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Nuisances sonores générées par une discothèque : le maire ne peut rester sourd aux demandes des riverains

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 21 octobre 2021 : n°19BX03088

Nuisances sonores générées par une discothèque : le maire est-il tenu d’intervenir pour mettre fin aux nuisances alors que le préfet dispose d’un pouvoir de police spéciale ?

Oui répond la cour administrative d’appel de Bordeaux : au titre de son pouvoir de police générale le maire doit faire cesser les atteintes à la tranquillité publique en ce qui concerne les bruits de voisinage (article L.2212-2 2° du code général des collectivités territoriales). Lorsqu’il s’abstient d’intervenir ou lorsque les mesures prises ne sont pas suffisantes, le maire s’expose à ce que soit engagée la responsabilité de la commune, comme dans l’affaire ici exposée.

Cependant, le préfet est également compétent au titre de ses pouvoirs de police spéciale. En l’espèce, la cour administrative relève la carence du représentant de l’Etat dans l’usage de ses pouvoirs de police spéciale et condamne l’Etat à garantir la commune à hauteur de 50 % du préjudice subi par les requérants. Au passage le montant de l’indemnité est fortement revue à la baisse puisque les juges évaluent le préjudice à 32 000 euros au lieu des 500 000 euros alloués en première instance.
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Le propriétaire d’un ensemble immobilier (cet ensemble comprend 9 appartements) dont le rez-de-chaussée est occupé par une discothèque met en cause la commune d’Angoulème pour son inaction tendant à mettre fin aux nuisances sonores induites par l’activité de la discothèque.

Depuis 2011, date de l’installation de la discothèque, plusieurs locataires ont en effet demandé la résiliation de leur bail en raison de ces nuisances sonores, de vibrations dans les murs.

Le maire a été alerté de nombreuses fois des nuisances sonores générées par la discothèque et il avait également reçu une plainte des locataires de l’immeuble.

En première instance le tribunal administratif condamne la ville à verser au requérant plus de 500 000 euros !

Saisie en appel par la commune, la cour administrative de Bordeaux confirme la responsabilité de la ville. Toutefois, sur le volet indemnitaire, le juge d’appel réduit d’une manière très conséquente l’indemnité mise à la charge de la commune. De plus, l’Etat est condamné à garantir la commune à hauteur de 50%.

Bruits de voisinage : les pouvoirs du maire :

Le Code général des collectivités territoriales confie au maire le soin d’intervenir pour prévenir et réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les bruits, les troubles de voisinage (Article L.2212-2 2°). En outre, le maire peut également intervenir au titre des pouvoirs de police spéciale définis aux articles L.1311-1 et L.1311-2 du code de la santé publique.

Les nuisances générées par une discothèque constituent des bruits de voisinage et le maire, en tant qu’autorité de police titulaire des pouvoirs de police générale est compétent pour les prévenir et les faire cesser.

Le maire est également compétent s’agissant des bruits de voisinage même dans les communes où la police est étatisée. L’article L.2214-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) transfère les pouvoirs de police de la tranquillité publique au seul préfet dans les communes où la police est étatisée, "sauf en ce qui concerne les bruits de voisinage".

💥 Le maire, comme les adjoints peuvent, en leur qualité d’officier de police judiciaire dresser procès-verbal dès lors qu’il y a un bruit portant atteinte à la tranquillité publique. Pas toujours évident en pratique... Mais aucune mesure acoustique n’est nécessaire pour le constat des bruits de comportements (aboiement de chiens, appareils bruyants, musique provenant d’un logement ou d’une salle des fêtes…). En revanche, les bruits de voisinage liés à une activité professionnelle ou à une activité culturelle, sportive ou de loisirs organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation doivent faire l’objet de mesures acoustiques d’évaluation de l’émergence.

Dans le domaine de la répression, le maire (ou un adjoint, ou la police municipale) peut constater les infractions :
 pour non respect d’un arrêté municipal de mise en demeure ou réglementant le bruit (contravention de première classe passible d’une amende de 38 euros) ;
 pour infraction à la police spéciale issue des articles R.1336-6 et suivants du code de la santé publique, contravention de 3e classe passible d’une amende de 450 €.
Le procès verbal doit ensuite être transmis au Procureur de la République.

Le maire n’est pas le seul compétent pour mettre un terme aux nuisances sonores de nature à troubler le repos des habitants.

En effet le préfet a également un rôle dans la lutte contre le bruit. Il peut intervenir au titre de son pouvoir de police spéciale sur le fondement des articles R.571-25 et suivants du code de l’environnement. Ces dispositions habilitent le préfet à contrôler le respect des prescriptions en matière de diffusion de de musique amplifiée dans les établissements recevant du public. A l’instar du maire, le préfet a le pouvoir de prendre par arrêtés des mesures de lutte contre le bruit de voisinage (pouvoir de police spéciale confiée par l’article L.1311-2 du code de la santé publique).

