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Obstacles à la circulation sur un chemin rural : attention au respect de la procédure contradictoire avant mise en demeure

Cour administrative d’appel de Nantes 4 décembre 2020 : n°20NT00704

Avant de prendre une mesure de police visant à rétablir la circulation sur un chemin rural, le maire est-il tenu de permettre au "contrevenant" de présenter ses observations ?

Oui, sauf situation d’urgence ou circonstances exceptionnelles, le maire est tenu de permettre à la personne à l’origine des obstacles sur le chemin rural de présenter ses observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales.
En effet si les dispositions de l’article D. 161-11 du code rural imposent au maire, lorsqu’un obstacle s’oppose à la circulation sur un chemin rural, de prendre sans délai les mesures propres à remédier à la situation, les conditions dans lesquelles il est ainsi tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs de police ne traduisent pas nécessairement l’existence d’une situation d’urgence, au sens du 1° du deuxième alinéa de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 (loi désormais codifiée aux articles L.121-1, L.121-2, L.122-1 du code des relations entre le public et l’administration).

 [1]

Afin d’interdire l’accès à un chemin rural, le propriétaire de plusieurs parcelles traversées par ce chemin installe une chaîne ainsi qu’un bloc de béton au sol.
Le maire de la commune met en demeure le propriétaire de retirer les obstacles à la circulation dans un délai de 48h. Mais, le maire omet d’inviter l’auteur de l’obstruction à présenter ses observations écrites ou orales.

L’arrêté du maire est annulé en première instance pour vice de procédure. Sur appel de la commune, les juges du fond infirment la décision des premiers juges estimant que le maire était en situation de compétence liée pour prendre l’arrêté et faire enlever d’urgence l’obstacle (aucun vice de procédure ne pouvait être retenu – la procédure contradictoire était inapplicable). Mais le Conseil d’Etat annule l’arrêt, estimant que le maire n’est pas en situation de compétence liée et en profite pour préciser les modalités d’exercice des pouvoirs de police du maire sur les chemins ruraux [2], modalités reprises par la juridiction de renvoi.

📌Selon l’article L.161-1 du code rural et de la pêche maritime, les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune.

Une obligation de faire libérer la circulation....

Le code rural et de la pêche maritime confie au maire la police et la conservation des chemins ruraux (article L.161-5). Le maire tient également de l’article D.161-11 du même code le pouvoir de remédier d’urgence à tout obstacle s’opposant à la circulation sur un chemin rural. Sur le fondement de ces articles, le maire doit donc prendre une mesure de police pour mettre en demeure l’auteur de l’entrave de procéder à l’enlèvement de l’obstacle. Il s’agit d’une mesure individuelle de police qui doit être motivée (article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, codifié à l’article L.211-2 du code des relations entre le public et l’administration), ainsi que le rappelle la cour administrative d’appel de Nantes :

« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent ».

Ces dispositions imposent bien à l’autorité municipale une obligation d’agir (pour l’exemple d’une injonction adressée à une commune de faire libérer le passage sur un chemin rural voir Tribunal administratif d’Amiens, 28 juin 2012, N° 100619). Pour autant cette obligation ne relève pas d’une compétence liée. En effet, « pour relever l’existence d’un obstacle à la circulation sur le chemin rural et pour déterminer les mesures qui s’imposent, le maire est nécessairement conduit à porter une appréciation sur les faits de l’espèce, notamment sur l’ampleur de la gêne occasionnée et ses conséquences ».

💬(...) « Le maire a l’obligation de remédier à l’obstacle qui s’oppose à la circulation sur un chemin rural. Cependant, pour relever l’existence d’un obstacle à la circulation sur le chemin rural et pour déterminer les mesures qui s’imposent, le maire est nécessairement conduit à porter une appréciation sur les faits de l’espèce, notamment sur l’ampleur de la gêne occasionnée et ses conséquences. Ainsi, le maire ne peut être regardé comme se trouvant en situation de compétence liée pour prendre les mesures prévues par l’article D. 161-11 du code rural. »
... qui ne dispense pas, sauf urgence, du respect du principe de la procédure contradictoire

Sauf urgence ou circonstances exceptionnelles, une mesure individuelle de police doit être précédée d’une procédure contradictoire. Il s’agit d’inviter la personne intéressée à présenter ses observations écrites et orales à sa demande. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (article 24 de la loi du 12 avril 2000).

Cette procédure n’a pas été respectée dans le cas présent. Seule une situation d’urgence ou des circonstances exceptionnelles auraient pu permettre au maire de s’en dispenser.

Pour le juge administratif, si les dispositions du code rural et maritime « imposent au maire, lorsqu’un obstacle s’oppose à la circulation sur un chemin rural, de prendre sans délai les mesures propres à remédier à la situation », toutefois, « les conditions dans lesquelles il est ainsi tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs de police ne traduisent pas nécessairement l’existence d’une situation d’urgence » qui dispenserait l’autorité municipale de faire précéder la mesure de police d’une procédure contradictoire préalable.

L’urgence qui permettrait à l’autorité municipale d’être dispensée de la procédure contradictoire « doit être appréciée concrètement, en fonction des circonstances de l’espèce ».

💬« Si les dispositions de l’article D. 161-11 du code rural imposent au maire, lorsqu’un obstacle s’oppose à la circulation sur un chemin rural, de prendre sans délai les mesures propres à remédier à la situation, les conditions dans lesquelles il est ainsi tenu de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police ne traduisent pas nécessairement l’existence d’une situation d’urgence, au sens du 1° précité du deuxième alinéa de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, de nature à dispenser l’autorité administrative de faire précéder sa décision d’une procédure contradictoire. L’existence d’une telle situation d’urgence doit être appréciée concrètement, en fonction des circonstances de l’espèce ».

La juridiction de renvoi juge en l’espèce que l’urgence n’est pas caractérisée (ni d’ailleurs aucunes circonstances exceptionnelles).

En effet, l’instruction ne révèle aucune plainte de randonneurs ou de promeneurs qui auraient été empêchés d’emprunter le tronçon litigieux du chemin rural qui au surplus ne semble pas compris dans le plan départemental des itinéraires de promenades et de randonnées. La situation d’urgence ne résulte pas non plus, faute de pièces versées au dossier en ce sens pouvant l’attester, de l’impérieuse nécessité de rendre ce tronçon accessible à des véhicules de secours ou de lutte contre l’incendie.

La mise en demeure devait être précédée d’une procédure contradictoire.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont annulé l’arrêté pour vice de procédure.

Cour administrative d’appel de Nantes 4 décembre 2020 : n°20NT00704

[1Photo : Shane Rounce sur Unsplash