Le maire peut-il prononcer une astreinte journalière pour contraindre un particulier à évacuer des objets hétéroclites et usagés entreposés sur son terrain même s’ils ne sont pas visibles depuis la voie publique ?
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Saisi par les voisins d’un propriétaire négligent, le maire d’une commune [2] demande à l’intéressé (par ailleurs agent municipal) d’évacuer les objets hétéroclites sur sa propriété dans un délai de 15 jours. Sans réaction de sa part, le maire prend un nouvel arrêté le mettant en demeure de les évacuer dans un délai de 45 jours.
Sans plus de succès. Le maire fait intervenir une entreprise pour une exécution d’office mais le propriétaire interdit l’accès à son terrain.
Après en avoir informé l’intéressé, le maire prend alors un arrêté fixant une astreinte journalière de 50 euros par jour pour obtenir l’évacuation des déchets, dans la limite d’un montant correspondant au coût évalué de l’évacuation des déchets (soit 8400 euros).
Saisi par l’administré d’une requête en annulation de l’arrêté du maire fixant cette astreinte, le tribunal administratif de Caen rejette cette demande ce que confirme la cour administrative d’appel de Nantes.
Sur le fondement de l’article L.541-3 du code de l’environnement, lorsqu’il est constaté un abandon, un dépôt illégal de déchets, le maire (ou le président de l’EPCI si transfert des pouvoirs de police ou le préfet s’agissant des installations classées) est en effet compétent pour assurer l’élimination de ces déchets présentant des dangers d’atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement.
Le pouvoir de police relatif aux déchets est transféré au président de l’EPCI : lorsqu’un groupement de collectivités est compétent en matière de collecte des déchets ménagers, les maires des communes membres de celui-ci ou membres d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre membre du groupement de collectivités transfèrent au président de ce groupement les prérogatives qu’ils détiennent. Il s’agit d’un transfert automatique sauf opposition du maire dans les six mois qui suivent l’élection du président de l’EPCI. (Article L.5211-9-2 B du code général des collectivités territoriales). Mais s’agissant des pouvoirs de sanctions administratives tirés de l’article L541-3 du code de l’environnement, il existe une subtilité : le transfert est effectué dans les conditions prévues au IV de l’article L. 5211-9-2 du CGCT, par arrêté préfectoral sur proposition d’un ou de plusieurs maires intéressées, après accord de tous les maires des communes membres et du président de l’EPCI. Le recouvrement des amendes administratives et de l’astreinte journalière prévues à l’article L. 541-3 du Code de l’environnement au bénéfice des groupements de collectivités est effectif, lorsque le pouvoir de police administrative du maire en matière de déchets a été transféré au président d’un tel groupement.
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Il s’agit d’un pouvoir de police spéciale propre au maire, il n’est donc pas nécessaire que le conseil municipal intervienne préalablement par délibération souligne la cour administrative d’appel. La circonstance que le propriétaire des parcelles soit un employé municipal est sans incidence sur cette compétence du maire.
La procédure de l’article L.541-3 du code de l’environnement
La procédure à respecter est décrite à l’article L.541-3 du code de l’environnement :
Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés en infraction le maire avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu’il encourt |
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L’intéressé doit être informé des faits qui lui sont reprochés, des sanctions qu’il encourt ainsi que de la possibilité de présenter ses observations écrites ou orales dans un délai de 10 jours, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix. |
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Après que l’intéressé ait présenté ses observations ou, à défaut, à l’issue du délai de 10 jours, le maire peut lui ordonner le paiement d’une amende au plus égale à 15 000 € (cette amende administrative introduite par la loi du 10 février 2020 peut être prononcée avant mise en demeure) et le mettre en demeure d’effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. |
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Si l’intéressé ne s’exécute toujours pas, le maire peut prendre les mesures administratives suivantes (qui peuvent se cumuler) : – consignation entre les mains d’un comptable public d’une somme correspondant au montant des mesures prescrites ; – travaux d’office, les sommes consignées peuvent être utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ; – mesure de suspension de l’activité ; – astreinte journalière fixée à 1500 euros maximum jusqu’à ce que le propriétaire négligent prennent les mesures prescrites par la mise en demeure – amende administrative pouvant aller jusqu’à... 150 000 euros* !!! |
* Montant qui en pratique ne peut être prononcé que contre une personne morale. En effet l’amende administrative ne peut dépasser celui de l’amende pénale encourue pour les mêmes faits. Or l’amende encourue par une personne physique fixée par l’article L. 541-46 du Code de l’environnement est de 75 000 euros (le quintuple pour une personne morale).
