Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative
Glen Carrie sur Unsplash

Droit d’expression des élus de l’opposition sur le mur Facebook de la commune et lors des voeux du maire

Tribunal administratif de Lyon, 16 septembre 2021 : N°2100763

Glen Carrie sur Unsplash

Un espace d’expression doit-il être réservé aux élus de l’opposition sur la page publique Facebook de la commune ?

Oui si la page Facebook de la commune rend compte de réalisations et de projets portés par la municipalité. Un espace d’expression doit alors être réservé aux élus n’appartenant pas à la majorité municipale. La commune ne peut pas opposer aux conseillers de l’opposition la possibilité pour eux d’utiliser Facebook comme tout usager privé en laissant des commentaires sur les publications. Par contre le tribunal déboute les opposants qui demandaient aussi à pouvoir s’exprimer oralement lors de la cérémonie des vœux. En effet les dispositions de l’article L.2121-27-1 du CGCT ne s’appliquent pas aux réunions publiques et vœux du maire prononcés lors d’une cérémonie ou diffusés par voie audiovisuelle car ils n’ont qu’un caractère ponctuel.

 

 

Deux opposants exercent un recours pour excès de pouvoir contre une délibération adoptant le règlement intérieur du conseil municipal. Ils estiment que certaines dispositions du règlement intérieur portent atteinte au droit d’expression des conseillers municipaux tel que garanti par l’article L.2121-27-1 du code général des collectivités territoriales.

 

Les dispositions litigieuses concernent notamment la page Facebook de la commune et son site internet. La page Facebook ne contient en efft pas d’espace d’expression réservé aux conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale. Quant au site internet, il ne prévoit pas la possibilité pour les élus de l’opposition de publier un article différent de celui publié dans le magazine de la commune.

 

Le tribunal administratif fait partiellement droit à la demande.

 

Droit d’expression des élus

Les communes de plus de 1000 habitants qui diffusent des informations générales sur les réalisations et sur la gestion du conseil municipal, sont tenues de réserver un espace d’expression réservé à l’opposition municipale.

Ce droit d’expression des élus de l’opposition est consacré à l’article L.2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (qui avait été modifié par la loi Notre n°2015-991 du 7 août 2015) :

 
« Dans les communes de 1 000 habitants et plus, lorsque des informations générales sur les réalisations et sur la gestion du conseil municipal sont diffusées par la commune, un espace est réservé à l’expression des conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale ».

L’obligation de réserver un espace d’expression s’applique aussi aux départements (article L.3121-24-1 du CGCT), régions (article L.4132-23-1 du CGCT), aux établissements publics de coopération intercommunale (par renvoi opéré par l’article L.5211-1).

 

Le règlement intérieur du conseil municipal doit définir l’espace d’expression consacré aux élus minoritaires.

 

Cette obligation s’applique aussi aux nouveaux supports d’information et de communication.

 

Espace d’expression réservé aux élus minoritaires sur la page Facebook d’une commune

 

La disposition litigieuse du règlement intérieur était ainsi rédigée : « La page Facebook de la commune ayant un statut « public » permet à chacun de pouvoir s’exprimer librement, et permet l’expression de tous les conseillers municipaux ».

 

Est considérée comme une diffusion d’un bulletin d’information générale « toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, quelle que soit la forme qu’elle revêt ».

 

Le juge rappelle que la page Facebook d’une commune, dès lors qu’elle contient des informations sur les réalisations du conseil municipal, doit prévoir un espace d’expression réservé aux conseillers de l’opposition.

 

Le juge vérifie la nature des informations diffusées.

 

Au cas présent, le juge relève que la commune diffuse sur sa page Facebook des évènements tels que la construction d’une salle multi-sports, la mise en place d’une chaussée pour les circulations douces, l’utilisation des moutons pour l’entretien des espaces verts de la commune.

 

Ce média est donc un outil de diffusion des réalisations du conseil municipal, dès lors l’expression des conseillers municipaux doit être permise sur ce réseau social.

 

Et, la commune ne peut pas opposer aux conseillers de l’opposition la possibilité pour eux d’utiliser Facebook comme tout usager privé. Le statut « public » de la page Facebook ne peut pas permettre à la commune de se soustraire à cette obligation.

 

Cette disposition du règlement est donc jugée contraire à l’article L.2121-27-1 du code général des collectivités territoriales.

 
Le juge administratif avait déjà jugé que la commune est tenue de réserver un espace d’expression aux élus de l’opposition sur sa page Facebook (CAA Lyon, 26 juin 2018 : n°16LY04102 ; TA Montreuil, 2 juin 2015 : n°1407830).
 

