune à réparer leurs préjudices qu’ils évaluent à un peu plus de 75000 euros.

La commune est condamnée à verser 44166 euros aux propriétaires. Cependant, le tribunal condamne l’entreprise à garantir intégralement la commune. La cour administrative d’appel de Douai infirme le jugement sur ce dernier point.

Reconnaissance de la qualité de collaborateur bénévole de service public à une personne morale

La cour reconnait en effet la qualité de collaborateur bénévole du service public à l’entreprise.

🔎Traditionnellement, la qualité de collaborateur occasionnel du service public est attribuée à toute personne physique prêtant son concours actif à l’accomplissement d’une mission de service public.

Bertrand Dekeister (expert technique spécialisé en Droit de la responsabilité & réparation du préjudice corporel chez SMACL Assurances) relève néanmoins sur Twitter que pour certaines opérations, la qualité de collaborateur occasionnel a déjà été reconnue à une personne morale (par exemple à une société ayant participé à une opération de lutte contre les pollutions CAA Paris, 3 mars 2009 : n°07PA03933, ou encore à une société ayant participé à une opération de sauvetage en mer CAA Nantes, 20 juillet 2018 : n°17NT01562).

Les juges estiment que la collaboration est justifiée puisque l’intervention de la société fait suite à une réquisition du maire sur le fondement de son pouvoir de police qu’il tient de l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales pour assurer d’urgence la sécurité des personnes et des biens.

Peu importe le fait qu’aucun arrêté de réquisition n’ait été pris, « l’entreprise doit être regardée comme ayant été réquisitionnée par la mairie », elle a donc la qualité de collaborateur occasionnel du service public ». En effet en cas d’urgence la réquisition peut être verbale.

La conséquence juridique de cette qualification n’est pas neutre pour la commune : la prestation confiée par le maire à la société pour sécuriser la zone ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une relation contractuelle. Par conséquent, la commune ne pouvait pas appeler en garantie l’entreprise sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

La commune responsable des dommages causés aux bénéficiaires des travaux publics exécutés par l’entreprise en tant que collaborateur occasionnel

 Le juge admet que les travaux ordonnés d’office par la commune et exécutés par l’entreprise ont le caractère de travaux publics (travaux réalisés dans l’urgence pour assurer la sécurité des personnes et des biens).

En effet, la jurisprudence qualifie de travaux publics des travaux entrepris par des personnes privées lorsqu’elles agissent pour le compte de la collectivité. Il a été jugé de même pour des travaux réalisés par une entreprise privée, à la demande expresse de la commune, dans le cadre d’une mission de service public tendant à restaurer la sécurité publique face à une situation d’urgence causée par un accident naturel et ce même si ces travaux ont été effectués pour le compte de personnes privées (CAA Nancy, 15 novembre 2007 : n°07NC00065).

Conséquence de cette qualification : les propriétaires, bénéficiaires de ces travaux, peuvent bénéficier d’un régime de présomption de faute (« comme l’usager d’un ouvrage public qui demande réparation d’un préjudice qu’il estime imputable à cet ouvrage » précise le juge) et n’ont besoin de rapporter que la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice invoqué et ces travaux publics.

 La cour administrative d’appel estime que la commune est responsable des dommages résultant du second éboulement et qui sont la conséquence de la mauvaise exécution des travaux par le collaborateur occasionnel.

Le rapport de l’expertise révèle en effet que la société a manqué de précaution en exécutant les travaux. Les travaux n’ont pas été effectués dans les règles de l’art. En dépit de la faute professionnelle commise par l’entreprise, c’est bien à la commune d’assumer la responsabilité des dommages causés par le collaborateur du fait de l’exécution des travaux publics de sécurisation.

Rappelons que « sauf en cas de faute susceptible d’engager sa propre responsabilité, celle du collaborateur occasionnel d’un service public ne saurait être mise en cause à raison des conséquences dommageables de sa collaboration » (CAA Douai, 20 juillet 2018 : n°17NT01562).

La commune doit ainsi supporter la réparation du préjudice matériel évalué à 60% du montant estimé par l’expert (soit un peu plus de 42000 euros comprenant la coût de réfection du mur d’enceinte et la partie du mur mitoyen leur appartenant). La commune doit également verser 2000 euros aux requérants au titre des troubles dans les conditions d’existence.

Cour administrative d’appel de Douai, 18 janvier 2022 : N°20DA00045

[1Photo : Gene Gallin sur Unsplash