Dans la pratique, l’amende administrative prendra la forme d’un arrêté municipal motivé qui, comme en matière de consignation, sera suivi d’un titre de perception. Les "considérants", de la même manière, reprendront les éléments de fait qui ont conduit à la détermination de la somme.
L’amende sera perçue par le comptable public au travers de l’émission par le maire d’un titre de paiement (compte budgétaire 250504 "Sanctions administratives prononcées par les ordonnateurs secondaires" associé au compte PCE 7720000000). Elle sera recouvrée au bénéfice de la commune (L541-3 du code de l’environnement) ou du groupement de collectivités compétent en cas de transfert des pouvoirs de police. Parallèlement à cette procédure des sanctions pénales peuvent être engagées [de fait certaines commune déposent systématiquement plainte en cas de d’infraction à la législation sur les déchets tout particulièrement en cas de dépôts sauvages]. A cet égard tout dépôt justifiant la mise en œuvre de l’article L. 541-3 du code l’environnement doit parallèlement faire l’objet d’un PV de constatation de la commission du délit prévu par l’article L. 541-46 du Code de l’environnement. En effet, les poursuites pénales sont indépendantes des poursuites administratives. Si le dépôt est constitué sur une propriété privée, l’accord du propriétaire du terrain est nécessaire pour y accéder et sa présence requise.
La question centrale de la qualification de déchets
La définition des déchets est donnée par l’article L.541-1-1 du code de l’environnement. On entend par déchet « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».
En l’espèce le propriétaire négligent objectait que les objets situés sur sa propriété ne pouvait être assimilés à des déchets car ils avaient de la valeur et n’étaient pas destinés à l’abandon. Peu importe répond le juge :
En effet :
En l’espèce, la cour administrative d’appel de Nantes s’appuie sur les photographies pour relever que, mis à part quelques objets spécifiques, le terrain est jonché de très nombreux objets hétéroclites et usagés dont il n’est pas établi qu’ils puissent faire l’objet, sans transformation préalable, d’une utilisation ultérieure.
Les objets présents sur la parcelle sont bien des déchets et ils n’ont pas besoin d’être visibles depuis la voie publique précise le juge. La visibilité des objets depuis la voie publique n’est en effet pas un critère de mise en œuvre du pouvoir de police spéciale. Peu importe donc que les objets, les déchets abandonnés soient visibles ou non depuis le domaine public.
Tous les autres arguments soulevés par le contrevenant sont rejetés. Le juge réfute notamment l’argument du motif esthétique qui aurait, selon l’administré, guidé la décision du maire. Dès lors que les faits constatés, photographies à l’appui, montrent que l’accumulation de déchets hétéroclites et plus ou moins dégradés sont « susceptibles de porter atteinte à la salubrité publique », il ne peut être soutenu que le maire a commis un détournement de pouvoir en fondant sa décision sur des motifs purement esthétiques.
Le guide relatif à la lutte contre les abandons et dépôts illégaux de déchets (décembre 2020) publié par le Ministère de la transition écologique invite cependant à la prudence lorsque les déchets sont entreposés par un particulier sur son terrain estimant que c’est alors le pouvoir de police générale des déchets qui doit être exercé, ce qui suppose de constater l’existence de nuisances ou de pollutions. Les auteurs du guide soulignent qu’en l’absence de nuisances ou de risques pour l’environnement, la santé humaine ou la salubrité, il sera difficile au maire (ou au président d’EPCI) d’agir car le propriétaire peut prétendre ne pas vouloir se défaire des objets accumulés sur son terrain, auxquels cas ce ne seraient pas déchets au sens légal du terme. La cour administrative d’appel de Nantes, même si elle relève un risque d’atteinte à la salubrité publique, semble adopter une acception plus large de la notion de déchets et élargit ainsi les prérogatives du maire en pareilles circonstances. En cas de pourvoi, la position du Conseil d’Etat sera intéressante à suivre...
L’abstention fautive du maire peut engager la responsabilité de la commune. Le Conseil d’Etat a ainsi rappelé ((CE, 13 octobre 2017 : n°397031) que « l’autorité investie des pouvoirs de police municipale doit prendre les mesures nécessaires pour assurer l’élimination des déchets dont l’abandon, le dépôt ou le traitement présente des dangers pour l’environnement », et que le juge, saisi d’une action en responsabilité contre la commune, ne pouvait se borner à vérifier si l’abstention du maire était entachée d’erreur manifeste.
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