En conséquence, le juge annule la délibération litigieuse approuvant l’article du règlement intérieur qui ne prévoit pas d’espace d’expression des élus n’appartenant pas à la majorité sur la page Facebook de la ville. Et le juge d’enjoindre à la commune de réexamine son règlement intérieur.

 

Et le compte Twitter d’une commune ?

Les caractéristiques techniques d’un compte Twitter ne sont pas identiques à celles d’une page Facebook. Ainsi il a été jugé qu’à supposer même que le compte Twitter de la commune puisse être regardé comme un bulletin d’information générale, font obstacle à ce qu’y soit réservé aux conseillers d’opposition un espace propre d’expression : « eu égard au nombre limité de caractères et aux modalités de son fonctionnement, le compte "Twitter" de la commune, qui sert principalement à relayer des informations disponibles sur d’autres médias ou à annoncer des événements, n’entre pas dans le champ des dispositions précitées de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales » (CAA Lyon, 26 juin 2018 : n°16LY04102 ; TA Cergy-Pontoise, 13 décembre 2018 : n° 1611384).

Le site internet de la commune est également concerné

Le site internet d’une commune entre dans le champ d’application des dispositions de l’article L.2121-27-1 du CGCT dès lors qu’il comporte des informations générales sur les réalisations, les actions du conseil municipal.

 

Ce support de communication doit donc réserver un espace d’expression aux élus n’appartenant pas à la majorité :

 
la circonstance que la commune publie un magazine d’information où les élus de l’opposition peuvent exercer leur droit d’expression ne l’exonère pas de l’obligation de réserver un espace à cet effet dans les autres bulletins d’information générale au nombre desquels figure son site Internet » (CAA Paris, 23 janvier 2018 : n°16PA03582)
 

Mais au cas présent, le juge relève que le site internet, à la date de l’adoption du règlement intérieur, ne contient pas des informations d’une nature différente de celles publiées dans le magazine susceptibles d’appeler de la part de l’opposition un commentaire de nature différente de celui déjà publié dans le support papier. De plus, le site internet contient les procès-verbaux des interventions des élus de l’opposition lors des conseils municipaux.

Dans les circonstances particulières du litige, le juge considère que le droit d’expression des élus est préservé.

 
Si le site internet se borne à informer les habitants de manière objective, sur leur cadre de vie et les services offerts aux citoyens et aux entreprises, le site n’est pas qualifié de bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal au sens des dispositions de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales. Le maire n’est alors pas tenu de réserver un espace à l’expression des élus a jugé la Cour administrative d’appel de Lyon le 21 juillet 2021 (n°18LY01627).
Mais, dès lors que le site internet de la commune contient des informations relatives aux réalisations et à la gestion du conseil municipal, la commune ne peut pas se borner à prévoir la simple reproduction sur son site internet (et sa page facebook) des articles publiés par les conseillers municipaux d’opposition dans le magazine municipal (CAA Marseille, 12 juin 2019 : n°18MA04529).

Newsletter mensuelle, réunions publiques et vœux du maire

Le juge lyonnais précise qu’une newsletter mensuelle diffusée par courriel qui contient seulement des informations pratiques et qui se borne à renvoyer vers des articles publiés sur le site internet de la commune n’entre pas dans le champ d’application de l’article L.2121-27-1 du code général des collectivités territoriales.

 

Enfin, contrairement à ce que soutiennent les opposants, les dispositions de l’article L.2121-27-1 du CGCT ne s’appliquent pas aux réunions publiques et vœux du maire prononcés lors d’une cérémonie ou diffusés par voie audiovisuelle car ils n’ont qu’un caractère ponctuel. 

 
 Le maire n’a pas la compétence pour contrôler le contenu et la teneur du texte rédigé par l’opposition en vue d’y être publié (CE, 7 mai 2012, n° 353536). Il en va autrement « lorsqu’il ressort à l’évidence de son contenu qu’un tel article est de nature à engager la responsabilité pénale du directeur de la publication, notamment s’il présente un caractère manifestement outrageant, diffamatoire ou injurieux de nature à engager la responsabilité du maire, directeur de publication du bulletin municipal, sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1881 » (CE, 20 mai 2016 : n°387144). Le maire peut refuser de publier un texte si le caractère outrageant, diffamatoire ou injurieux au regard des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 est manifeste (CE, 27 juin 2018 : n°406081).

 

*Nous remercions le cabinet Itineraires-avocats du signalement de ce jugement.