💥La règlementation relative aux bruits de voisinage est précisée aux articles R.1336-4 et suivants du code de la santé publique (CSP).

Aux termes de l’article R.1336-5 du code de la santé publique :

« Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ».



Lorsque le bruit a pour origine une activité professionnelle ou une activité sportive, culturelle ou de loisir l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui est supérieure à des valeurs limites (R.1336-6 du CSP). Ces valeurs sont fixées à l’article R.1336-7 du code de la santé publique.

« L’émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l’absence du bruit particulier en cause ».

Carence du maire dans l’usage de ses pouvoirs de police...

En l’espèce , les études d’impact sonores et les mesures acoustiques révèlent que le bruit issu de la discothèque dépasse le seuil d’émergence des bruits de voisinage.
Ces nuisances sonores n’ont été réduites ni par les travaux d’isolation effectués dans l’établissement, travaux qui ne correspondent pas à la réglementation, ni par l’installation de limiteurs acoustiques : « les niveaux de diffusion ont dû être réduits à chaque contrôle dans le domaine des basses fréquences afin de permettre le respect des valeurs règlementaires ».

Le maire n’était pas resté inactif : il avait adressé des courriers au propriétaire et avait organisé des réunions avec les services de l’Etat et des rencontres avec le gérant de la discothèque.

Mais il ne pouvait en rester là estiment les juges : l’absence de mesures à caractère contraignant de nature à faire cesser les nuisances sonores caractérise une carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune.

Et le juge ne retient aucune cause exonératoire. En effet le propriétaire bailleur a effectué plusieurs actions pour faire cesser les nuisances notamment en saisissant le tribunal pour tenter de mettre fin au bail de sorte qu’aucune faute, de nature à exonérer la commune, ne peut lui être imputée.

💥 Le tribunal administratif de Grenoble (3 juin 2013, N°1002294) a également retenu la responsabilité d’une commune (station de ski) pour des nuisances sonores provoquées par des établissements de nuit. Les riverains reprochaient au maire de n’avoir pris aucun arrêté afin de prévenir ces nuisances sonores notamment en interdisant la diffusion de musique sur la place la nuit ou en prenant des mesures pour limiter le vacarme nocturne des clients. Au contraire, il avait accordé des dérogations aux heures de fermeture jusqu’à 5 heures du matin pour certaines discothèques. Il avait également accepté que certains débits de boissons installent une terrasse, sans déterminer de modalités d’occupation du domaine public pour limiter les nuisances sonores des riverains. Des conventions de coordination de la police municipale et des forces de sécurité de l’Etat avaient bien été signées, mais celles-ci se sont révélées insuffisantes pour supprimer les nuisances alléguées. Il était également reproché au maire de n’avoir pas suffisamment sensibilisé les exploitants des établissements concernés.

... Mais une indemnité largement réduite

Le juge ramène l’indemnité que la commune est condamnée à verser à un peu plus de 32 000 euros, bien loin des 500 000 euros fixés par le tribunal administratif !

Sont indemnisés :
 le préjudice lié à la perte des loyers des appartements situés au premier et deuxième étage. Mais les pertes de loyers au-delà de l’année 2015 ne sont pas indemnisées, le juge estimant que le propriétaire aurait pu refuser le renouvellement du bail commercial à son terme soit neuf années à compter du 1er janvier 2006 sous réserve d’une indemnité d’éviction. Dans ce cas aucun lien de causalité ne peut être établi entre la carence du maire et la poursuite de l’activité de la discothèque.

 les frais d’huissier (les constats d’huissier établis à la demande du propriétaire ont permis de mettre en exergue les nuisances sonores subies par les locataires et ont été utiles à la solution du litige)

 les troubles dans les conditions d’existence : le juge tient compte des nombreuses démarches et procédures effectuées par le requérant (préjudice évalué à 5000 euros)

Condamnation de l’Etat à garantir partiellement la commune

L’Etat est condamné à garantir la commune à hauteur de 50 %. La cour administrative d’appel sanctionne la carence du préfet dans l’usage des pouvoirs de police spéciale. Le représentant de l’Etat ne pouvait ignorer que la discothèque méconnaissait la réglementation relative au bruit, le maire le tenant informé de la situation.

💥 L’ article 45 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique confie au maire, par délégation du représentant de l’État dans le département, un pouvoir de fermeture administrative d’établissements diffusant de la musique dont l’activité cause un trouble à l’ordre, la sécurité ou la tranquillité publics (Article L.333-1 du code de la sécurité intérieure).

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 21 octobre 2021 : n°19BX03088

[1Photo : Marcela Laskoski sur Unsplash