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Une information insuffisante du conseil municipal peut entraîner l’annulation de la délibération

Conseil d’Etat, 13 septembre 2021 : N°439653

Une information insuffisante des conseillers municipaux peut-elle entacher d’irrégularité une délibération acceptant la cession de parcelles communales ?

Potentiellement oui, si la note de synthèse explicative (qui doit être transmise aux conseillers municipaux dans les communes de plus de 3500 habitants) ne permet pas aux élus « d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions ».
Le juge peut sanctionner le manque d’information des élus par l’annulation de la délibération. En l’espèce, les informations contenues dans la note de synthèse n’ont pas permis au conseil municipal de vérifier si la commune ne cédait pas son bien immobilier à un prix inférieur à sa valeur. Un conseiller municipal obtient l’annulation de la délibération devant les juridictions administratives.

 [1]

Une commune met à la disposition d’une société un ensemble de terrains en vue de la construction et de l’exploitation d’un village de vacances. Le bail emphytéotique conclu à cet effet indique qu’à l’expiration du bail la commune deviendrait acquéreur de la propriété des constructions édifiées par l’emphytéote sans avoir à lui verser d’indemnités.

Dans le cadre d’un projet de rénovation, la société souhaite acquérir ces terrains. Avant l’expiration du bail et par délibération du conseil municipal, la vente des terrains est acceptée pour un prix de 1 000 000 euros. La valeur des terrains nus avait été estimée par le service des domaines à 994 000 euros. En cédant ses terrains avant l’expiration du bail, la commune a donc renoncé à devenir propriétaire des constructions édifiées par l’emphytéote.

Un conseiller municipal attaque la délibération et demande au juge d’annuler cet acte au motif notamment que la note de synthèse transmise ne permettait pas aux élus de mesurer toutes les implications de la délibération.

Saisi par un pourvoi en cassation de la commune et de la société contre l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de renvoi ayant annulé la délibération, le Conseil d’Etat juge la délibération irrégulière et confirme l’annulation de l’acte.

Interdiction de vendre un bien immobilier à un prix inférieur à sa valeur… sauf motif d’intérêt général et contreparties suffisantes

Par cet arrêt le Conseil d’Etat rappelle l’interdiction pour une personne publique de céder en principe à des personnes privées un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur [2].

Cependant, une cession à un prix inférieur est possible si elle est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.

« La cession par une commune d’un bien immobilier à des personnes privées pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes ».

Au cas présent, le juge d’appel a considéré que la commune a cédé ses terrains à un prix inférieur à sa valeur réelle « sans que cet écart de prix ne soit justifié par un motif d’intérêt général ». Le prix de cession retenu pour les terrains était proche de « l’estimation retenue par le service des domaines pour les seuls terrains sans les constructions existantes ».

Le Conseil d’Etat retient l’erreur de droit commise par la cour administrative. Cette dernière n’a en effet pas recherché si la différence entre le prix de cession et le prix estimé par le service des domaines pouvait être considérée comme une contrepartie suffisante à la valeur de la renonciation de la reprise des constructions.

« En statuant ainsi, alors que l’estimation du service des domaines retenait pour les terrains nus une valeur de 994 000 euros, inférieure au prix de 1 000 000 euros approuvé par le conseil municipal, sans rechercher si ce dernier pouvait être regardé, eu égard aux termes de la délibération attaquée et aux coûts de rénovation et de remise aux normes des constructions inhérents à la poursuite de leur exploitation, comme ayant implicitement entendu valoriser à hauteur de 6 000 euros la renonciation de la commune à en devenir propriétaire, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Le conseil municipal mal informé

Jugeant l’affaire au fond le Conseil d’Etat annule la délibération car le conseil municipal n’a pas disposé de toutes les informations pour apprécier la valeur de la renonciation aux constructions réalisées par la société pour l’exploitation de son village de vacances.

Le code général des collectivités territoriales reconnaît en effet aux membres du conseil municipal le droit d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération (Article L.2121-13).

Ce droit à information se caractérise dans les communes de 3500 habitants et plus par l’envoi d’une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération, avant la tenue du conseil municipal. Ainsi l’article L2121-12 du code général des collectivités territoriales dispose :

« Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal  »

Pour le Conseil d’Etat, cette obligation doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires et « doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions  ».

En revanche, cette obligation d’information n’impose pas de joindre à la convocation une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises [3].

Sanction du manque d’information

L’envoi de cette note est une formalité substantielle.
Le défaut d’envoi de la note explicative de synthèse ou son insuffisance peut entacher d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat [4]. Le juge vérifie si l’insuffisance de la note de synthèse a exercé "une influence sur le sens de la décision prise ou si elle a privé les intéressés d’une garantie" [5]

Or, en l’espèce, la note de synthèse envoyée aux élus de la commune ne comportait aucun élément permettant d’apprécier la valeur de la renonciation au droit de la commune de devenir propriétaire du bâti à l’expiration du bail emphytéotique. La note indiquait seulement la durée du bail et mentionnait que le bâti devait revenir en pleine propriété à la commune à l’expiration du bail.

Les informations transmises dans la note de synthèse étaient donc insuffisantes puisqu’elles n’ont pas permis aux conseillers municipaux d’apprécier si la différence de prix envisagé et l’évaluation du service des domaines pouvait être regardée comme représentative de l’indemnité due à la commune pour sa renonciation au droit d’accession. Par conséquent, les élus n’ont pas pu vérifier si la commune n’avait pas cédé un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur.

L’insuffisance de l’information transmise aux élus entache la délibération d’une irrégularité. En conséquence, la délibération par laquelle le conseil municipal a approuvé la vente de parcelles est annulée.

Conseil d’Etat, 13 septembre 2021 : N°439653

[1Photo AbsolutVision sur Unsplash

[2CE, 3 novembre 1997 : n°169473

[3CE 14 novembre 2012 : n°342327

[4CE 14 novembre 2012 : n°342327

[5CE, 17 juillet 2013 : n°350380