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Blessures d’un agent ayant poursuivi l’agresseur d’un usager : application du régime des collaborateurs occasionnels du service public

Tribunal administratif de Nantes, 28 octobre 2021 : N°1809166

La qualité de collaborateur occasionnel du service public peut-elle être reconnue à un agent qui s’est spontanément lancé à la poursuite de l’auteur d’une agression ?

Oui, en poursuivant spontanément l’auteur de l’agression qui tentait de s’enfuir, l’agent a participé au service public de la police judiciaire. Il doit être regardé, « alors même qu’il est intervenu sans avoir y avoir été invité par les services de police, comme étant intervenu en qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire ».
Le collaborateur peut rechercher, devant le juge administratif, la responsabilité de l’Etat pour obtenir réparation de ses préjudices indépendamment de la nature du service public en cause.

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Le conducteur d’un bus d’une société d’économie mixte des transports en commun est blessé à la suite de son intervention volontaire pour rattraper l’individu qui venait d’agresser physiquement une dame présente sur le quai de l’arrêt de bus.

Au cours de la lutte avec l’agresseur, l’agent subit une fracture des phalanges entraînant une incapacité temporaire de travail de 21 jours.

Le conducteur et son employeur recherchent la responsabilité sans faute de l’Etat considérant que la qualité de collaborateur occasionnel du service public peut être retenue.

Suite au rejet implicite de leur recours indemnitaire par le Ministre de l’intérieur et le Garde des Sceaux, les intéressés saisissent le tribunal administratif. Le conducteur réclame une somme d’un peu plus de 8000 euros en réparation de ses préjudices et la SEM souhaite le remboursement des sommes réglées à son agent non prises en charge par a Caisse primaire d’Assurance Maladie (soit environ 1600 euros).

Compétence du juge administratif

Pour le ministre de l’intérieur le juge administratif est incompétent pour se prononcer sur une action en responsabilité mettant en cause le fonctionnement du service public de la police judiciaire.

Tel n’est pas l’avis du juge nantais qui reconnaît à l’intéressé la qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire.

Par suite, l’action en responsabilité relève de la compétence du juge administratif : « il appartient en effet au seul juge administratif de connaître des préjudices subis par une personne s’étant portée spontanément au secours de la victime d’une agression, indépendamment de la nature du service public en cause ».

Une collaboration spontanée justifiée

Le juge relève que l’agent est intervenu sans avoir été invité par les services de police lesquels n’étaient pas présents au moment des faits. Son intervention spontanée a permis de garder l’auteur de l’agression sous contrôle jusqu’à l’arrivée des services de police. C’est en tentant de retenir l’agresseur que le conducteur a été blessé. Par suite, le juge reconnaît sa participation au service public de la police judiciaire.

👋La qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire a déjà été attribuée à une personne renversée par un autobus après s’être lancée à la poursuite de son agresseur (CAA Marseille, 21 janvier 2008 : N°05MA02071).

Le conducteur et son employeur sont donc fondés à rechercher la responsabilité sans faute de l’Etat pour obtenir réparation des préjudices liés à cette collaboration.
Le juge évalue le montant de la réparation des préjudices subis par le conducteur à un peu moins de 4000 euros et fait entièrement droit aux prétentions indemnitaires de la SEM.

🔎 Zoom la notion de collaborateur du service public


Un citoyen qui apporte une contribution effective à l’accomplissement d’une mission de service public peut se voir reconnaître la qualité de collaborateur occasionnel du service public.

Il peut s’agir d’une collaboration requise, acceptée ou spontanée comme dans l’affaire jugée par le Tribunal administratif de Nantes. Le régime d’indemnisation est très favorable : en effet les personnes victimes d’un dommage alors qu’elles participent, de manière occasionnelle, à l’exécution d’un service public peuvent rechercher la responsabilité de l’administration, en dehors de toute faute, et obtenir réparation de leurs préjudices.

Concernant la collaboration spontanée (la victime décide d’elle-même d’apporter son aide, sans qu’une autorité l’ait requise ou l’ait acceptée) l’intervention doit être justifiée par une « urgente nécessité », ce qui exclut les comportements imprudents ou injustifiés.

La justification d’une intervention spontanée par une urgente nécessité a été admise dans de nombreuses hypothèses de secours et de sauvetage : lutte contre l’incendie, sauvetage d’un accidenté de la route ou bien encore lorsqu’une personne se lance à la poursuite de malfaiteurs venant de commettre un vol (la personne est intervenue dans un délai très court pour tenter de maîtriser les malfaiteurs jusqu’à l’arrivée de la police CAA Lyon, 22 septembre 1993 : N°92LY01040).

Dans d’autres situations, la collaboration au service public n’a pas été retenue car la participation ne répondait pas au critère de l’urgente nécessité. Il en a été jugé ainsi s’agissant de la participation d’une cavalière à la poursuite d’un taureau échappé hors du parcours protégé d’une bandido (CAA Marseille, 6 juin 2017 : n°15MA03713).

Pour d’autres illustrations jurisprudentielles

Tribunal administratif de Nantes, 28 octobre 2021 : N°1809166

[1Photo : Photo by Sebastien Le Derout sur Unsplash