Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Commentaires injurieux sur les réseaux sociaux : penser à la procédure en référé devant le tribunal judiciaire

Tribunal judiciaire de Toulouse, ordonnance de référé, 10 mars 2021

Un maire, injurié sur internet, peut-il saisir le juge des référés du tribunal judiciaire pour obtenir la suppression du commentaire litigieux ?

Oui répond le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse en s’appuyant sur les dispositions de l’article 835 du code de procédure civile (dans sa rédaction issue du décret n°2020-1452 du 27 novembre 2020) selon lesquelles le président du tribunal judiciaire peut toujours même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. En l’espèce un maire avait sur un compte Facebook fait l’objet de commentaires particulièrement outrageants par un administré mécontent des mesures sanitaires prises par la commune. Après avoir fait dresser des constats d’huissier (lesquels doivent répondre à des exigences techniques précises), le maire avait saisi le juge des référés du tribunal judiciaire qui ordonne la suppression sous astreinte du commentaire litigieux et condamne l’auteur à verser au maire, à titre de provision, 300 euros de dommages-intérêts.

 [1]

Un maire (commune de plus de 10 000 habitants), anticipant sur les préconisations nationales, décide d’imposer le port du masque sur le territoire de sa commune durant l’été 2020.

Le communiqué de la mairie est relayé sur la page Facebook d’un groupe d’entraide de particuliers. Un administré réagit violemment le 31 août 2020 en postant un commentaire injurieux dans lequel il qualifie le maire de "petit toutou" d’une figure politique locale avant d’enchaîner avec des insanités à caractère sexuel outrageant envers cette personnalité et le président de la République.

Le maire fait dresser deux constats d’huissier en septembre puis, saisit, le 13 novembre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse pour faire supprimer le commentaire litigieux.

Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Toulouse, rend son ordonnance le... 10 mars 2021.

Le juge confirme que le maire a bien un intérêt à agir pour faire supprimer les propos litigieux, dès lors que commentaire incriminé le visait spécifiquement en qualité de maire de cette commune.

Se prononçant sur le trouble illicite, le juge des référés souligne qu’il résulte des dispositions de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut toujours même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Article 835 du code de procédure civile
« Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
 
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Dans son ordonnance, le juge des référés souligne que :

 L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dispose dans son alinéa 2 que tout expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ;

 Le commentaire litigieux met en cause le maire en le subordonnant à un autre homme politique local à qui il est attribué des pratiques sexuelles avec le Président de la République. L’expression « le ptit toutou » est à ce titre utilisée de façon méprisante pour établir une soumission entre le maire et cette personnalité le comportement politique de l’un étant aligné sur les décisions du second. Par ailleurs le fait d’attribuer des pratiques sexuelles entre cet homme politique et le Président de la République est outrageant pour l’un et l’autre ;

 Si ce n’est pas directement le maire à qui sont attribuées les pratiques sexuelles en question, il reste que la construction de la phrase associe le maire à celles-ci par l’expression de son inféodation à l’égard de l’homme politique visé.

Le juge des référés conclut que le commentaire posté constitue donc une expression outrageante pour le maire remettant en cause son indépendance politique par l’utilisation de termes méprisants et sexuels et constitue donc une injure publique.

Le trouble manifestement illicite est donc caractérisé et justifie qu’il soit fait droit à la demande principale de suppression du commentaire.

Contrairement à ce que soutient l’administré, le commentaire litigieux n’a pas été supprimé comme l’attestent les éléments produits aux débats.

🚨Attention une simple capture d’écran ne suffit pas pour engager valablement une procédure : il faut un constat d’huissier qui doit en outre répondre à des règles techniques précises

Une simple capture d’écran ne suffit pas pour pouvoir engager une procédure contre l’auteur de propos injurieux ou diffamatoires sur internet. Il faut un constat d’huissier qui doit en outre répondre à des règles techniques garantissant sa fiabilité et sa force probatoire, afin d’éviter que le matériel utilisé ne vienne interférer avec le contenu du site internet sur lequel il est effectué. Ainsi le constat doit préciser :
 le matériel utilisé ;
 la mention de l’adresse IP de connexion ;
 la désactivation de la connexion par serveur Proxy ;
 et la suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur.

Ainsi la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 8 janvier 2019, N° 18-80748) a confirmé que le constat d’huissier dressé à l’initiative d’un président de région s’estimant diffamé pour des propos tenus à l’antenne d’une radio, était sans force probante. En effet le constat produit aux débats mentionnait seulement que l’huissier s’était connecté au site internet par l’intermédiaire d’un moteur de recherche, y avait trouvé l’enregistrement litigieux, l’avait téléchargé, enregistré sur un support distinct, et en avait retranscrit les termes. L’authenticité des propos enregistrés par l’huissier ne pouvait ainsi être tenue pour certaine.

Le juge des référés ordonne donc la suppression du commentaire sous astreinte.

S’agissant des dommages et intérêts réclamés le préjudice causé au maire « est établi par le caractère injurieux des propos qui porte atteinte à sa probité et à sa dignité et ce d’autant plus qu’il est une personne exerçant un mandat public. » Et le juge d’ajouter :

« Si la critique de l’action politique relève du droit d’expression reconnu par la constitution il n’en demeure pas moins que ce droit d’expression ne permet pas de légitimer les propos injurieux tenus. »

Le juge atténue cependant la responsabilité de l’auteur en soulignant que ses « troubles anxieux (...) peuvent expliquer en partie l’outrance de ses propos au regard des contraintes supplémentaires imposées aux habitants (...) alors même que celles ci, s’agissant des mesures sanitaires à mettre en place, étaient déjà fortes et pesaient lourdement sur la vie quotidienne de tous. »

Le juge des référés condamne l’auteur des injures à verser, à titre de provision (avant jugement au fond), 300 euros de dommages-intérêts à l’élu.

🚨 Les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 6 octobre 2011, n°10-18142) à un élu, victime d’injures sur un blog, qui recherchait la responsabilité de l’auteur sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (nouvel article 1240).

Tribunal judiciaire de Toulouse, ordonnance de référé, 10 mars 2021 (ordonnance publiée sur le site legalis.net)

[1Photo : Barefoot Communications sur Unsplash